Le chantage d'Ankara met les 27 au pied du mur
Le chantage d'Ankara met les 27 au pied du mur
(AFP) – Cinq ans après l'afflux record de réfugiés de 2015, le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, est d'avis qu'«ouvrir les frontières n'est pas une solution: la Grèce serait accablée». L'agence européenne de contrôle des frontières Frontex a déployé des renforts et relevé son niveau d'alerte à la frontière gréco-turque, où des milliers de migrants tentent de passer. L'Union européenne a renforcé le contrôle de ses frontières mais reste en quête d'une politique d'asile efficace. Etat des lieux.
Que prévoit l'accord controversé UE-Turquie de 2016 ?
Le pacte signé entre l'UE et la Turquie est un accord juridiquement non contraignant, qui a réduit considérablement les arrivées de migrants en Grèce. En contrepartie notamment d'un soutien financier de l'UE, il prévoit le renvoi vers la Turquie des migrants arrivant sur les îles grecques, ainsi qu'un engagement d'Ankara à renforcer ses frontières avec l'UE.
Ce que le président Recep Tayyip Erdogan a renié en décidant de laisser passer migrants et réfugiés se trouvant sur son territoire, provoquant un afflux de milliers de personnes à la frontière gréco-turque. L'UE répète qu'elle reste engagée dans l'accord et attend la même chose de la Turquie.
Sur les six milliards d'euros prévus par l'UE, destinés aux ONG en charge de programmes de soutien aux réfugiés en Turquie, 4,7 milliards ont été engagés dont 3,2 milliards déjà versés, selon la Commission. L'accord prévoit aussi que pour tout migrant renvoyé vers la Turquie, un réfugié syrien sera accueilli dans l'UE.
Quels sont les griefs de la Turquie ?
Depuis la signature du pacte, la Turquie n'a cessé de menacer de ne plus le respecter, réclamant davantage d'aide. Le pays accueille 5 millions de réfugiés, dont 3,7 millions de Syriens. Le président turc a cette fois mis sa menace à exécution, affirmant que des «millions» de migrants allaient bientôt arriver en Europe, dans une tentative d'obtenir le soutien des Occidentaux en Syrie face au régime de Damas et à son allié russe.
Plusieurs dirigeants européens ont jugé ce chantage «inacceptable». L'accord avec la Turquie, "c'est un peu le baiser du diable (...) on se retrouve coincés", estime Yves Pascouau, directeur des programmes Europe à l'association Res Publica.
Qu'a fait l'UE depuis la crise ?
En 2015, les Européens avaient été pris de court par l'afflux sans précédent d'un million de migrants, pour la plupart des demandeurs d'asile syriens fuyant le conflit. Depuis, l'Union a acté un renforcement de Frontex, l'agence chargée de la surveillance de ses frontières extérieures: elle disposera notamment d'ici 2027 d'un corps permanent de 10.000 garde-frontières et garde-côtes pour aider des pays débordés.
En attendant, les pays de l'UE ont accepté mardi de contribuer en hommes et en matériel à une intervention rapide de Frontex, en réponse à la demande de la Grèce.
Une réforme impossible de l'asile ?
Si les Etats membres sont unis sur la nécessité de contrôler les frontières de l'UE, en revanche ils restent profondément divisés sur la répartition des demandeurs d'asile. Une question épineuse qui est au cœur du nouveau Pacte sur la migration et l'asile que doit présenter la Commission «au printemps».
Pour Marie De Somer, experte des questions migratoires au European Policy Centre, cet afflux risque de compliquer encore un accord. «Les Etats membres n'ont pas été capables de se mettre d'accord sur un partage des responsabilités alors même que les arrivées ont été beaucoup plus limitées ces dernières années», note-t-elle. «Maintenant que la pression politique monte, les discussions (...) vont encore se tendre davantage», estime-t-elle.
Les mesures grecques sont-elles légales ?
L'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a jugé que la suspension des demandes d'asile décidé par la Grèce pendant un mois était contraire au droit international et européen.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui s'est rendue à la frontière gréco-turque mardi a exprimé son soutien au Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, remerciant Athènes d'être «un bouclier» pour l'UE et lui promettant «700 millions d'euros» d'aide.
