Le voile reste une pomme de discorde en Belgique
Le voile reste une pomme de discorde en Belgique
De notre correspondant Max HELLEFF (Bruxelles) - En novembre 2021, le tribunal de première instance de Bruxelles a déclaré fondée l'action de deux étudiantes qui reprochaient à la haute école Francisco Ferrer de ne pas leur laisser porter le voile. Selon elles, le règlement de l'établissement constituait une discrimination indirecte sur base de la conviction philosophique ou religieuse, prohibée par la législation précisément relative à la lutte contre la discrimination.
Contrairement à toute attente, la Cour a suivi les deux étudiantes en arguant notamment du flou du texte de loi portant sur la neutralité, lequel élude la question du port des signes convictionnels. Plus largement, elle a estimé que « les dispositions du règlement des études de la haute école Francisco Ferrer qui interdisent de manière générale le port de signes reflétant toute conviction religieuse sont contraires à la Constitution. » Et le bord laïque, ardent défenseur d’une neutralité stricte, s'est pris un camouflet retentissant.
Un sujet à l'origine de tensions
Un énième camouflet en vérité, car les actions du genre se sont multipliées ces dernières années et ont parfois renversé une position de principe qui semblait acquise. Tel fut le cas en 2015 lorsqu'un tribunal a donné raison à des musulmanes qui s'étaient vu interdire de porter le voile au sein de l'office public où elles travaillaient. Tel fut encore le cas en 2021 lorsqu'un juge a suivi une candidate recalée à l'embauche par l’entreprise de transports publics Stib en raison de son refus d'ôter le hijab. Cette dernière affaire avait plongé le gouvernement régional bruxellois dans une crise profonde.
Depuis une trentaine d'années, le dossier des signes convictionnels mine la vie politique belge. Le port du voile à l'école et dans les administrations a été maintes fois à l’origine de tensions aussitôt mises sous l’étouffoir. Ce réflexe est d'autant plus vif à Bruxelles en raison de la présence de l'importante communauté musulmane qui fait régulièrement l'objet de discriminations, mais que certains partis caressent aussi dans le sens du poil à des fins électoralistes. Quant aux tentatives d’introduire la laïcité dans la Constitution en lieu et place de la neutralité, elles n'ont reçu qu’un accueil très mitigé.
Ceux qui voient dans le voile un instrument de soumission de la femme en sont pour leurs frais. Au contraire, il passe désormais en maints cénacles pour un marqueur de la diversité, de l'affirmation d’une autre culture et de la liberté individuelle.
Un débat à la rentrée au Parlement bruxellois
Dernière péripétie en date : le Conseil d'Etat a renvoyé le Mouvement réformateur (MR, le parti libéral francophone) à sa copie. Les libéraux veulent couler dans un texte de loi la neutralité des agents des services publics bruxellois et interdire le port de signes convictionnels dans l’exercice de leurs fonctions. Très bien, a rétorqué le Conseil, mais alors pourquoi imposer une interdiction identique à tous les membres du personnel, sans distinction entre les fonctionnaires en contact ou non avec le public? L'argument d’égalité de traitement des agents présentée par le MR comme nécessaire au bon fonctionnement du service public ne le convainc pas.
C'est ainsi qu'un débat tendu sur le «front office» (le guichet au contact des administrés par exemple, où les signes convictionnels resteraient prohibés) et le «back office» (les bureaux à l'abri des regards extérieurs, où le voile pourrait être porté) est annoncé pour la rentrée au Parlement bruxellois. Complexe, il passe par-dessus la tête de la plupart des Belges. Il n'en est pas moins fondateur du devenir d’une société qui se dit multiculturelle.
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