«Nous sommes choqués, on se croirait dans une série Netflix»
«Nous sommes choqués, on se croirait dans une série Netflix»
(avec AFP) «Soupçons de corruption de la part du Qatar et nécessité, plus largement, de transparence et de responsabilité au sein des institutions européennes». Voici l'intitulé du vote programmé ce jeudi 15 décembre à midi au Parlement européen. Ce débat faisait suite au «Qatargate», une affaire dans laquelle quatre personnes, dont la vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili, sont soupçonnées d'avoir été corrompus par le Qatar.
Selon la presse belge, le Qatar aurait cherché «à influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen en versant des sommes d'argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significative au sein du Parlement européen.»
Le mardi 13 décembre, le Parlement européen a déchu de sa vice-présidence l'eurodéputée grecque Eva Kaili, soupçonnée d'être impliquée dans ce scandale et actuellement détenue. Son compagnon, Francesco Giorgi, est également en détention préventive, de même que l'ancien eurodéputé Pier-Antonio Panzeri.
Un troisième homme, Niccolo Figa-Talamanca, responsable de l'ONG «No Peace Without Justice», devait être libéré moyennant le port d'un bracelet électronique.
Le Parlement européen a demandé ce jeudi de fermer temporairement la porte à tout représentant des intérêts du Qatar et a décidé de suspendre tout travail législatif en lien avec l'émirat.
A une quasi-unanimité (541 voix pour, deux voix contre et trois abstentions), les eurodéputés, «consterné(s)» par ces actes présumés de corruption visant en premier lieu l'eurodéputée socialiste grecque Eva Kaili, demandent «instamment la suspension des titres d'accès des représentants d'intérêts qatariens» le temps des enquêtes judiciaires. La décision doit ensuite être prise par la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola.
Cette dernière a annoncé jeudi lors d'un sommet européen à Bruxelles des réformes «d'ampleur» pour 2023, suite à ce scandale ébranlant l'institution européenne. Il s'agira notamment de renforcer la protection des lanceurs d'alerte et l'interdiction des groupes d'amitié non officiels avec des pays tiers. A Bruxelles, Roberta Metsola a précisé que l'ONG «No Peace Without Justice», qui est «présumée liée à l'enquête en cours», avait vu son accès suspendu.
«Il y a des lacunes qui doivent être comblées, en ce qui concerne par exemple les activités d'anciens membres du Parlement européen, les inscriptions sur le registre de transparence, les personnes autorisées à entrer au Parlement européen», a-t-elle ajouté lors d'une conférence de presse.
Charles Goerens (DP) se dit également indigné par cette affaire de corruption. L'eurodéputé luxembourgeois se prononce aussi en faveur de plus de transparence. «Mais certaines personnes qui viennent nous voir peuvent être persécutées dans leur pays pour ce qu'ils nous disent, ces personnes ont donc intérêt à ne pas figurer dans un tel registre. Je suis pour une transparence institutionnelle, mais il faut aussi prendre cela en compte et veiller à protéger ces personnes», souligne-t-il.
Tilly Metz (déi gréng) estime que l'inscription des rendez-vous doit être «obligatoirement» consignée dans un registre: «Nous appliquons cela déjà chez les écologistes» L'eurodéputée luxembourgeoise s'est dite «choquée et triste», quand elle a appris ces soupçons de corruption: «Il s'agit quand même d'un des plus grands scandales que le Parlement européen ait jamais connus. Cette histoire a aussi un coût pour notre crédibilité et notre démocratie», réagit Tilly Metz. Elle affirme qu'il ne faut pas pour autant jeter le discrédit sur toute une institution. «Il s'agit ici de brebis galeuses, mais pour éviter cela à l'avenir nous devons avoir des règles plus strictes concernant la transparence et la responsabilité des eurodéputés.»
Selon Tilly Metz, il faut aussi «clairement interdire des versements d'argent ou des cadeaux donnés par des représentants de pays tiers». Elle s'est également prononcée pour que les députés européens sortants ne puissent pas intégrer immédiatement des groupes de lobbyistes.
Cette histoire éclipse les grandes victoires européennes.
Marc Angel, député européen socialiste
Lors du vote de ce jeudi, l'écologiste tenait à faire passer un amendement obligeant les eurodéputés à déclarer leur patrimoine au début et à la fin de leur mandat: «Si un député européen s'achète une villa à Dubai, on peut se demander comment il est parvenu à une telle acquisition. Une telle déclaration de patrimoine se fait par exemple pour les responsables politiques en France. Je ne vois pas le problème si on n'a rien à cacher et en fin de compte l'argent que nous percevons vient des impôts. Je suis la porte-parole de ceux qui m'ont élue, il est normal que l'aspect financier et les rendez-vous soient publics.» Cet amendement a été largement adopté, mais sans le soutien des députés luxembourgeois, excepté celui du socialiste Marc Angel selon le groupe des Verts.
Tirer les leçons du Qatargate
Marc Angel a encore du mal à s'en remettre de cette affaire de corruption, alors que la vice-présidente grecque Eva Kaili faisait partie du groupe socialiste au Parlement européen: «Nous sommes tous choqués, c'est incroyable. On se croirait dans une série Netflix. Il s'agit malheureusement d'une triste réalité provoquant de nombreux dommages à la démocratie et aux institutions européennes. Cette histoire éclipse les grandes victoires européennes.» Eva Kailli a été depuis suspendue du groupe S&D.
«Nous devons tirer des leçons de cette affaire, rien ne doit être mis sous le tapis. Une commission d'enquête sera mise en place, il ne doit pas y avoir de tabous. Nous sommes redevables aux citoyens», ajoute Marc Angel. Pour le député européen Charles Goerens, «il faut que tout cela se fasse dans le calme». «Toutes les personnes qui déclarent que le Qatar a fait des progrès ne doivent pas maintenant être suspectées de corruption», estime le politicien libéral.
Au mois de novembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution sur la situation des droits de l'homme au Qatar. Les députés demandent notamment au Qatar et à la Fifa d'«indemniser toutes les victimes des préparatifs de la Coupe du monde». Lors de ce débat, Eva Kaili avait défendu le petit émirat en vantant les mérites de ce pays du Golfe, notamment la mise en place du salaire minimum. Selon l'ancienne vice-présidente,« le Qatar est déjà parvenu à réaliser l'impossible». «Elle avait tenté de convaincre le groupe socialiste de voter contre cette résolution, mais nous avons bien voté pour», raconte Marc Angel.
Une nouvelle légalisation pénalisant toutes formes de corruption dans les Etats de l'UE pourrait prochainement voir le jour. C'est ce qu'a récemment fait savoir la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson. Marc Angel dit soutenir une telle démarche.
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