«Ne pas rester dans l'ombre du Luxembourg»
«Ne pas rester dans l'ombre du Luxembourg»
En tant que représentant du patronat de la province de Luxembourg, quel est pour vous l'intérêt de créer une zone de développement transfrontalier?
Philippe Ledent, président de l'UCM-Lux - «Je pense que la proximité du Luxembourg représente de réelles opportunités pour tous les pays périphériques, mais à l'unique condition d'en saisir ensemble les éléments positifs. J'entends par là la mise en place d'une concertation entre les acteurs luxembourgeois, allemands, belges et français. Car, dans le cas contraire, les acteurs périphériques seront condamnés à rester dans l'ombre du Luxembourg. Ainsi, l'idée de créer une zone de développement frontalier n'est pas neuve.
De quel constat partez-vous pour émettre cette idée?
«Il est double. En premier lieu, nous constatons qu'un pourcentage en constante augmentation de travailleurs belges traversent la frontière. Aujourd'hui, les frontaliers belges représentent près de 50.000 personnes au total, soit 35% de la population active de la province de Luxembourg. Les prévisions font état qu'à l'horizon 2035-2040, les besoins en main-d'œuvre belge au Grand-Duché correspondraient à la totalité de la population active de la province. En soi, c'est un fait positif, mais il agit parfois au détriment des entreprises de notre territoire, pour lesquelles il est de plus en plus compliqué de recruter ou de retenir des profils qualifiés, attirés par les aspects salariaux avantageux du pays voisin.
Quel est le second élément?
«Nous constatons que de plus en plus d'entreprises de notre territoire traversent la frontière. Ce, à la fois pour des raisons évidentes de place nécessaire pour entreprendre, et aussi de contexte fiscal et social plus avantageux. Ces déménagements induisent une baisse de la richesse dans les arrondissements du sud de la province de Luxembourg (Arlon, Virton). Pour contrer ce déséquilibre, nous avançons cette idée d'une zone de développement frontalier, pour ne pas parler de "zone franche". Elle pourrait permettre à la fois au Luxembourg en tant que pays de trouver de l'espace pour entreprendre chez ses voisins, ce dont il aura à mon sens besoin à l'avenir, et aussi au pays ou à la région d'accueil d'en retirer des avantages grâce à une harmonisation fiscale et sociale. Le meilleur exemple est l'installation de l'usine Knauf du côté français.
Pour quelle raison rechignez-vous à utiliser l'expression «zone franche»?
«Car à la fois, cet aspect de "zone franche" reste un peu tabou, et puis il ne signifie pas toujours que l'on évolue dans une dynamique frontalière. Par exemple, la Wallonie abrite une centaine de zones franches à l'intérieur de son territoire. C'est pourquoi je préfère parler de "zone de développement frontalier".
Estimez-vous que la situation est urgente?
«Nous sommes à une période clé. Il est clair qu'il faut maintenant une réaction très urgente et très rapide. Tout en sachant qu'il n'existe pas de solution miracle, ni même de schéma idéal. C'est en expérimentant des choses que l'on pourra se rendre compte de ce qui fonctionne bien ou pas. Ainsi, cela peut commencer par quelques petits jalons plus faciles à mettre en œuvre, par exemple l'installation d'un pôle de télétravail, comme cela existe déjà côté français avec le S-Hub près de Thionville. Mais on voit combien il est difficile de trouver des accords entre les régions pour faire évoluer les choses rien que sur cet aspect particulier.
Les législations différentes au sein de la Grande Région ne constituent-elles pas un obstacle?
«C'est compliqué, en effet, car chaque pays possède sa propre définition juridique de la zone franche. Or, dans le cadre d'échanges internationaux, la logique est surtout bilatérale. A ce stade, je suis d'avis que cette dimension est la seule possibilité à court terme afin de pouvoir développer les choses.
Vous dites que l'idée est ancienne, et pourtant elle reste encore aujourd'hui une chimère. Quelle est la principale pierre d'achoppement à la mise en œuvre du projet?
«Avec le Luxembourg, on est clairement en face d'un petit pays qui se développe bien et qui est "agile", pour parler en termes d'entreprise. Il y a deux niveaux de pouvoir, l'État et les communes. Les choses vont beaucoup plus vite qu'en Belgique ou en France, où, politiquement, on trouve de multiples niveaux. Il y a donc deux vitesses d'exécution différentes, avec d'un côté, un État cohérent et de l'autre, des régions dépendantes d'un pouvoir central.
Emmanuel Macron a quant à lui lancé l'idée de «zones de transition fiscale» aux frontières de l'Hexagone, avec des conditions salariales identiques à celles du voisin. Qu'en pensez-vous?
«Cela va dans le bon sens. Au niveau wallon, quand je mets en évidence ce type d'idée, on me demande à juste titre de quelle façon on va définir le périmètre de cette zone. Tout en sachant notamment que cela créerait à l'intérieur du territoire une forme de distorsion d'attractivité. C'est pourquoi je reste d'avis qu'il faut aborder le problème étape par étape, en développant des expériences pilotes.
Justement, où pourrait s'implanter cette zone de développement frontalier et quelle serait sa superficie?
«Je l'ignore, et je suis incapable de vous dire comment et sur quelles bases il faudrait la délimiter sur le territoire wallon. On pourrait même concevoir que ladite zone couvre l'ensemble de la province de Luxembourg, qui est entièrement impactée par le développement du Grand-Duché.»
