«On ne montre pas la maladie de Charcot à la télé car elle fait peur»
«On ne montre pas la maladie de Charcot à la télé car elle fait peur»
Si son corps est sclérosé, sa pensée s'articule parfaitement. À la vue de cette dichotomie, le visiteur peut être pris d'une autre forme de paralysie: la gêne. Celle d'être là, debout, face à lui. Lui, c'est Maxime Fouquet. Ce Thionvillois de 36 ans est atteint de sclérose latérale amyothrophique. Plus connue sous le nom de maladie de Charcot - nom du médecin qui en a fait sa découverte - cette affection neurodégénérative s'attaque à la chair, mais épargne l'esprit. Sorte de dégradation en pleine conscience. Impitoyable.
Volkrange. Dans ce lotissement situé en lisière de forêt, rien ne distingue la maison des Fouquet des autres pavillons : murs au crépi blanc, toiture de tuiles noires et garage accolé. Rien si ce n'est ces deux petites rampes en tôle placées sur les marches d'entrée. Pas le temps de sonner que Stéphanie ouvre la porte: «Entrez, Maxime est dans le salon. Il vous attend.» Et de pied ferme.
Cloué sur son fauteuil roulant, l'homme scrute son vis-à-vis. Sans rien dire. Un silence de cathédrale dans lequel notre «bonjour» finit par s'évanouir. Maxime détourne son regard et le porte sur une tablette placée à hauteur de nez. Ses yeux la balaient dans tous les sens avant qu'une voix métallique ne s'en échappe : «Bonjour. Vous pouvez vous asseoir... Non, pas de ce côté, plus vers moi, j'ai du mal à tourner la tête.»
Un jour, je n'ai pas réussi à gonfler le ballon du petit...
Maxime Fouquet
Décembre 2021. Après neuf mois d'examens (scanner, IRM, électromyogramme...) pour éliminer toute autre possibilité, Maxime s'entend confirmer ce diagnostic sous la forme d'une sentence irrévocable. «Dès le début, déclare Stéphanie, dès qu'il a eu des douleurs dans les avant-bras et des difficultés de déglutition, il était persuadé d'être atteint de la maladie de Charcot.» Maxime, lui, livre un souvenir au traumatisme encore palpable: «Un jour, je n'ai pas réussi à gonfler le ballon du petit...»
Le «petit», c'est Robin, son portrait craché. Le 24 février dernier, jour de ses 3 ans, son père écrit ceci sur Facebook: «Tu es un petit garçon merveilleux et te voir grandir et évoluer me donne la force de tenir. Tu me fais penser à moi petit, toujours à fond, toujours souriant et la joie de vivre. J'aurais voulu te donner tellement plus, mais ton pouvoir d'adaptation me sidère ! JE T'AIME ROBIN.»
Fauteuil, mariage et vidéo au million de vues
En raison de la progression de la maladie, Maxime et Stéphanie ont dû avancer la date du mariage. Prévu initialement en septembre 2022, il a été célébré le 7 mai dernier à la mairie de Chieulles. Le fameux «oui je le veux», Maxime le formula de vive voix. Et debout. «C'était trop important pour moi», confie Maxime qui attendra l'ouverture du bal pour prendre place pour la première fois dans ce fauteuil. «La veille, alors qu'il se trouvait devant la porte de la maison, ses jambes ont lâché et il est tombé. Il n'a pas pu mettre les mains et son visage a heurté le mur», confie Stéphanie, ses mains caressant le visage de son amoureux à la recherche de ces blessures disparues. «C'est vrai que j'ai abîmé le crépi, lâche Maxime. Mais c'est normal, j'ai la tête dure...»
Maxime est atteint de la forme bulbaire (voir encadré) de la maladie de Charcot. «C'est la pire!», dit son épouse. «La plus rapide, ajoute-t-il. Trois ans de survie en moyenne...» Ce temps, cet ancien responsable commercial et marketing chez Leaseplan Luxembourg va très vite décider de l'exploiter.
De février à mai 2022, sous la direction de Guillaume Labate, il va tourner un film de sensibilisation où on le voit tour à tour chez lui avec sa femme et ses enfants, chez le kiné lors de ses séances, sur le terrain de football en schiste rouge de l'US Volkrange, mais aussi debout au bord d'un précipice situé sur les Terres Rouges. «C'est assez parlant, non?», demande Maxime dont le clip livre un message («Dans la vie, on attend toujours d'être impacté avant de réagir») avant de se conclure sur un plan de lui, quelques mois plus tard, face caméra. En chaise roulante.
