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Une boule de Noël belgo-luxembourgeoise pleine de culot

  • Le ballet des verriers
  • Une tradition locale ressuscitée
  • Nicolas Verschaeve, créateur de la boule 2022
  • La transmission d'un savoir-faire
  • Un parcours complet à travers le site verrier
  • Le ballet des verriers 1/5
  • Une tradition locale ressuscitée 2/5
  • Nicolas Verschaeve, créateur de la boule 2022 3/5
  • La transmission d'un savoir-faire 4/5
  • Un parcours complet à travers le site verrier 5/5

Une boule de Noël belgo-luxembourgeoise pleine de culot

Une boule de Noël belgo-luxembourgeoise pleine de culot
Fabriquée en Moselle

Une boule de Noël belgo-luxembourgeoise pleine de culot


par Pascal MITTELBERGER/ 09.12.2022

Chaque année, les verriers de Meisenthal, en Moselle, fabriquent avec minutie une boule de Noël au design différent.Photo: Chris Karaba

Depuis plus de 20 ans, le centre d'art verrier de Meisenthal, en Moselle, fabrique des boules de Noël en verre mêlant gestes séculiers et design contemporain. Le modèle 2022, baptisé Extra, est l'œuvre du Belgo-Luxembourgeois Nicolas Verschaeve.

Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
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Le ballet des verriers
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Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
Chris Karaba

Plus qu'une production, c'est un spectacle captivant. Le rythme est soutenu, les gestes sont millimétrés. A les regarder travailler, tout paraît simple, alors qu'ils font de la haute couture.

Fabriquer une boule de Noël de Meisenthal est une œuvre collective. Six personnes s'affairent dans l'atelier aux murs de briques rouges, qui date de 1704: trois verriers, un ballotteur, un mouliste, un attacheur. Les trois derniers cités sont généralement de jeunes verriers en formation. 


Bild des Tages fir Méindesausgabe / Fotoen vum Kleeschen um Schëff an och dono ebessen vum Cortège an wei d'Kanner (am léiwsten onerkenntlech) eng Tiitchen kréien
1.800 lettres envoyées au «Kleeschen» via Post Luxembourg
En ce mardi 6 décembre, jour de Saint-Nicolas, la rédaction s'est penchée sur les lettres des enfants adressées au «Kleeschen».

Chacun a un rôle bien défini et des gestes bien précis à effectuer: de la bille de couleur placée au bout de la canne du verrier jusqu'à la pose de l'attache de la boule, en passant par le cueillage du verre en fusion dans le four à 1.150°C. Les opérations s'enchaînent méthodiquement, de manière synchronisée. «On appelle cela le ballet des verriers. Chacun fabrique sa boule de A à Z», résume Philippe Schampion, le chef d'atelier. La fabrication d'un exemplaire dure moins de quatre minutes montre en main.

Chaque jour, 200 exemplaires d'Extra, la boule de Noël contemporaine version 2022, sont produits dans cet atelier équipé d'un four, où s'activent des équipes de cinq à six personnes. Dans le jargon, on appelle cela une «place». Il y a trois «places» à la verrerie de Meisenthal. La production des boules de Noël reste donc artisanale, et suscite l'engouement et la curiosité à l'approche des fêtes.

40.000 visiteurs à la période de Noël

La «place» la plus ancienne - l'atelier datant de 1704 - est surplombée de balcons, d'où les visiteurs peuvent observer le travail des verriers. A certaines heures de la journée, ces derniers sont même équipés de micro et commentent leurs gestes et toutes les phases de fabrication. «On accueille 40.000 visiteurs en six semaines», indique Jean-Claude Schilt, maître verrier. Un véritable phénomène touristique dans un petit village d'un peu plus de 600 habitants, aux confins de la Moselle et de l'Alsace.


Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
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Une tradition locale ressuscitée
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Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
Chris Karaba

La boule de Noël a replacé Meisenthal sur la carte des verreries renommées, aux côtés des voisines que sont les cristalleries de Saint-Louis, à Saint-Louis-lès-Bitche, et Lalique, à Wingen-sur-Moder. Tandis que ces grandes maisons sont connues mondialement pour leurs créations luxueuses, l'histoire de la verrerie de Meisenthal est singulière.

