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Des gifles et des coups
International 10 min. 14.10.2022
Le monde politique face à la violence domestique

Des gifles et des coups

Figure de proue de la coalition de gauche: la députée Sandrine Rousseau, de La France insoumise, égérie d’un «éco-féminisme» qui chez ses détracteurs suscite le scepticisme, parfois une franche inquiétude.
Le monde politique face à la violence domestique

Des gifles et des coups

Figure de proue de la coalition de gauche: la députée Sandrine Rousseau, de La France insoumise, égérie d’un «éco-féminisme» qui chez ses détracteurs suscite le scepticisme, parfois une franche inquiétude.
Photo: AFP
International 10 min. 14.10.2022
Le monde politique face à la violence domestique

Des gifles et des coups

Entre violences domestiques et outrances médiatiques, la gauche française dans tous ses états.

Par Gaston Carré

Consternant, navrant et indécent, le spectacle offert ces jours-ci par la gauche en France, qui au moment précis où sa percée parlementaire lui offre une opportunité de se ressaisir se livre à de sordides querelles sur fond de violences domestiques jetées sur la place publique lors de mises au pilori médiatiques. 

Un spectacle indécent pour un théâtre pathétique, face auquel l'observateur ne sait plus bien qui a giflé qui et qui fait du mal à quoi, depuis la présence en force à l'Assemblée nationale de la NUPES, la coalition de gauche née des élections législatives du mois de juin dernier.

Rappelons que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale est un assemblage sous pavillon de La France Insoumise (LFI) dirigée par Jean-Luc Mélenchon, un agrégat qui par ailleurs comprend le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF) et le groupe Europe Écologie Les Verts (EELV). Après une désolidarisation qui leur avait coûté cher lors de l'élection présidentielle, les quatre mouvements s'étaient alliés en vue des élections législatives dans le but de porter Mélenchon (22% des voix à la présidentielle) à la fonction de Premier ministre. Mélenchon aujourd'hui n'est pas à Matignon mais la NUPES est à l'Assemblée, en principale force d'opposition avec 151 sièges, privant Emmanuel Macron d'une majorité absolue. Que fait-elle, la gauche nouvelle, du poids ainsi gagné?


Gaston Carré, Foto: Guy Wolff/Luxemburger Wort
Les Insoumis à l’Assemblée: gros mots et boules puantes
Les camarades de Mélenchon se comportent comme des cancres à la récré. Macron jubile, montrant qu’en son absence le désordre serait maître.

Elle se bat contre le barbecue! Contre le «macho» mâchant son steak dans son jardin. Elle fait le procès d'une masculinité source de tous les maux, et quand toutes ces grandes causes lui laissent un peu de temps elle se bat contre elle-même au motif d'une gifle conjugale - c'est l'affaire Quatennens, à laquelle nous reviendrons plus loin.

Un choc pour le barboc

Figure de proue de la coalition de gauche: la députée Sandrine Rousseau, de La France insoumise, égérie d'un «éco-féminisme» qui chez ses détracteurs suscite le scepticisme, parfois une franche inquiétude. Parmi les coups d'éclat les plus remarqués de la députée de Paris, l'été dernier: la charge évoquée à l'instant contre le barbecue et l'entrecôte, purs produits selon elle de notre «imaginaire machiste». Et chaque semaine la dame ajoute méthodiquement le grotesque au ridicule, sous le regard de ses camarades agacés mais réjouis au constat que du moins elle sait occuper le «terrain», traduisez l'écran.

Le bruit médiatique monte vite, autour de cette députée qui a demandé que la «non-répartition des tâches ménagères» soit considérée comme un «délit».

