TER: «On nous vend du rêve, au final c'est de pire en pire»
TER: «On nous vend du rêve, au final c'est de pire en pire»
Gare de Thionville, mercredi, 17h20. À la sortie du TER en provenance de Luxembourg, un message retentit sur le quai: la SNCF invite à «un temps d'échange», sur l'actualité de la ligne. La très grande majorité des usagers, happée par un quotidien millimétré, fonce tête baissée vers la sortie. Mais quelques-uns s'arrêtent à hauteur d'un groupe de personnes en gilets verts, posté un peu plus loin sur le quai: il s'agit de responsables de différents services de la compagnie ferroviaire.
Tous le répètent à l'envi: ils sont conscients du calvaire journalier des usagers de la ligne du sillon lorrain. Une feuille est distribuée, résumant les difficultés actuelles: l'augmentation régulière de travailleurs frontaliers (5 à 6% par an); la fin du télétravail illimité; le coût des carburants... qui a incité encore plus de monde à prendre le train. Mais, assure-t-on en chœur, le bout du tunnel n'est pas si loin.
Vision future contre galère présente
Un des responsables tient même un discours résolument optimiste. «Nous avons des rames qui ont un niveau de confort impressionnant, mais nous rencontrons des problèmes de capacité. Globalement, l'offre proposée est quand même incroyable. Et il faut aussi voir les perspectives. Actuellement, nous avons un chantier de renouvellement de voies ballast à hauteur de Hettange-Grande qui oblige les trains à ralentir et rallonge le trajet de 7 minutes, avec des adaptations d'horaires. À partir du 10 décembre, ce ne sera plus que 3 à 4 minutes. Et d'ici un an, nous réceptionnerons 16 rames dites 5 caisses (plus grandes que les actuelles, NDLR) qui étaient jusque-là utilisées en Normandie.»
Malheureusement, ces propos se heurtent à deux choses. La première - pas de chance! -, ce sont les perturbations de cette fin de journée de mercredi: aux haut-parleurs, les trains en provenance du Luxembourg sont, les uns après les autres, annoncés avec du retard.
Je suis déjà fatiguée avant de commencer ma journée de travail. (...) Je prends le train depuis 30 ans, ça n'a jamais été aussi catastrophique!
Une usagère du TER en colère
La seconde, c'est l'exaspération, la colère des usagers, fatigués par ces problèmes à répétition, laminés par un été - et une petite semaine début novembre en bonus - rythmés par les bus de substitution entre Bettembourg et Luxembourg, échaudés par les modifications d'horaires cet automne.
Cela débouche sur une discussion animée entre un gilet vert et une sexagénaire au bout du rouleau, trois décennies de TER Thionville-Luxembourg à son palmarès. «Il y a tous les jours autre chose! Je suis déjà fatiguée avant de commencer ma journée de travail. C'est le stress, j'ai la boule au ventre quand j'ai une réunion à 9h et que je ne suis pas sûre d'être à l'heure. Je prends le train depuis 30 ans, ça n'a jamais été aussi catastrophique!» Le ton est donné.
Quelques instants plus tard, un autre responsable SNCF entame la discussion avec un homme, casque vissé sur la tête et trottinette à la main. «J'ai laissé tomber la bagnole pour prendre le train, mais si ça continue comme ça… C'est très dur au quotidien. On est serré comme des sardines, les gens sont à fleur de peau.» Une dame enchaîne: «Je ne sais plus à quelle heure je dois me lever pour aller travailler au Luxembourg, c'est fatigant.»
Des journées à rallonge
Ce dernier témoignage nous renvoie à une discussion tenue le matin même sur un autre quai, à Metz, dans l'attente d'un train déjà en retard. Margaux est employée dans un commerce de Luxembourg. «J'habite en Moselle-Est, à proximité d'une petite gare de plus en plus mal desservie. Je dois être sur mon lieu de travail à 9h. Avant, je partais à 7h30 de chez moi. Aujourd’hui, je me lève à 5h30, je pars de chez moi en voiture à 7h pour rejoindre directement la gare de Metz, ce qui m'oblige à prendre et payer un abonnement de parking. Malgré cela, en raison des retards et autres suppressions de trains, j'arrive quand même en retard... Et prendre la voiture ne changerait rien à l'affaire. Le soir, je repars pour la même galère et rentre chez moi à 21h30.»
Depuis 2012, j'ai vu le service se dégrader avec le temps.
Laurent, un usager «fatigué»
Tout comme Margaux, Laurent est «un usager fatigué» du TER du sillon lorrain, qu'il emprunte depuis 2012. C'est avec cette mention qu'il a signé une lettre à l'attention de Jean Rottner, président de la région Grand Est, et de la SNCF, rédigée début novembre et publiée sur son compte Twitter. «Pendant des années, j'ai réagi sur Twitter de manière virulente, parfois très limite, sans que rien ne change. Cette fois-ci, j'ai décidé de faire quelque chose de plus posé».
Dans sa diatribe, Laurent raconte: «Depuis 2012, j'ai vu le service se dégrader avec le temps.» Avant de s'attaquer à ce qu'ont vécu les usagers au cours de ce second semestre 2022: sur les 26 semaines, «8 semaines avec trains terminus Bettembourg pendant l'été, et une semaine supplémentaire en novembre. Puis des travaux sur la ligne côté français du 7 novembre au 10 décembre, soit 5 semaines. Donc sur cette période de 26 semaines, il y aura eu 14 semaines de grosses perturbations. Un ratio de 53%.»
On entend évidemment l'insatisfaction et l'exaspération de nos clients.
Christophe Laurent, de la SNCF
Son raisonnement prend uniquement en compte les adaptations des horaires, pas les trains retardés ou supprimés, lot fréquent des travailleurs frontaliers. Dans sa lettre, Laurent complète son propos avec une liste, non exhaustive, de problèmes rencontrés depuis 10 ans.
Il n'a pas encore eu de retour de Jean Rottner. Par contre, Christophe Laurent, responsable satisfaction clients nord lorrain à la SNCF, lui a répondu. «En gros, on m'explique qu'il y a trop d'entités différentes qui interviennent sur cette ligne et que c'est compliqué à gérer», affirme Laurent. Qui ne croit plus du tout aux arguments, justifications et assurances d'amélioration future avancés par les sociétés ferroviaires, SNCF ou CFL. «À chaque fois on nous vend du rêve, en nous assurant que ça ira bientôt mieux. Et au final, c'est de pire en pire.»
Christophe Laurent, justement, était sur le quai à Thionville mercredi en fin de journée. Sa fonction est vaste, mais il absorbe notamment les critiques des usagers au quotidien. «On entend évidemment l'insatisfaction et l'exaspération de nos clients», souligne-t-il.
La grève du paiement?
On pourrait rajouter rébellion. «J'entends des gens dire qu'en signe de protestation, ils vont arrêter de payer leur abonnement, reprend Margaux. Ce n'est pas idiot. De toute manière, au vu de la densité qu'il y a dans les wagons, je serais curieuse de voir un contrôleur se frayer un passage pour vérifier les billets… »
Toutes ces critiques ne sont pas nouvelles, mais s'étoffent de semaine en semaine. Et elles vont à coup sûr ressurgir haut et fort mardi 29 novembre. Ce jour-là, à 18h, l'hôtel de région de Metz accueillera la réunion annuelle du Corest sillon lorrain nord, organe qui rassemble les usagers et associations d'usagers, les responsables de la ligne Metz-Luxembourg ou encore des élus. Cette réunion est publique.
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