La verrerie renaît

Fondée en 1704, elle a fonctionné jusqu'au 31 décembre 1969. La production y était axée sur les objets du quotidien: des verres, des carafes, des plateaux... La concurrence et la modernisation des process de fabrication sonnent le glas de l'usine, dont les bâtiments de briques rouges dominées d'une grande cheminée subsistent au cœur du village. 

Il y a tout juste 30 ans, en 1992, le cœur de l'usine se remet à battre grâce à des passionnés. Leur ambition: que le savoir-faire des derniers maîtres verriers du Pays de Bitche ne tombe pas dans l'oubli. Ce travail de transmission est entamé au CIAV: le centre international d'art verrier, lieu de rencontre et d'effervescence entre souffleurs de verre, apprentis, artistes, designers... 

La boule de Noël devient objet d'art

A la fin des années 90, le CIAV relance ainsi la production des boules de Noël en verre soufflé, un patrimoine local. En effet, elles sont nées à quelques kilomètres de Meisenthal, dans la verrerie de la commune voisine de Goetzenbruck, en 1858, et ont été fabriquées jusqu'en 1964, parfois jusqu'à 250.000 exemplaires par an. L'arrivée des boules en plastique sur le marché aura raison de celles en verre.

Les différents modèles des boules de Noël contemporaines de Meisenthal sont exposés dans le musée du Verre, voisin du CIAV.
Les différents modèles des boules de Noël contemporaines de Meisenthal sont exposés dans le musée du Verre, voisin du CIAV.
Photo: Chris Karaba

Depuis plus de 20 ans, Meisenthal reprend à son compte la tradition tout en lui conférant un caractère exceptionnel: chaque année, un modèle de boule est sélectionné, fruit du travail d'un jeune designer. Arti, Sylvestre, Kilo, Cumulus ou encore Vergo sont quelques-unes des créations de ces dernières années. A Meisenthal, la boule de Noël est ainsi élevée au rang d'œuvre d'art. «La naissance d'une boule, c'est génial! Mener un projet de A à Z en moins d'un an, produire 3.000 boules de septembre à Noël pour atteindre, à terme, 35.000 pièces, c'est super intense!», souligne Philippe Schampion.

Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
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Nicolas Verschaeve, créateur de la boule 2022
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Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
Chris Karaba

Cette année, la boule de Noël de Meisenthal se nomme Extra, et elle est l'œuvre de Nicolas Verschaeve, designer belgo-luxembourgeois de 27 ans. «Mon père est belge et ma mère est luxembourgeoise», précise-t-il. Au Grand-Duché, ses attaches familiales se situent du côté de Walferdange. «Mais j'ai grandi dans le sud de la France, ajoute-t-il, où j'ai suivi une formation en arts appliqués au lycée. Et à la suite de ça, j'ai poursuivi mes études à l'école des arts décoratifs de Paris où j'ai suivi un master en design pendant cinq ans. J'ai été diplômé de cette école en 2017.»

Nicolas Verschaeve, designer et créateur d'Extra, la boule de Noël de Meisenthal 2022.
Nicolas Verschaeve, designer et créateur d'Extra, la boule de Noël de Meisenthal 2022.
Photo: DR/CIAV/Guy Rebmeister

Après des premières expériences professionnelles dans des studios de design, Nicolas Verschaeve travaille à son compte depuis deux à trois ans. Mais son histoire avec Meisenthal est plus ancienne. Elle remonte à 2015: encore étudiant, il vient passer une semaine au CIAV. Puis le lien est renoué en 2020 , «pour développer un projet de recherche qui s'est étalé sur deux ans. Un projet qui s'appelle Sillages, à l'issue duquel on a produit une petite collection d'objets éditée en série limitée, un livre et une exposition qui s'est tenue au CIAV pendant six mois».