Par ce biais, cette vidéo touche précisément un point essentiel : la visibilité de la sclérose latérale amyothrophique. «Une association nous a dit que si l'on ne voyait rien à ce sujet à la télévision, c'est parce que cette maladie fait peur.» Depuis sa diffusion, la vidéo connaît un certain succès. «Elle a dépassé le million de vues tous réseaux cumulés! C'est pas mal, non?», déclare Maxime chez qui l'on devine une espièglerie dans le regard.
On devine car la forme bulbaire entraîne, très tôt, une importante labilité émotionnelle. Pour lui permettre de contenir ses émotions, Maxime est sous paroxétyne, un antidépresseur. Dans son cocktail journalier, on retrouve du tramadol (analgésique), baclofène (myorelaxant) et du riluzole, substance qui agit sur le système nerveux central et a pour but de ralentir la destruction des motoneurones.
En Suisse, il se procure du masitinib
Depuis février, un autre médoc s'est ajouté à la liste: le masitinib. Ce traitement, créé par la biotech française AB Sciences, a reçu le 29 décembre 2022 l'autorisation par la Food & Drug Administration (FDA), l'autorité sanitaire américaine, de débuter les essais cliniques de phase III. Soit la dernière étape avant une éventuelle mise sur le marché. Bien que celle-ci ne soit pas encore officielle, Maxime a pu s'en procurer par l'intermédiaire d'un neurologue suisse. Une consultation facturée 300 euros, et 160 francs suisses de frais de port, il recevait quelques semaines plus tard le fameux produit par voie postale.
Le 27 février, via Facebook, il publie : «Sachez que j'ai réussi à me procurer le masitinib (médicament français) par la Suisse qui se préoccupe des patients et non des finances... Alors oui, il y a des effets secondaires, mais en attendant, en une semaine, j'ai beaucoup moins de fasciculations et moins de rigidité musculaire! Et la Suisse est la seule à me donner une chance de me battre!»
Par ce message, qui n'est pas une attaque contre la France («un pays que j'aime et dont je suis fier des valeurs») Maxime croit toutefois mettre le doigt sur le nœud du problème. Le manque de moyens donné à la recherche. Une question dont s'est fait l'écho le sénateur du Gers, Alain Duffourg (UDI) le 28 juillet 2022. Ce dernier interpella la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche quant à l'étude réalisée, au niveau européen et international, sur le lien existant entre l'axe cerveau-intestin et la SLA.
Transplantation fécale, colibri et SLAvenger
Le 6 octobre dernier, le ministère soulignait que «le plan national maladies rares 3, lancé en juillet 2018 (...) est doté de 780 M€ de financement spécifique pour les maladies rares». Dans cette réponse, on peut lire également qu'un programme (FG-GOAL), devant inclure «une cohorte franco-germanique de patients atteints de SLA», doit permettre «l'étude de la transplantation fécale du microbiote sur les patients atteints de SLA».
Tel le colibri de la fable amérindienne, l'ancien stoppeur de l'US Volkrange veut contribuer à cette recherche et a créé pour cela «Stop à la maladie de Charcot». Cette association, dont l'adhésion annuelle va de 20 euros (Bronze) à 120 euros (Or), se donne pour but de récolter des fonds destinés «à la mise en place d'événements, à aider les malades, à faire connaitre la maladie et à soutenir la recherche!». Il a également lancé une pétition sur Change.org intitulée Stopper la maladie de Charcot et les autres maladies neurodégénératives qui a recueilli, à ce jour, 122.816 siagnatures.
Terrible pour la personne qui en est atteinte, la maladie de Charcot impacte considérablement son entourage.. Tant sur le plan humain que financier. Pour la soulager, et alors qu'elle continue de travailler, Stéphanie peut compter durant la journée sur Elisabeth. Aide à domicile, celle-ci est présente de 9h à 20h30. Trois fois par jour, un infirmier vient administrer les repas via une sonde gastrique posée à Maxime en octobre dernier. La nuit, Stéphanie s'occupe de tout.
Bon, j'ai de la chance, je n'ai pas plus de 60 ans...
Maxime Fouquet
A noter qu'une deuxième personne vient aider Elisabeth pour la toilette du matin et pour le coucher. Celle-ci, Maxime l'a dénichée via Facebook dans une annonce symbolisant bien l'humour de celui qui se définit comme un «SLAvenger» : «Tu es étudiant à l'Ifsi (NDLR: Institut de formation en soins infirmiers) de Thionville en 2e ou 3e année où passionné pour aider les autres! Tu souhaites générer un revenu et mettre en pratique ce qu'on t'enseigne? Recherche un binôme motivé pour effectuer le coucher d'un relou personnage. Possible emploi futur temps plein.» «Au fond, toutes ces personnes sont mes bras et mes jambes. Elles me permettent de ''vivre''. Malheureusement, c'est un métier peu reconnu...»
