«Ne plus être à dix pour parler avec le Luxembourg»
«Ne plus être à dix pour parler avec le Luxembourg»
A la tête d'une ville de 40.000 habitants, Pierre Cuny souhaite non seulement accélérer les échanges de part et d'autre de la frontière, mais aussi rééquilibrer la balance. Un objectif qu'il juge «pas impossible à partir du moment où il y a la volonté de collaborer.»
Votre programme électoral défendait la mise en place d'une «caisse de compensation» remplie à part égale entre Etat luxembourgeois et collectivités françaises frontalières. Quel but concret poursuivrait ce dispositif?
Pierre Cuny - «Le but tient avant tout dans la mise en place d'un développement harmonieux de ce territoire sur lequel se situe une frontière. Mais il ne peut l'être dans les années à venir à partir du moment où il y a un pays centripète qui absorbe les forces vives et des territoires adjacents qui ont tendance à s'appauvrir sur le plan de la main-d'oeuvre. Alors même que nous avons la chance d'être au centre de l'Europe et de nous situer à côté d'un pays dynamique. Il faut donc concilier tout ceci en prenant en compte les intérêts des uns et des autres.
Actuellement se pose le problème du retour sur investissement en termes de fiscalité. Dans ce cadre, je ne défends pas l'idée d'une rétrocession fiscale, comme cela existe avec la Suisse, mais plutôt celle de l'instauration d'un codéveloppement. C'est-à-dire que pour un euro investi dans une infrastructure routière, par exemple, d'un côté de la frontière doit également l'être de l'autre côté. Et nous avons commencé timidement à emprunter cette voie au travers de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
Un accord signé en mars 2018 et dont a directement bénéficié à Thionville, via notamment le financement de nouveaux P+R...
«Absolument. Nous avons perçu à ce jour, grosso modo, six millions d'euros. Je ne vais pas dire, comme certains, que ce n'est rien. Je trouve cela intéressant, car nous sommes bien dans du partenariat. Mais ce n'est pas suffisant. Je suis donc partisan d'aller explorer d'autres pistes, comme celles du télétravail que je soutiens depuis 2016.
Au jour d'aujourd'hui, la limite est fixée à 29 jours et au-delà, la fiscalité est prélevée en France. Je milite pour que la barre soit fixée à 56 jours et que les cotisations versées pour les frontaliers soient gelées et placées dans une caisse de compensation. Pourquoi ne pas expérimenter ce dispositif au sein du pôle métropolitain frontalier, situé entre Longwy et Thionville, qui rassemble quelque 356.000 personnes?
En tant que maire de Thionville, de quel(s) pouvoir(s) disposez-vous pour faire avancer cette idée?
«Aucun... Raison pour laquelle je reste persuadé que plus les acteurs seront nombreux et unis vers un même objectif et plus nous serons forts. Nous pouvons nous appuyer sur le sillon lorrain, qui représente plus d'un million de personnes issues des quatre métropoles qui le composent, et le pôle métropolitain frontalier pour être force de proposition.
Mais même si ces instances sont représentées au niveau national, cela s'arrête là. Nous devons donc jouer sur le lobbying. Quand le maire de Nancy, de Metz et/ou de Thionville parlent d'une même voix, l'Etat commence à entendre. Ne plus être dix entités côté français, mais deux ou trois face à un interlocuteur côté luxembourgeois, cela change pas mal de choses.
Si Anne Grommerch plaidait pour la création d'un monorail pour relier le Luxembourg, vous êtes, vous, favorable à la mise en place d'un RER. Qu'est-ce que cela signifie?
«Jusqu'en 2025, une hausse du nombre de voyageurs transportés sur le sillon lorrain est attendue. On va passer de 12 millions annuellement à 25 millions, car nous allons augmenter un peu la fréquence, mais surtout la taille des trains qui vont passer d'une capacité de 600 à 900 passagers. Mais toujours dans un cadencement TER, avec 135 trains quotidiens qui relient Thionville au Luxembourg. Dont 85 sont des trains de marchandises, ce qui représente près des deux tiers du trafic.
