La «jungle» dans l'attente de la «terre promise»
La «jungle» dans l'attente de la «terre promise»
(G.C.) - Calais est le théâtre d'un drame récurrent, dont le dernier acte en date fut, samedi, l'abordage d'un ferry par une cinquantaine de migrants déterminés à rallier la Grande-Bretagne. Mais Calais et sa «jungle» sont devenus, aussi, les tenant-lieu emblématiques de la crise migratoire en son entier, de la misère qu'elle révèle et de notre impuissance à la juguler. Comment «traiter» Calais quand tout ou presque a été dit?
La « jungle » de Calais s’organise en communautés ethniques et culturelles. À l’instar d’une ville, on y découvre de véritables quartiers au sein desquels cohabitent Afghans, Egyptiens, Soudanais … De grands axes structurent cet espace, où les Afghans ont installé des commerces: épiceries, restaurants, et même un hammam!
Akram est l’un des rares à être parvenu à passer sur l’autre rive. Ses amis, soudanais, expliquent qu’il s’est caché dans une voiture à Dunkerque pour ensuite embarquer à bord d’un ferry. L’émotion est palpable, entre nostalgie et espoir, l’attente est encore longue avant la «terre promise».
Le vélo est le principal moyen de locomotion pour les migrants, il permet de rejoindre le centre-ville et de circuler dans la «jungle». À l’arrière-plan figure une salle de prière pour le culte musulman. Ici les religions cohabitent sans difficultés.
Les migrants sont très réticents à l’idée d’entrer dans le camp humanitaire. Le système de reconnaissance morphologique de la main à l’entrée les effraie. La peur d’être fichés et de ne pas être libres de leurs mouvements les pousse à la méfiance. Face aux forces de l’ordre, si aucun dialogue n’est établi et que l’incompréhension persiste, la situation risque de dégénérer.
Deux migrants agrippent ce grillage au-delà duquel commence le rêve d’une vie meilleure. Mais la réalité n’est pas loin: de l’autre côté des barbelés, un groupe de C.R.S patrouille. Interrogés, ils affirment que «ça ne fait plaisir à personne d’être dans le froid». Le manque de dialogue entre forces de l’ordre et migrants pose problème, les altercations sont fréquentes.
Vue du nouveau camp humanitaire ouvert début janvier. En lien avec le centre d’accueil tout proche, il recevra 1.900 personnes sur les 4.000 présentes dans la «jungle». En parallèle, les forces de l’ordre rasent une partie du camp. L’objectif affiché par la préfecture est ambitieux: «plus personne dehors». Mais quid des 2000 personnes restantes?
400 femmes et enfants, 2 500 repas, 800 douches par jour: les chiffres du centre Jules Ferry. Financé par la France et l’U.E, il fonctionne en tandem avec le nouveau camp humanitaire. Un système de suivi avec des éducateurs a été mis en place pour permettre aux migrants de demander l’asile. Ici, ils font une file pour obtenir le repas quotidien.
Pendant plusieurs mois, l’Etat a délaissé Calais. Seuls quelques points d’eau ont été installés en plein air. En lisière de la «jungle» , le centre d’accueil Jules Ferry ne peut recevoir que 400 personnes, femmes et enfants en priorité. Attaqué en justice, l’État a commencé des travaux d’aménagement: des containers sont en cours d’installation. 1 500 personnes seront prises en charge, soit 1/4 de la population du camp.
La majorité de ces commerces s’approvisionnent au Lidl du centre-ville. Profitant des camionnettes des bénévoles, ils font le plein en nourriture. Ici, cet Afghan accepte de se faire photographier, son expression en dit long sur son état.
A peine réveillé, ce marchand afghan sort de son échoppe. Il tient dans sa main bouteille d’eau, dentifrice et brosse à dents. Il est à peine 10 heures en ce 1er janvier 2016, une nouvelle journée commence dans la jungle de Calais.
Dans une tente commune, sept Soudanais dégustent un plat traditionnel: Le «ghurasa», sorte de pain arrosé d’une sauce tomate et de viande épicée. Nous sommes le soir du réveillon. La nourriture provient de dons d’associations. Des distributions sont organisées gratuitement.
