Quand la violence verbale ou physique s'invite au parlement
Quand la violence verbale ou physique s'invite au parlement
L'exemple le plus récent nous ramène en France, le 3 novembre dernier. Cet après-midi-là, à l'Assemblée nationale, en pleine séance de questions au gouvernement, le député Rassemblement national Grégoire de Fournas lâche une phrase qui provoque immédiatement un tollé. «Qu'il(s) retourne(nt) en Afrique!», lance-t-il haut et fort dans l'hémicycle du Palais Bourbon, alors que l'élu La France Insoumise Carlos Bilongo, noir de peau, s'exprime sur le sort réservé aux migrants en mer Méditerranée.
La séance est interrompue, de vives protestations et un débat houleux ont lieu en France dans les heures et jours qui suivent. Pour ses propos racistes, le député Grégoire de Fournas est exclu quinze jours de l'Assemblée nationale.
Sans atteindre cet extrême, les violences symboliques et verbales sont courantes au sein de la chambre basse française. Davantage que chez ses voisins, par exemple, le Luxembourg et l'Allemagne? L'impression est là. Mais est-ce la réalité des faits? Et comment expliquer cette différence de comportement selon les pays? Le professeur Philippe Poirier, politologue, titulaire de la chaire de recherche en études parlementaires à l'Université du Luxembourg, et qui a contribué à la question dans différentes instances et groupes de travail, nous éclaire sur le sujet.
Tous les parlements, sans exception, depuis 1945, ont connu des problèmes de comportement de députés.
Pr. Philippe Poirier
Philippe Poirier rappelle, tout d'abord, que «toutes les assemblées sont dotées de règlements assez précis pour réguler ou empêcher toute forme de violence, qu'elle soit physique, symbolique, et tout ce qui est aussi l'appel à la violence hors du Parlement». Il précise également qu'il existe, «dans la plupart des assemblées européennes, un pouvoir de police, pour réguler les comportements des parlementaires. Il est soit aux mains du président ou de la présidente de la Chambre, soit aux mains du bureau ou ce qui fait office de bureau».
Ce rappel effectué, le politologue, pose un constat clair et simple: «Tous les parlements, sans exception, depuis 1945, ont connu des problèmes de comportement de députés, hommes ou femmes, dans tous les pays de l'Union européenne ou candidats à l'UE.» Et cela ne concerne pas seulement les représentants le plus radicaux. «Tous les partis politiques sont touchés. En revanche, dans les jeunes démocraties d'Europe centrale ou orientale, on voit qu'il y a une surreprésentation d'un certain type de partis, des partis éphémères qui ne durent que le temps d'une législature.»
Coup de poing ou coup de casque
Ces violences prennent différentes formes - physiques ou symboliques comme expliqué précédemment - et atteignent différents niveaux. Ces dernières années, voire décennies, «la violence physique a été plus présente dans des jeunes démocraties en consolidation, type Ukraine, Moldavie ou Macédoine. Il y a, par exemple, eu plusieurs bagarres au Parlement ukrainien dans les mois et années qui ont précédé la guerre, entre différentes factions et groupes politiques».
Mais des épisodes de ce type peuvent aussi survenir dans des démocraties de l'Ouest. Par exemple en France, en août 2017, quand le député M'jid El Guerrab, alors député sous l'étiquette En marche, croise par hasard Boris Faure, du Parti socialiste, et lui assène un coup de casque de scooter avec un vif échange. Raison de ce coup de sang: une vieille rancœur liée à une investiture non obtenue quand M'jid El Guerrab était au PS.
Mais l'origine de ces violences n'est pas toujours politique. «Parfois, cela relève de conflits personnels, par exemple, une même maîtresse, ou de règlements de compte financiers si les personnes avaient une entreprise ou un commerce en commun.»
Pas d'exception au Luxembourg
Reste que si la violence physique est plus rare en Europe de l'Ouest, celle symbolique ou verbale est bien présente: en France donc, mais aussi en Italie, en Allemagne, ou dans des assemblées régionales comme celle des Flandres. «C'est constant dans tous les parlements, mais les thèmes qui les déclenchent ne sont pas les mêmes: ce sera la question migratoire en France, celle des minorités religieuses ou ethniques dans d'autres pays, ou encore la dénonciation de la corruption.»
Et selon Philippe Poirier, le Luxembourg n'échappe pas à cette violence symbolique, qui dépasse le cadre de la simple joute verbale. «Les cris, les contestations n'ont pas lieu simplement en séance plénière. Mais ça peut aussi être au sein des commissions parlementaires», précise-t-il. Même si l'ambiance peut paraître plus apaisée.
L'importance de l'histoire... et de l'architecture
À cette évocation d'une atmosphère moins enflammée dans des pays comme les Luxembourg ou l'Allemagne, le professeur objecte deux arguments. Le premier relève de la pratique et de l'histoire. C'est le cas en Allemagne, au Bundestag. «Les comportements politiques sont très, très encadrés, pas simplement par le règlement. Il y a ce qu'on appelle la coutume», avec l'idée fixe de ne pas revivre une scène ou des mots qui puisse rappeler les sombres années d'avant la Seconde Guerre mondiale. «Il apparaît que les débats sont plus feutrés parce que la ressource parole n'est pas la même. Mais ça ne veut pas dire que les députés allemands se comportent mieux ou moins bien dans certains aspects.»
Le second argument est d'ordre spatial. «La physionomie architecturale d'un Parlement joue. En France, par exemple, l'hémicycle, c'est une fosse aux lions. Au Parlement de Westminster, à Londres, il y a aussi beaucoup d'actes de violence symbolique, car les députés des deux camps sont face-à-face et très proches.»
Criez, vous êtes filmés!
Évidemment, la médiatisation des débats, qui s'est accrue au fil de ces dernières décennies, joue également un rôle dans l'attitude des parlementaires. «À mesure que les assemblées ont adopté des retransmissions en direct, par exemple, les fameuses questions au gouvernement en France, on constate que ces séances - moitié technique, moitié politique au départ - ne deviennent quasiment plus que des objets politiques de l'actualité présente. La médiatisation par les chaînes d'information, par les chaines parlementaires, font que les élus adoptent de nouveaux comportements, car ils savent qu'ils ne s'adressent pas simplement au gouvernement. Et le gouvernement sait qu'il ne s'adresse pas simplement aux députés. Mais à des millions de personnes.»
Il ne faut pas qu'on joue les vierges effarouchées. Les mots durs sont employés dans toutes les législatures.
Pr. Philippe Poirier
Il faut toutefois, et heureusement, relativiser. Si l'on excepte des dérapages racistes comme celui de Grégoire de Fournas, la plupart des violences symboliques actuelles dans les parlements, en Europe en tout cas, sont bien moins fortes que les appels aux meurtres qui ont pu exister dans les années 1930 en France ou en Allemagne, ou que ce qu'a pu connaître et vivre Simone Veil en 1974, quand elle a défendu son projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse en France. «Plusieurs députés de sa propre majorité l'appelaient la tueuse d'enfants, ou des choses comme ça. Il y a des formes de violence qui ne sont plus acceptées dans nos sociétés. Mais elle en prend de nouvelles, liées soit des thèmes politiques nouveaux, soit à un contexte politique différent.»
Ce qui fait dire à Philippe Poirier, en guise de conclusion et de résumé à ce sujet: «Il ne faut pas jouer les vierges effarouchées. Les mots durs sont employés dans toutes les législatures».
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