Le détail d'une bouteille

A la suite de ce projet, Nicolas Verschaeve est sollicité pour créer la boule de Noël de Meisenthal 2022. De son imagination et de sa créativité artistique naît Extra, assemblage de deux culots de bouteille. Il explique son cheminement: «Je me suis intéressé au patrimoine historique des verreries de Meisenthal et des Vosges du Nord, qui ont produit beaucoup d'objets du quotidien, d'art de la table: des bouteilles, des verres, des plats à gâteaux, etc. Et dans tous ces objets industriels qui sont autant d'objets anonymes, je me suis focalisé sur la bouteille en verre qui exprime peut-être le mieux la convivialité, le partage.»

Il y a un cahier des charges, assez contraignant du point de vue technique puisque l'objet doit pouvoir être soufflé. Il y a aussi des petites suggestions: la boule ne doit pas être polémique, il faut qu'elle puisse raconter une histoire, nous emporter dans un autre monde.

Yann Grienenberger, directeur du CIAV de Meisenthal
Yann Grienenberger, directeur du CIAV de Meisenthal
Yann Grienenberger, directeur du CIAV de Meisenthal
Photo: Chris Karaba

Le designer en retient un détail anodin, le fond incurvé avec ses petites stries, pour en faire un objet esthétique. De ses premiers croquis aux boules présentées en boutique, en passant par les prototypes réalisés dans un moule en plâtre puis la production dans les moules en fonte, c'est un travail de plusieurs mois qui se concrétise. 

Alors que la fabrication et la vente battent leur plein en ce mois de décembre, Nicolas Verschaeve apprécie l'expérience artistique et ses retombées. «C'est un objet assez modeste en soi et pourtant, ce qu'il représente, tout l'héritage de ces sites verriers porté à travers ce petit objet, c'est assez fou! Il y a une énorme visibilité autour de ça», souligne-t-il, satisfait que sa création touche aussi bien les initiés en art que les profanes attachés à la culture populaire locale.

Le designer belgo-luxembourgeois est également heureux d'avoir relevé un défi qui sort de l'ordinaire pour lui. «C'est le premier projet que j'édite en grande série. Il y aura presque 40.000 boules qui seront soufflées cette année. Ça me met face à mes responsabilités. Quand on produit un objet en cinq ou dix exemplaires et qu'on se trompe, c'est moins grave que sur 40.000 exemplaires. Et en même temps, si on en fait autant, c'est qu'il y a eu un bel accueil, que les gens l'apprécient. Donc c'est une belle récompense et surtout un beau travail d'équipe.»

Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
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La transmission d'un savoir-faire
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Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
Chris Karaba

La boule de Meisenthal est en effet - on l'a déjà dit plus haut - une œuvre collaborative, une communion entre le designer et l'équipe du CIAV, du personnel administratif à l'équipe en boutique, en passant bien entendu par les verriers. 


Des cloches fabriquées à partir de fragments d'obus
Baptisé All 4 Peace, ce projet symbolise l'amitié entre la France, l'Allemagne ainsi que le Luxembourg.

Ce travail, outre la production des quelque 40.000 unités, remplit aussi un autre rôle, érigé en priorité de centre d'art verrier: transmettre le savoir-faire. Ainsi, dans chaque équipe présente dans les ateliers, on retrouve des stagiaires, notamment des élèves du lycée professionnel Labroise de Sarrebourg. C'est le cas de Valentin, en 2e année de CAP Art du verre et du cristal. Ce matin-là, il est affecté au poste de mouliste. «Le travail du verre m'a toujours attiré. Après mon CAP, je pense faire un apprentissage», explique-t-il. 

Ce stage durant la période de Noël permet à Valentin de voir l'envers du décor. «Je suis originaire de Goetzenbruck, le village voisin. D'habitude, quand je venais au CIAV, je voyais les verriers s'activer depuis là-haut», pointant les balcons d'où le public peut observer le travail des équipes. Cette année, le voilà au cœur de la production des boules de Noël.

