Plus de soupçons que de preuves autour d'AstraZeneca
Plus de soupçons que de preuves autour d'AstraZeneca
(AFP) - L'emballement des autorités de santé des différents pays divise les professionnels de santé. Fallait-il aussi vite repousser le vaccin AstraZeneca alors que de premiers effets indésirables étaient signalés ici ou là, dans l'Union européenne notamment. «Cela n'a aucun sens (de) procéder à des arrêts de cette vaccination», s'étonnait lundi Bruno Riou, cadre de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. «C'est comme si on disait: «Il y a eu un accident de voiture chez un vacciné, on va interdire la conduite ou supprimer la vaccination!»
Pourtant, lundi, l'Allemagne, la France et l'Italie ont suspendu le vaccin jusqu'à au moins mardi. Jour où le régulateur européen rendra un nouvel avis sur cette formule développée en collaboration avec l'Université d'Oxford. Depuis une semaine, il y a rarement eu une journée sans qu'un autre pays suspende le recours à ce vaccin. Le 9 mars dernier, c'était ainsi au tour du Luxembourg d'écarter un lot douteux (ABV5300), oubliant de l'annoncer individuellement aux 4.141 personnes ayant reçu une injection issue de ce pack mis hors circuit.
L'Autriche a lancé le mouvement le 8 mars en suspendant ce même lot de vaccins après la mort d'une infirmière qui venait de recevoir une dose d'AstraZeneca. La femme de 49 ans est décédée à cause d'une mauvaise coagulation sanguine. Depuis, c'est l'emballement. A chaque fois, les autorités sanitaires réagissent à des cas, dans leur pays ou à l'étranger, où des personnes vaccinées ont développé des problèmes sanguins parfois mortels.
Ce sont soit des difficultés à coaguler, comme en Autriche, soit la formation de caillots sanguins (thrombose), pour lequel un seul cas grave a été signalé en France après la prise d'un vaccin AstraZeneca. Mais les autorités concernées le reconnaissent: il n'y a aucun lien avéré entre ces problèmes de santé et ce vaccin, à part l'enchaînement chronologique. Si celui-ci est suspendu, c'est simplement le temps de s'assurer qu'un tel rapport n'existe pas, ce qui nécessite une véritable enquête scientifique.
C'est un classique principe de précaution qui a l'aval de certains chercheurs. «Quand on utilise un produit relativement récent comme tous ces nouveaux vaccins, on doit les surveiller comme le lait sur le feu et dès qu'il y a un signal, même si on n'y croit pas, il faut tout arrêter», estimait jeudi la vaccinologue suisse Claire-Anne Siegrist. Mais l'approche laisse perplexes nombre d'autres professionnels, qui pointent que ces problèmes de santé ne semblent pas plus fréquents après le vaccin AstraZeneca qu'après les autres actuellement distribués en Europe, Pfizer/BioNTech et Moderna.
57 cas de thromboses sur 19 millions de vaccinés
C'est d'ailleurs l'argument employé par le groupe lui-même. Dans un communiqué publié dimanche, AstraZeneca souligne que les cas de thromboses après avoir reçu son vaccin sont «similaires» à ceux de ses homologues. Ces affirmations sont appuyées par les chiffres officiels du Royaume-Uni, l'un des pays les plus avancés dans sa campagne de vaccination. Ils témoignent par ailleurs du caractère extrêmement rare des thromboses.
Il y en a eu 35 sur les 9,7 millions de personnes ayant reçu une dose AstraZeneca (0,0004%) et 24 sur les 10,7 millions de vaccinés Pfizer/BioNTech (0,0002%). Dans chaque catégorie, il n'y a qu'un seul décès.
«Manifestement, la proportion (...) n'est pas différente», souligne dans un communiqué Stephen Evans, épidémiologiste à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, et qui regrette la suspension du vaccin dans de multiples pays. «C'est tout à fait raisonnable d'étudier attentivement les liens entre vaccins et problèmes de coagulation, mais on va trop loin en (empêchant) les gens de recevoir des vaccins qui peuvent leur éviter de tomber malade», insiste-t-il.
Selon AstraZeneca, les cas de thromboses sont même nettement moins fréquents que la moyenne dans la population. Cela ne veut pas dire pour autant que le vaccin est sans effets indésirables.
En France, les données du régulateur des médicaments, l'ANSM, montrent qu'ils sont plus fréquents à être signalés chez des vaccinés AstraZeneca (0,66%) que Pfizer/BioNTech (0,19%) ou Moderna (0,12%). Ils sont le plus souvent sans gravité. Lorsqu'ils sont lourds, il s'agit en grande majorité de syndromes proches de la grippe «particulièrement sévères» avec, par exemple, des accès de fièvre intense.
Certains effets peuvent, toutefois, être, encore plus graves comme des réactions allergiques qui empêchent de respirer. L'Union européenne les a ajoutées voici quelques jours à la liste des effets secondaires potentiels du vaccin AstraZeneca, même si les cas sont exceptionnels: 41 sur cinq millions.
