L’Etat belge maintient son cap sanitaire
L’Etat belge maintient son cap sanitaire
De notre correspondant, Max Helleff (Bruxelles) - Le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke n’est pas «impressionné». Et pourtant, c’est un camouflet monumental qui vient d’être infligé par la justice au gouvernement De Croo. Mercredi, le tribunal de première instance de Bruxelles a ordonné à l’Etat de mettre fin aux mesures exceptionnelles prises dans le cadre de la pandémie, et ce dans les trente jours. Il a estimé que l’exécutif ne pouvait pas travailler par arrêtés ministériels et, en fin de compte, mener la lutte contre la pandémie à sa guise. A défaut de se plier à cette décision, une astreinte de 5.000 euros par jour lui sera imposée.
L’action en justice a été menée par la Ligue des droits humains (LDH) et son équivalent flamand, la Liga voor Mensenrechten. La LDH estime depuis plusieurs mois que les mesures anti-covid instaurées par le gouvernement ne respectent pas les prescrits légaux. Jusqu’ici pourtant, la justice et le Conseil d’Etat avaient recalé les plaignants au nom de l’urgence.
L’ordonnance du tribunal bruxellois considère que les mesures en vigueur contre le covid sont dépourvues d’une base légale suffisante. Les lois actuelles peuvent répondre à des urgences ponctuelles, estime le juge, non à une gestion de crise longue déjà de plus d’un an. Il est donc temps que la loi «Pandémie » donne un socle à la lutte gouvernementale contre le virus.
Mais en attendant son vote, le gouvernement ne compte pas baisser la garde. A peine informé de sa condamnation, il a annoncé son intention d’aller en appel. Jeudi, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, a réagi sur la chaîne d’info LN24 : «On ne lève pas les mesures. Il y a eu d’autres décisions (avant celle du tribunal bruxellois). Le Conseil d’Etat a décidé qu’il y avait une base légale à plusieurs reprises. Le gouvernement a donc décidé d’aller en appel.» Et pour le reste, «rien ne va changer en attendant cette décision. Les mesures restent en vigueur, il y a encore des poursuites pénales et il n’y a pas d’astreinte. On va continuer à travailler sur la loi Pandémie. Elle est déjà au Parlement. On n’a pas attendu cette décision pour en parler.»
La loi Pandémie a été approuvée en première lecture, il faut le préciser. Elle repose sur un arrêté royal affirmant l’urgence épidémique, moyennant l’aval du Parlement. Avec elle, le gouvernement aura le feu vert pour prendre des mesures pour une durée de trois mois. La nouvelle loi énumérera une série de dispositions, en réalité déjà utilisées depuis un an: limitation des déplacements, fermetures d’établissements, couvre-feu, etc.
L’opposition tient son os. Elle formule des réticences qui vont crescendo au fur et à mesure que s’effrite l’adhésion de la population. «Il s’est produit une chose à l’égard de laquelle je mets en garde depuis des mois. Cet avertissement a été ignoré par le gouvernement qui a joué avec le feu», a déploré le nationaliste flamand Peter De Roover (N-VA), évoquant la décision du tribunal bruxellois. L’avant-projet de la loi Pandémie est «un texte autocratique, confiscatoire de liberté et donc dangereux», estime François De Smet, le président du parti Défi qui avait mis très tôt en garde contre les lois liberticides inspirées par la lutte contre la pandémie. D’autres coups de boutoirs sont venus des rangs communistes et humanistes.
Dans la majorité, des fissures aussi apparaissent, notamment entre les socialistes et les libéraux francophones, frères ennemis de la «coalition Vivaldi» du Premier ministre Alexander De Croo. Les premiers suggèrent à demi-mots qu’il y aurait un problème de proportionnalité dans la décision du tribunal. «Une loi qui, de manière automatique et pérenne, aurait figé des restrictions de liberté n’était pas acceptable», riposte la libérale francophone Nathalie Gilson.
La presse n’est pas davantage tendre avec le gouvernement. Le Soir parle d’une «chronique d’une bombe annoncée» : «Tant va la cruche à l’eau qu’elle se brise ? Le gouvernement De Croo a tiré sur la corde en tout cas. C’est sous la pression qu’il s’est résolu à proposer une loi pandémie qui est prise de vitesse ce mercredi par le tribunal. Résultat : même si ce jugement est retoqué en appel, le mal est fait.»
En attendant l'appel, plusieurs questions sont inévitablement soulevées. Le gouvernement va-t-il devoir indemniser tous les perdants de la crise ? Réponse : chacun devra se pourvoir en justice pour espérer y faire reconnaître son bon droit. Ce qui prendra du temps et de l’argent. Autre interrogation : la population va-t-elle continuer à suivre le gouvernement ? Il est certain que la décision de la justice bruxelloise sert ses détracteurs et va encourager les actions en référé contre les mesures covid. «Tout cela alors que l’ennemi public n’est pas l’Etat belge, tient à rappeler Le Soir, mais un virus homicide. Il aurait vraiment mieux valu agir plus vite, pour éviter cette confusion.»
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