Or, il n'y a aucune pertinence à faire circuler ces trains sur les voies voyageurs, d'autant plus qu'ils ne circulent que de jour. Il suffirait de dévier une partie ce trafic vers Athus, ce qui permettrait de laisser passer une vingtaine de TER en plus entre 7h et 18h. Cela correspondrait à un cadencement de RER.
A quel horizon cette idée pourrait-elle voir le jour?
«Cela constitue un axe de proposition fort, raison pour laquelle je vais utiliser tous les moyens à ma disposition pour que cela devienne réalité. J'en ai même parlé de manière très informelle avec François Bausch qui m'avait indiqué son intérêt pour le projet qui pourrait être codéveloppé avec le Luxembourg. Car pour l'heure, le ferroviaire est financé à hauteur de 220 millions d'euros à part égale entre la France et le Grand-Duché, mais cela ne sera pas suffisant.
Vous avez évoqué le doublement attendu du nombre de voyageurs vers le Luxembourg d'ici 2025. La crise née de la pandémie de covid-19 ne va-t-elle pas redistribuer une partie des cartes?
«Si, et en profondeur selon moi. Notamment en lien avec le développement attendu du télétravail. Le déplacement physique va s'estomper ou du moins prendre une moindre ampleur. Cela va se voir à Thionville où 51% des actifs travaillent au Grand-Duché où je peux m'imaginer que le rush ne se fasse plus tant à la frontière que sur des sites dédiés au télétravail.
Justement, le site du s-Hub a été inauguré en juin 2019 et rencontrait, avant le confinement, un succès mitigé...
«Avant la crise, il y avait entre 20 et 30 personnes par jour, à un moment où personne ne croyait au télétravail. Aujourd'hui, tout le monde est convaincu. Aujourd'hui, le S-Hub n'est pas là pour se remplir mais de montrer que ce modèle est possible. C'est un prototype. Car il reste encore pas mal de points à résoudre, comme la question de la protection sociale, de la couverture santé ou bien encore une gestion du temps de travail, car employeurs et employés doivent savoir quand chacun a commencé et quand chacun doit aussi s'arrêter.
En matière d'aménagement du territoire, votre idée de codéveloppement va se concrétiser entre Micheville et Belval. Un tel scénario en direction de Thionville est-il envisageable selon vous?
«Je suis moins sensible à cette solution, mais en revanche, je plaide pour que l'EPA (Établissement public d'État, dispositif légal doté d'une autonomie administrative et financière destiné à accomplir une mission d'intérêt général, ndlr) soit étendu et ne soit pas seulement localisé sur Esch-Belval. Car qu'est-ce qui est en train de se mettre en place à Micheville? De l'habitat et très peu de développement économique.
Si je suis plutôt favorable au développement de zones dites franches, je ne suis pas favorable au développement de villes dortoirs comme ce sera le cas à Micheville. Pour moi, il faut que ce territoire soit structuré grâce à l'action coordonnée entre les villes d'importance, à savoir Esch-sur-Alzette et Thionville. Raison pour laquelle je rencontrerai en septembre le bourgmestre d'Esch.
Vous avez évoqué à l'instant la notion de ville dortoir. N'est-ce pas déjà le cas de Thionville, dont la majorité des actifs travaillent au Luxembourg?
«Thionville a la chance d'être une ville qui marche sur deux pieds. C'est-à-dire que 51% des actifs sont effectivement des frontaliers, mais les 49% autres travaillent ici. Nous sommes une ville non seulement de services, mais aussi un territoire industriel avec notamment la sidérurgie mais aussi d'autres activités comme le prouvent l'installation récente de Knauf et l'annonce prochaine de la création de 150 nouveaux emplois d'un très gros centre logistique européen.
Nous sommes donc une ville de centralité qui a besoin de ces différents éléments, dont le Luxembourg, car cela apporte une dynamique formidable. Mais nous avons besoin de plus de synergies. Et pour moi, rien n'est impossible à partir du moment où il y a la volonté de collaborer.»
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