Manœuvres autour de vieux chars belges
Manœuvres autour de vieux chars belges
De notre correspondant Max HELLEFF (Bruxelles)
Ces derniers jours, les membres de l'Alliance atlantique ont annoncé tour à tour d'importantes livraisons d'armes à l'Ukraine.
La Belgique n'a pas dérogé à la règle. Le gouvernement fédéral du Premier ministre Alexander De Croo s'est engagé à envoyer 93,8 millions d'euros d'aide militaire. Cette somme s'ajoute aux 146 millions d'euros qui ont déjà été alloués à l'Ukraine depuis le début de l'invasion par la Russie.
Selon le chef du gouvernement, il s'agit du plus important programme de soutien militaire jamais adopté par le pays. Toutefois, la ministre de la Défense Ludivine Dedonder a tenu à préciser que la Belgique n'enverrait pas de chars en Ukraine pour le moment, bien que des négociations avec des marchands d'armes soient toujours en cours.
Un entrepôt qui suscite des convoitises
Ces propos ont été tenus dans le contexte polémique de la livraison de chars d'assaut allemands Léopard II à l'Ukraine, Berlin finissant par répondre positivement à la demande insistante du président Volodymyr Zelensky. La Belgique a également été sollicitée, mais n'a pu satisfaire à la requête ukrainienne tout simplement parce qu'elle n'a plus de chars.
«On ne peut pas donner plus que ce qu'on a», a fait valoir Ludivine Dedonder sur les ondes de la chaîne publique flamande VRT. «Quand je suis devenu ministre, nos stocks étaient presque épuisés. Nous n'avons donc plus de chars à donner à l'Ukraine.» Trop vieux, les chars Léopard de la première génération ont été déclassés et vendus à l'encan il y a une dizaine d'années.
Mais ils ne sont pas tous sortis du pays pour autant. La presse belge et internationale multiplie ces derniers jours les reportages sur un entrepôt situé à Tournai qui abrite des centaines de véhicules militaires, dont des dizaines de chars Léopard 1. Rien de répréhensible dans cet arsenal : le marchand d'armes Freddy Versluys, patron d'OIP Land Systems, les a achetés à l'armée belge afin de les moderniser et de les revendre un jour.
500.000 euros pour un char vendu 15.000 euros il y a une dizaine d'années
Aujourd'hui, la Belgique se montre intéressée par le rachat de ces chars pour les envoyer en Ukraine. Mais les marchands d'armes auxquels elle s'est adressée lui apparaissent trop gourmands. «Les propositions que nous avons reçues jusqu'à présent sont extrêmement coûteuses», explique la ministre Dedonder. Ils demandent jusqu'à 500.000 euros pour un char que nous avons vendu 15.000 euros. Et ils sont toujours dans le même mauvais état qu'à l'époque. »
Freddy Versluys ne dit pas autre chose : «Je ne conseillerais à personne de les envoyer en Ukraine. S'ils sont envoyés à la guerre, ils doivent être fiables. Nous ne voulons pas qu'ils s'effondrent tout de suite». Versluys justifie son prix. Il estime que les révisions nécessaires à la remise en ordre de ces engins nécessitent les 500.000 euros demandés au gouvernement belge. Il explique que de nouvelles chenilles coûtent 120.000 euros, que la révision du moteur se monte à 185 000 euros, qu'il faudra 36.000 euros pour de nouveaux amortisseurs, etc.
En sus, il faut tenir compte des formalités administratives complexes qui vont de pair avec l'exportation de chars.
Moins de chars, un choix budgétaire
Dans cette affaire, la Belgique est prise de court. Au milieu de la décennie précédente, elle a revendu ses vieux chars au motif que l'utilisation de tels engins semblait dépassée. La Guerre froide était terminée depuis un quart de siècle et personne n'a imaginé alors que la Russie de Poutine ouvrirait les hostilités en Ukraine en adoptant une tactique qui renvoie à la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement belge de l'époque a donc opté pour des véhicules blindés plus légers, plus maniables, «meilleurs en Afrique», explique l'actuelle ministre de la Défense.
Au sein de l'armée, des hauts gradés font valoir qu'il n'a jamais été dit que les chars ne seraient plus nécessaires à la défense du pays. Mais que, dans le contexte budgétaire de l'époque, des choix avaient été effectivement faits au détriment de cet armement.
Le général de corps d'armée Marc Thys, le vice-chef d'état-major de l'armée belge, précise que «les chars ne sont que la pointe de l'iceberg : vous avez également besoin de véhicules blindés d'infanterie, de véhicules blindés du génie et d'artillerie (en Ukraine).» Il ajoute : «Nous nous regardons tous les jours dans le miroir pour voir les efforts que nous déployons. L'effort est très profond. N'oubliez pas qu'il s'agit d'un ultramarathon. Ce conflit va durer longtemps et nécessitera un effort soutenu de tout le bloc occidental.»
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