Sur le plan financier, le matériel dont dispose Maxime représente un coût pour le moins conséquent. «Entre le fauteuil (16.000 euros), le Scalamobil (7.000 euros), le verticalisateur (1.000), le lit (6.500 euros), la voiture, même si elle a 200.000 kilomètres au compteur, la tablette (1.300 euros) et le logiciel à vision oculaire (800 euros), cela avoisine les 40.000 euros. Et évidemment, tout n'est pas pris en charge pas la Sécurité sociale et la mutuelle, une partie reste à notre charge, détaille Maxime avant de lâcher, un brin amer: bon, j'ai de la chance, je n'ai pas plus de 60 ans. Dans ce cas, mon allocation personnalisée d'autonomie (APA) serait encore moindre...»
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En juillet 2022, le sénateur Daniel Laurent (LR) a dénoncé au ministère de la Santé «qu'une personne de plus de 60 ans, qui ne travaille pas au moment où se déclare la maladie, voie ses droits aux aides techniques réduits à néant». Il précisait également que «les associations ont des propositions tant sur le plan de la recherche, de l'accès aux essais thérapeutiques, que sur le financement et l'amélioration de la prise en charge et du parcours de soins pour les personnes atteintes de la SLA.»
Toutes ces discussions, Maxime les suit avec intérêt mais s'attèle surtout à poursuivre son combat. «J'ai un caractère à ne rien lâcher et je me bats pour tous les malades dont on ne parle pas, mais aussi pour rendre fière ma famille et montrer à mes enfants qu'on n'abandonne jamais.»
Je veux vivre le plus possible. Après, si je n'en peux plus, je déciderai de partir...
Maxime Fouquet
Jamais, même lorsque le 15 décembre dernier, il est conduit aux urgences pour une infection pulmonaire. Deux jours plus tard se pose la question de son intubation. Une technique qui doit être prise en accord avec le malade ou son entourage. «Au prétexte qu'il pouvait y avoir des complications lors de l'extubation, notamment une trachéotomie, on m'a conseillé d'y renoncer, confie Stéphanie. Mais heureusement, Maxime avait rédigé ses directives anticipées dans lesquelles il avait précisé que s'il le fallait, il acceptait de subir une trachéotomie.» Fin janvier, il était de retour chez lui.
D'ordinaire, la rédaction des directives anticipées va plutôt dans le sens d'un arrêt des soins. «Oui, c'est vrai. Mais je veux vivre le plus possible. Après, si je n'en peux plus, je déciderai de partir...» A-t-il déjà rédigé de telles directives allant dans ce sens? «Non, pas encore», dit-il tout en ajoutant s'être renseigné sur les différentes possibilités qui existent, notamment en Belgique.
C'est important de rédiger ses directives anticipées le plus vite possible (...) C'est la seule façon de faire respecter ses choix, et cela permet aussi d'avoir des échanges indispensables avec son entourage.
Maxime Fouquet
La question de la fin de vie, Maxime ne l'élude pas. «Ça va bouger. Il le faut. On doit avoir le droit de pouvoir partir comme on le souhaite. D'ailleurs, c'est important de rédiger ses directives anticipées le plus vite possible. Non seulement, c'est la seule façon de faire respecter ses choix, et cela permet aussi d'avoir des échanges indispensables avec son entourage. Et ça aide les personnes qui se retrouvent à devoir prendre des décisions...»
Pour le moment, Maxime Fouquet s'active à faire vivre son association. En septembre dernier, un gala s'est tenu à Amnéville où pas moins de 26.000 euros de dons ont été récoltés. La deuxième édition, prévue en septembre prochain, il la prépare déjà. A la vente, entre autres, des maillots de l'association dédicacés par Soprano qu'il a rencontré au Galaxie. «C'est un super mec!», glisse Maxime. «Il a arrêté sa répétition pendant une demi-heure pour venir me voir et discuter. Il m'a dit qu'il connaissait bien la maladie car deux amis à lui en sont atteints... C'est fou, c'est une maladie si rare que tout le monde connaît un cas...»
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Des amis, Maxime s'en est fait via l'association. L'un d'eux, Kévin, est décédé fin janvier. «On se reverra dans d'autres circonstances...» D'ailleurs, durant les trois heures passées en compagnie des Fouquet, jamais le mot tant redouté, et pourtant inéluctable, n'a été prononcé. A la vue de Stéphanie, attablée à donner à manger à Robin et Margaux (16 mois), il confie : «C'est eux ma motivation...»
Juste avant de partir, on lui demande, au fond, ce qu'il supporte le moins dans sa situation. Sa réponse a le don de faire rire: «Ce que je ne supporte pas? Qu'on me parle comme si j'étais un demeuré! Vous ne l'avez pas fait. Merci.»
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