Au premier plan, un reste de grenade lacrymogène, rappel symbolique de la violence quotidienne dans le camp. Derrière, une oeuvre de Banksy représente un réfugié syrien émigré aux Etats-Unis. La légende du «street art» donne à voir Steve Jobs. Un message rempli d’espoir pour les habitants de la « jungle».
La langue, facteur d'attractivité de la Grande-Bretagne. Tous ont des notions d’anglais. Leur espoir est grand: y arriver et trouver immédiatement un travail. Pourquoi pas la France? «Too difficult», « hard language», les réactions sont unanimes: «go UK! ». En attendant la traversée tant espérée, l’ennui est quotidien. Ici, un Soudanais attend la distribution du jeu de cartes.
Les tentatives de rejoindre l’Angleterre sont parfois périlleuses: l’homme de droite a reçu du gaz lacrymogène dans les yeux. À gauche, un jeune Egyptien tente de le soulager en lui soufflant la fumée de sa cigarette.
Chaque jour, certains tentent de rejoindre l’Angleterre. Les moyens sont multiples: sur ou sous les trains, dans les camions, dans des coffres de voitures… Le plus souvent, ils sont arrêtés par les C.R.S, d’autres sont détectés au poste-frontière par des scanners puis renvoyés dans la « jungle».
À Calais, le profil des migrants est divers : jeunes actifs, parents, seniors. Ici, un enfant erre, seul. Il vient d’Alexandrie, un des principaux lieux de départ vers l’Europe.
Distributions de repas, premiers soins, animations culturelles … Les associations sont les garants de la survie du camp. Riaz, membre de «L’auberge des Migrants», sillonne les tentes, se renseignant sur les besoins alimentaires.
Aidés de quelques Soudanais, des bénévoles construisent des abris. Composées d’une structure en bois et surmontées d’une bâche, ces tentes se déchirent vite et ne résistent pas au vent. À l’arrière-plan, un camion distribue gratuitement de la nourriture. Les migrants s’empressent de venir la récupérer.
Scènes de vie quotidienne dans la «jungle». À gauche, vue de l’axe principal. A droite, un Egyptien se fait couper les cheveux par un de ses amis.
35 degrés, c’est la température actuelle au Darfour. À Calais, c’est sept fois moins. L’adaptation est difficile. Au froid s’ajoutent la pluie et le vent : à mesure que vêtements et chaussures prennent l’eau, les tentes ruissellent et s’envolent.
L’Eglise érythréenne accueille de nombreux fidèles. À l’intérieur, des icônes sont disposées aux murs. Les croyants les invoquent dans l’espoir de pouvoir passer outre-Manche.
Un vaste champ de boue, résultat du ballet incessant des camions, des migrants et des bénévoles. Cette chaussure enlisée en témoigne. L’insalubrité fait partie de la « jungle». L’Etat a mis en place un système de collecte, mais dans certaines zones, les déchets ménagers sont brûlés sur place, dégageant une vapeur toxique nauséabonde.
Photoreporter indépendant, Léon Dubois nous rapporte de cette « jungle » de Calais une série de photographies argentiques. «Depuis ce terrain vague industriel, nous explique–t-il, près de 5.000 migrants espèrent traverser la Manche. Venus d'Afrique et du Moyen-Orient, ils ont fui la guerre ou les difficultés économiques. Certains ont bravé la Méditerranée, d'autres traversé l'Europe de l'Est en passant par la Turquie. Face à une frontière anglaise étanche, ils sont aujourd'hui bloqués à 40 kilomètres de leur "terre promise" qu’ils distinguent depuis le rivage». Confrontés sans cesse aux forces de l’ordre chargées de repousser leurs tentatives de passage, la détermination de ces migrants semble irréductible.
C’est dans un contexte mêlant «déracinement, espoir, joie, tension et déception», que Léon Dubois s'est immergé au coeur de la « jungle». Son témoignage relate une situation complexe. Ses photographies montrent un espace en constante mutation: «d’une journée à l’autre, une tente apparaît, une autre disparaît. Cette construction et déconstruction de l’espace est à l’image de l’identité de ses habitants: des personnes en mouvement, en quête d’un avenir meilleur».
Que l’on parle de réfugiés ou de «migrants économiques», le constat pour le photographe est le même: «Nous sommes face à une société déracinée. Et si le lieu est indigne et repoussant, l'humanité de ses habitants, elle, reste intacte».
