Les vagues de chaleur impactent directement Cattenom
Les vagues de chaleur impactent directement Cattenom
En 2050, la centrale nucléaire de Cattenom devrait fermer ses portes. Trois décennies encore à fonctionner pour le site industriel; trois décennies à subir les caprices de la météo et à dépendre de la Moselle. Seulement, la grimpée des températures et la répétition des fortes chaleurs questionnent l'organisme veillant à la sécurité des installations: l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Pierre Bois, chef de la division de Strasbourg, revient sur l'été 2019 et ses impacts. Chaud devant.
Quel rôle joue la Moselle pour la centrale nucléaire de Cattenom?
Pierre Bois - «Elle a une double fonction. Comme toutes les centrales du même type, Cattenom a besoin d'eau. Le liquide puisé a pour objet d'assurer le refroidissement du réacteur (en fonctionnement normal comme en cas d'incident). C'est la partie sécurité. Mais l'eau a aussi un rôle dans le cycle de production de vapeur qui fait tourner les turbines générant l'électricité. Cattenom peut s'appuyer sur deux réserves: la rivière Moselle mais aussi l'étang artificiel du Mirgenbach.
La multiplication des épisodes caniculaires de l'été dernier a créé quelques inquiétudes sur le fonctionnement de la centrale. De quel ordre?
«Ce n'est pas la sécurité du process qui a été à l'origine des préoccupations. Nous étions plutôt vigilants sur l'impact environnemental du fonctionnement même de la centrale. Si Cattenom doit produire de l'énergie, cela ne peut se faire au détriment de son environnement naturel. A commencer par la ressource en eau.
Là, nous étions confrontés à une situation particulièrement tendue. Le débit de la Moselle était très faible, et la réserve du Lac de Pierre Percée, au Sud de la Lorraine, lui-même à un niveau inhabituellement bas, aurait pu ne pas suffire à assurer le soutien à un débit minimal de 18 m³ d’eau/seconde qui est prévu par les accords internationaux entre la France et le Luxembourg. Cette situation était le résultat d’un printemps sec suivi d'un été très chaud.
Au point effectivement où, un temps, s'est posée la question de oui ou non devoir baisser le niveau de production de Cattenom pour ne pas faire excessivement pression sur le cours d'eau. Le retour des pluies a finalement permis de ne pas en arriver là. Je rappelle d'ailleurs que c'est bien la partie production d'énergie qui consomme le plus d'eau (et crée ces panaches de vapeur que chacun peut observer).
Outre son niveau, la température de la Moselle a elle aussi été particulièrement observée...
«Oui, car les rejets de la Centrale dans la Moselle ne doivent pas contribuer à réchauffer excessivement la rivière. Cela aurait des conséquences trop négatives sur le milieu naturel. L'écart entre amont et aval des installations d'EDF ne doit pas dépasser 1,5°C en situation normale. Si la rivière, en amont, affiche une température de 28-30°C, l’apport d’eau échauffée doit cesser. Le site doit alors basculer vers le tampon du Mirgenbach - le temps de refroidir les liquides avant rejet. Par contre, si la rivière affiche déjà 30°C, tout rejet d'eau de process est formellement interdit. Cette fois, le Mirgenbach accueille les eaux et les conserve.
Cet emploi de l'étang voisin de la centrale explique sa fermeture aux activités de loisirs habituellement tolérées. La retenue a été conçue dans le but premier de l'exploitation de la centrale, pas de la pêche ou de la pratique nautique. La recirculation des eaux dans le Mirgenbach pouvant dégrader la qualité de l'eau, limiter son usage au public est une obligation à laquelle l'exploitant a donc dû avoir recours. Et cette année, sur une période longue: du 25 juillet au 10 octobre.
Quelles leçons, l'Autorité de sûreté nucléaire retient-elle de cet épisode de fortes chaleurs?
«Tout d'abord, au-delà de l'été 2019, c'est la multiplication des dépassements de températures que nous observons. Ce que nous appelons des "agressions grand chaud". Cela pousse l'ASN à revoir certains des protocoles imposés aux exploitants de centrale nucléaire. Pour les questions de sûreté, nous demandons aux installations de veiller à diversifier les moyens de refroidissement à disposition.
L'accident de Fukushima en 2011 nous avait déjà alertés sur la nécessité de renforcer les installations vis-à-vis d’agressions naturelles dont l’ampleur pouvait dépasser celle prise en compte lors du dimensionnement initial. Après la perte de sa principale source d'alimentation en eau après le tsunami, la centrale n'avait plus été en mesure d'assurer le refroidissement de ses installations, avec les conséquences que l'on sait. Cattenom, avec le Mirgenbach en plus de la Moselle, dispose déjà de deux sources en eau. Mais elle va entreprendre des travaux pour renforcer ses systèmes d'alimentation. Cela touchera aussi bien sa station de pompage que le dimensionnement des canalisations entrant ou sortant du site lorrain.
L'Autorité de sûreté veille aussi sur un autre point...
«La fréquence de plus en plus rapprochée d'épisodes de fortes chaleurs doit interpeller aussi sur la température régnant au sein même des divers locaux de production. Qu'entraînent le réchauffement même des locaux et la montée en degrés de certaines pièces où sont basés des équipements importants pour la sûreté. Si la source froide vient à manquer, voire à ne plus être disponible, que se passe-t-il? La ventilation et la climatisation suffisent-elles à faire diminuer la chaleur à un niveau acceptable pour le bon fonctionnement des matériels dans les locaux? Quelle est la température critique? Pour répondre à ces interrogations, les démonstrations de sécurité sur site ont été réévaluées pour apprécier la bonne marche de tout le cycle même en cas d'"agression grand chaud".
Pour Cattenom, la prise en compte de l'ensemble des exigences renforcées sera notamment évaluée lors des troisièmes visites décennales de deux des quatre réacteurs nucléaires en service (pour les deux autres, ces visites ont eu lieu en 2016 et 2018). Celles-ci doivent intervenir dans les deux à trois ans à venir.»
