L'Ukraine dans l'UE? «Cela ne va pas se faire en deux ans»
L'Ukraine dans l'UE? «Cela ne va pas se faire en deux ans»
Toute crise, sanitaire ou militaire, est bien souvent un accélérateur de particules. Ni la pandémie liée au Covid-19, ni le conflit en Ukraine ne font exception à la règle. Depuis le 24 février 2022, et le début de la guerre, une question revient sans cesse : le pays dirigé par Volodymyr Zelensky doit-il intégrer l'Union européenne (UE)? Toujours à l'étude, la demande d'adhésion signée de sa propre main quatre jours après le début des hostilités suscite bien des interrogations, voir des réticences. L'UE n'est pas un moulin. Pour y entrer, mieux vaut montrer patte blanche...
L'Ukraine doit faire un travail d'introspection
Charles Goerens (Groupe Renew Europe)
À l'heure où les images d'exactions commises par l'armée russe suscitent l'indignation générale, pas question toutefois pour l'Union européenne de céder à la dictature de l'émotion. Ce 28 février, dans une vidéo publiée sur son compte Facebook, Volodomyr Zelensky réclame sans plus attendre une adhésion immédiate de son pays via «une procédure spéciale». Le 7 mars, les Vingt-Sept demandent à la Commission de lui présenter ses recommandations sur cette demande mais aussi sur celles de la Géorgie et de la Moldavie.
Réunis le 10 mars à Versailles, et malgré le soutien de la Pologne, de la Slovaquie, de la Hongrie et des Etats baltes, les Vingt-Sept s'opposent à tout traitement de faveur. Krisjanis Karins, Premier ministre letton, précise alors qu'il est important de montrer à l'Ukraine que «la porte est ouverte».
Charles Goerens (Groupe Renew Europe) ne dit pas le contraire : «Le moins que l'on puisse faire, c'est de lui offrir une perspective. Alors, à la question de savoir si l'Ukraine doit intégrer l'Union européenne, c'est un oui clair et net.»
De son côté, Christophe Hansen (Groupe du Parti Populaire Européen) regrette un manque de prévoyance. «Si l'Ukraine avait eu le statut de candidat à l'UE, la Russie aurait sans doute hésité à l'attaquer.» Surtout, il se dit «surpris et déçu qu'il faille attendre une crise pour que les choses changent».
Au vu des délais intrinsèques liés aux procédures d'adhésion, ce changement n'est pas pour maintenant. Charles Goerens: «Cela risque de durer très longtemps car tout candidat doit remplir les critères de Copenhague (voir ci-contre). Or, il est reconnu que le pays reste hautement corrompu par quelques oligarques. Pour espérer rejoindre l'Union européenne, l'Ukraine doit faire un travail d'introspection.»
Au-delà même de ces considérations, Tilly Metz (Groupe des Verts/Alliance libre européenne) estime que l'Ukraine ne peut bénéficier d'un passe-droit («ce ne serait pas juste par rapport aux autres pays candidats»). Surtout, l'eurodéputée estime qu'il ne faut pas se tromper de priorité : «La véritable urgence est de voir cette guerre s'arrêter.» D'ici là, les Vingt-Sept doivent afficher une «solidarité européenne».
Mardi 3 mai, au Parlement de Strasbourg, Charles Goerens écoute attentivement l'intervention de Mario Draghi. Économiste de formation, passé par Goldman Sachs et la présidence de la Banque centrale européenne, le Premier ministre italien appelle l'UE à «bouger vite» et prêche pour une «accélération du processus d'intégration ». À ses yeux, celle des pays aux aspirations européennes ne représente «pas une menace pour le maintien du projet européen, cela fait partie de sa réalisation» et ajoute «nous voulons que l'Ukraine fasse partie de l'UE» sans que l'on sache véritablement qui est ce «nous».
Dans son élan, au-delà des cas de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie, Mario Draghi plaide pour l'examen rapide de l'avenir européen des pays des Balkans tels que l'Albanie, la Macédoine du Nord, la Serbie et le Monténégro sans oublier la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Charles Goerens se montre moins pressé et constate que «la Pologne et la Hongrie ne respectent pas les valeurs communes élémentaires auxquelles ces deux pays avaient pourtant souscrits lors de leur entrée en 2004.»
Se pose également la question de la capacité de Kiev, sur le plan économique, à intégrer le marché commun. «Pour l'heure, dans ce domaine elle a un retard considérable», ajoute Charles Goerens. Ce dernier modère quelque peu l'empressement de Mario Draghi: «L'adhésion d'un pays doit se faire à l'unanimité des Etats membres. Sur ce point, je ne vois pas qui pourrait s'opposer à la demande ukrainienne. En revanche, cela ne va pas se faire en deux ans...»
Rappelons que selon l'Eurobaromètre Flash publié le 5 mai, 52% des résidents luxembourgeois se déclaraient en faveur de «l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne quand celle-ci serait prête». Mais d'ici là, de l'eau n'a sans doute pas fini de couler sous les ponts de Zaporijia.
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