Il y a chez Sandrine Rousseau une radicalité qui permet en effet de créer le «buzz». Et le bruit médiatique monte vite, autour de cette députée qui a demandé que la «non-répartition des tâches ménagères» soit considérée comme un «délit». L'extrémisme sans doute de ceux qui n'ont pas été entendus à temps: Sandrine Rousseau en 2016 fait une dénonciation pour agressions sexuelles à l'encontre de son collègue, le député vert Denis Baupin. Elle estime alors ne pas être écoutée, fustige l'inconséquence de ses collègues et se replie. Quand elle revient dans l'arène c'est toutes cornes dehors, sous la bannière de cet «éco-féminisme» qui tient l'homme pour coupable à la fois des féminicides et de la déforestation. La gauche ricane sous cape, mais elle est moins amusée quand advient l'affaire Bayou, ou la mise à mal, à nouveau, d'un «camarade» de coalition.

 Julien Bayou est secrétaire national d'EELV, député et coprésident du groupe écologiste à l'Assemblée. Le 19 septembre dernier, lors d'une émission de télévision, Sandrine Rousseau révèle en direct que la cellule VSS - «violences sexistes et sexuelles» (sic) - du parti écologiste s'est autosaisie du «cas» Bayou après qu'une ancienne compagne eut signalé des «violences psychologiques» de sa part. Pour le plus grand embarras d'une NUPES qui a inscrit la lutte contre les violences sexistes au coeur de son programme politique.

 «Vulgaire déballage»

Julien Bayou décide de quitter ses fonctions à la tête du parti, s'estimant piégé par une situation «intenable» dans laquelle il ne saurait faire valoir sa défense. Une contre-attaque est menée par son avocate: «Julien Bayou constate avec amertume et colère l'instrumentalisation du juste combat contre les violences sexuelles et sexistes à des fins politiques», a-t-elle dénoncé devant la presse, déplorant un «vulgaire déballage». Et l'avocate de mettre le feu aux poudres en ajoutant que «personne n'ignore que le congrès des écologistes se tient en fin d'année». S'agissait-il pour Sandrine Rousseau d'éliminer un rival politique?

Autre problème: c'est chez elle, au coin du feu pour ainsi dire, que la députée avait «entendu» l'ancienne compagne de Bayou et recueilli ses confidences sur son couple. Les détracteurs de Rousseau aussitôt dénonçaient un «tribunal privé» - «Il est temps de siffler la fin de la récréation» lance le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti. «On est en train de créer une justice de droit privé qui n'a strictement aucun sens.»

Mais il y a un moment déjà que la gauche est plongée dans la tourmente des violences conjugales. Car avant les écologistes avec Bayou, ce sont les Insoumis qui se sont trouvés aux prises avec un «déviant» dans leurs propres rangs.

Adrien Quatennens, le flamboyant rouquin de LFI, était appelé à assurer la relève de son patron Mélenchon, dont il était le poulain le plus prometteur. Or lui aussi s'est mis en retrait de son poste de Coordinateur de La France insoumise, après les révélations du « Canard Enchaîné» sur la main courante déposée par sa femme (la «main courante», moins formelle qu'une plainte, est une trace écrite prouvant qu'une personne a eu recours aux services de police). Le numéro 2 de LFI admet qu’il y a eu des «disputes» dans son ménage et reconnaît avoir donné une «gifle» à son épouse, tout en précisant avoir «profondément regretté ce geste». C'est Sandrine Rousseau surtout qui a appelé Quatennens à se mettre «en retrait de toute parole publique».

 Or le patron, Jean-Luc Mélenchon, apporte son soutien à son protégé, éreintant par contre «la malveillance policière» et le «voyeurisme médiatique». Ce fin stratège, dont on attendait un mot d'empathie pour l'épouse giflée, salue la «dignité» de Quatennens et lui rappelle son «affection», ce qui est gentil mais maladroit.

Des abus en cascade

En fait, depuis le printemps, l'affaire Quatennens est le troisième dossier relatif à des atteintes sexistes ou sexuelles accablant La France insoumise. Le 10 mai, l'activiste Taha Bouhafs renonçait à sa candidature aux législatives, se disant victime d'un harcèlement raciste en raison de ses origines et de son engagement. Mais le «Comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles» (sic) de LFI reconnaîtra ensuite avoir reçu à son sujet un «témoignage relatant des faits supposés de violence sexuelle». Quelques semaines plus tard, le 3 juillet, c'est le député LFI Eric Coquerel, nouveau président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui est accusé de harcèlement par la militante de gauche Sophie Tissier, qui évoque des «gestes déplacés» lors d'une soirée dansante. Un simple «flirt» pour Coquerel, qui nie tout comportement violent ou contraignant.

