Crimes parfaits à la belge
Crimes parfaits à la belge
De notre correspondant MAX HELLEFF (Bruxelles) - L’idée que des crimes puissent passer inaperçus au point d’être qualifiés de «parfaits» a fait le bonheur de nombreux romanciers et cinéastes. Ce n’est toutefois pas à une fiction qu’est confrontée aujourd’hui la justice belge, mais à une triste réalité qui pose question sur son fonctionnement.
«Chaque année en Belgique, rapporte Le Soir, environ 75 meurtres passeraient au bleu». Ces morts jugées naturelles à première vue se diluent dans les quelque cent mille décès «ordinaires» que connaît chaque année le pays. Elles résultent d’empoisonnements cachés, de fausses noyades ou encore d’accidents camouflés.
Ce nombre interpellant est rendu public au moment où la médecine légale peine à recruter des candidats. Les médecins nouvellement formés évitent de s’engager dans une spécialisation réputée pour sa pénibilité tant elle implique d’heures supplémentaires, de paperasses administratives et de faibles rémunérations.
Le ministère de la Justice menacé de poursuites
Toujours dans Le Soir, un médecin légiste explique que l’Institut médico-légal de l’Université de Liège a dû menacer le ministère de la Justice de poursuites en… justice pour enfin récupérer le paiement de 800.000 euros sur le million qui lui était dû en arriérés par l'Etat. Le légiste ajoute: «Le crime parfait n’existe en Belgique que par défaut des pouvoirs publics.»
Un autre médecin affirme qu’il est «difficile d’estimer le nombre d’homicides qui échappent à la justice pénale, et ce justement parce qu’ils n’ont pas été détectés. Mais le nombre de faits qui nous reviennent après des aveux tardifs par exemple, alors que le décès avait été classé comme une mort naturelle, peut servir d’indicateur». Il estime pour sa part à 15 % environ le nombre de morts déclarées «naturelles» qui ne le seraient pas.
De nombreux handicaps structurels
Ce manque de moyens vient s’ajouter à la litanie de handicaps structurels qui empêchent depuis des décennies le bon fonctionnement de la justice. Si l’on en revient aux autopsies, le royaume fait pâle figure à côté de ses voisins: «8% d'autopsies en Allemagne, 12% aux USA, 24% en Angleterre et même de 30 à 50% dans les pays scandinaves», précise le quotidien de la rue Royale.
Une proposition de loi visant à résoudre ce problème avait été déposée en 2012, mais n’avait pas été adoptée. Celle-ci serait en voie d’être remise en selle pour que les crimes à venir ne restent pas impunis.
Les maigres moyens de la justice belge l’ont parfois amenée à faire confiance à des individus sans scrupules. En avril dernier, la cour d'appel de Liège a ainsi condamné un quadragénaire à une peine de 10 ans de prison ainsi qu'à une mise à disposition du tribunal de l'application des peines d'une durée de 10 ans. Cet ancien policier des mœurs, reconverti en expert judiciaire, avait commis de nombreux faits de viol sur des jeunes femmes droguées au GHB.
Une absence de moyens avec des effets en cascade
L’absence de moyens a des effets en cascade. L’«effectivité des courtes peines» de détention (2 à 3 ans) est ainsi reportée de six mois à un an, malgré la promesse du gouvernement de les faire enfin purger. Il n’a toutefois pas réussi à ce jour à créer de nouvelles places pour que les petites condamnations soient bien effectuées en prison.
En juin 2021, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne a annoncé que près d’un demi-milliard d’euros sera ajouté progressivement au budget de son département d’ici 2024, qui grimpera ainsi de 2 milliards à 2,45 milliards d’euros. Ce qui passe pour le plus gros investissement de ces dernières décennies dans la justice belge est on ne peut plus attendu.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