Une histoire de famille

Cette transmission du savoir et des gestes est un des leitmotivs du maître verrier Jean-Marc Schilt. «Mes parents ont travaillé à l'usine à Saint-Louis, moi-même j'ai commencé à y travailler, d'abord à la maintenance des outils de production puis comme verrier, et je suis à Meisenthal depuis 2002. C'est à mon tour de transmettre mes connaissances», affirme-t-il. Pour Jean-Marc, ce passage de témoin se double d'une satisfaction personnelle: son fils Thomas est aussi verrier au CIAV. 

Et ce travail de transmission ne s'arrête pas à la production des boules de Noël, qui s'étale de septembre à décembre. Bien au contraire. «De janvier à Pâques, c'est une période un peu plus calme, on en profite pour accueillir des étudiants et créer des cellules de recherche, faire du prototypage. Et à Pâques démarre la saison touristique: on fabrique de petits objets - des petits verres, des petits vases - que l'on vend en boutique. Avant, donc, d'attaquer les boules de Noël en septembre.»

Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
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Un parcours complet à travers le site verrier
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Virgule, Centre international d'Art Verrier, Meisenthal, Boule de Noël, Verre, Foto: Chris Karaba/Luxemburger Wort
Chris Karaba

70.000 boules de Noël sortent des trois «places» de Meisenthal chaque année: une moitié du nouveau modèle, une autre d'anciennes créations rééditées. «Ce volume est induit par nos équipements, nos trois fours, nos verriers», rappelle Yann Grienenberger, directeur du CIAV. 

Nous procédons de l'artisanat raisonné: avec les équipements que nous avons, avec les femmes et hommes qui composent l'équipe, nous produisons ce que nous pouvons, avec passion.

Yann Grienenberger, directeur du CIAV de Meisenthal

L'engouement et la demande sont forts mais, outre les capacités de production du site, la boule de Meisenthal répond aussi à une philosophie. «Nous sommes comme un agriculteur de fond de vallée qui exploite ses terres de manière raisonnée. Nous procédons de l'artisanat raisonné: avec les équipements que nous avons, avec les femmes et hommes qui composent l'équipe, nous produisons ce que nous pouvons, avec passion. Et nous vendons principalement en circuit court, ici à Meisenthal».

Cela fonctionne, puisque 40.000 personnes défilent au CIAV en l'espace de six semaines en cette fin d'année. La boule de Noël participe donc à la promotion touristique d'un territoire rural, reculé. Et pour attirer et retenir ces visiteurs, le site verrier a subi une véritable métamorphose ces dernière années.

Un énorme chantier de réhabilitation a été mené par la communauté de communes du Pays de Bitche, et 15 millions d'euros ont été investis. Le CIAV a été agrandi, permettant l'installation de deux nouveaux fours. Une boutique digne de ce nom a été construite.

Le musée du Verre, qui existait déjà, a été complètement transformé et sa surface a été doublée: on y retrouve une salle sur les techniques de fabrication du verre, à chaud ou à froid; une autre sur les objets fabriqués dans les verreries lorraines à travers l'histoire; ou encore un espace dédié aux œuvres d'Emile Gallé, qui a collaboré avec la verrerie de Meisenthal dans la seconde moitié du XIXe siècle.

La halle verrière de Meisenthal est devenue une salle culturelle, pour des expositions, des spectacles, des concerts, des festivals.
La halle verrière de Meisenthal est devenue une salle culturelle, pour des expositions, des spectacles, des concerts, des festivals.
Photo: Chris Karaba

En face du musée, on retrouve enfin l'immense halle verrière, lieu emblématique du site. Le bâtiment industriel, dans lequel d'anciens fours ont été conservés, est aujourd'hui devenu un lieu de culture, à la fois salle d'exposition, de spectacle, de concert. La programmation y est éclectique, de l'art contemporain à la musique métal en passant par les arts de la rue. 

Le visiteur du site verrier de Meisenthal est ainsi invité à suivre un parcours fléché, qui l'emmène d'un bâtiment à l'autre, d'une ambiance à l'autre. Il baigne à la fois dans un lieu patrimonial remarquable et dans un véritable bouillon de culture qui vaut le détour, à deux heures de route du Luxembourg.

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