Effet de contagion? Fièvre généralisée? Alors que la gauche s'affole, la droite à son tour perd son sang-froid. Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance (la nouvelle appellation du mouvement La France en Marche fondé par Emmanuel Macron) évoque devant l'Assemblée le problème des violences aux femmes et fait allusion à l'affaire Quatennens: «Depuis plusieurs semaines, on entend ceux qui parlent de leur ''affection'' pour un homme qui frappe sa femme.» Attaque ad hominem: la chambre basse est en ébullition, les réseaux sociaux s'enflamment et décernent à Bergé le «prix de l'indécence et de l'instrumentalisation politique». On fait valoir, à gauche, que la présidente de Renaissance fut moins indignée quand Gérald Darmanin, ministre macronien de l'Intérieur, fut accusé de viol et de harcèlement, affaire close entre-temps par un non-lieu ordonné le 8 juillet 2022.

Des casseroles

Quelles impressions, quelles constatations ou hypothèses tirer ou retenir de ce tumulte?

On peut avoir l'impression que la France, la douce France de l'amour courtois, est un pays où chaque jour les couples se battent comme plâtre, et où la chronique politique même est l'interminable inventaire d'agressions sexuelles.


France's leftist La France Insoumise (LFI) party leader, Member of Parliament and leader of left-wing coalition Nupes (Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale - New Ecologic and Social People's Union) Jean-Luc Melenchon waves during the election evening at the Nupes headquarters, following the first round of France's parliamentary elections in Paris, on June 12, 2022. - The united left (25% to 26.2%) and President Macron's camp (25% to 25.8%) came neck and neck in the first round of legislative elections on June 12, 2022, against a backdrop of record abstention (52.1% to 52.8%), opening up the game for the second round in a week. (Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Comment s'est construit le succès de l'anti-Macron ?
Le virage à gauche lors des élections françaises est à mettre au crédit de Jean-Luc Mélenchon. Et ce, même si une majorité a peur de lui.

L'impression que l'opposition, en France, est occupée à gérer sa libido plutôt qu'à proposer des solutions à un pays où les taux d'abstention aux élections montrent que la politique a largement perdu de son prestige, de sa crédibilité, de son pouvoir de mobilisation.

Que face aux camarades pris en faute l'esprit de groupe prévaut encore et toujours sur l'esprit de justice. Que la tradition franchouillarde des loyautés viriles pousse un Mélenchon, féministe côté vitrine, à affirmer sa sympathie au gifleur plutôt qu'à la giflée.

Le constat que la gauche, qui depuis les années Hollande fait naufrage par obsolescence, se donne maintenant le coup de pied de l'âne, s'employant à maintenir sa propre tête sous l'eau. Que ce sabordage procède de l'effet conjugué de deux travers principaux: l'excès de zèle qui met à mal les luttes écologiques et sociétales en les polarisant sur des objets triviaux et/ou mineurs, et par ailleurs la concession de ces luttes à quelques figures de proue qui préfèrent le ridicule médiatique à l'efficacité politique.

Que cet auto-sabordage était d'emblée programmé, par la constitution opportuniste d'une coalition NUPES trop hétéroclite, dont chaque composante aura perdu de sa force en bradant sa singularité, de sorte que ni l'une ni l'autre n'est plus en mesure d'affronter les enjeux du moment - une transition écologique digne de ce nom, la mise à profit du phénomène «Me-Too» pour l'établissement d'un nouveau contrat social, la réforme du travail, de la retraite, une réflexion en profondeur sur les modalités du vivre-ensemble, sur les questions éthiques, sans parler des réponses que les amis de la France attendent quant au rôle qu'elle compte endosser dans un monde en feu.

Des amis qui voudraient l'entendre, la France, mais qui pour l'heure ne perçoivent qu'un assourdissant bruit de casseroles.

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