Les idées des candidats lorrains pour séduire les frontaliers
par Laura BANNIER/ 10.06.2022
Mobilité, fiscalité, ou encore télétravail, des sujets qui n'ont pas les mêmes enjeux, que l'on soit frontalier ou non. Et ça, les candidats aux élections législatives françaises l'ont bien compris.
Ils sont plus de 110.000 à traverser la frontière chaque jour pour venir travailler au Grand-Duché. Toujours plus nombreux, les frontaliers français font face à des problématiques du quotidien bien spécifiques. Celles-ci concernent avant tout leur mobilité, la fiscalité, mais également le télétravail.
Autant de thématiques dont les candidats aux élections législatives françaises, qui se déroulent ces dimanches 12 et 19 juin, se sont emparés. Ces derniers ont pris en compte les problématiques de cette catégorie de la population lors de l'élaboration de leurs promesses de campagnes. Loin d'être tous d'accord sur ces différents sujets, plusieurs aspirants députés nous ont fait part de leurs propositions à l'égard des électeurs frontaliers.
Mobilité
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Des trains en retard, supprimés ou bondés, une autoroute A31 congestionnée des heures durant... Pour les frontaliers, se rendre au Luxembourg n'est jamais simple, en particulier aux heures de pointe. Un constat qui n'a rien d'une nouveauté, et qui peine à être résolu par des solutions durables. De nombreuses pistes ont pourtant été évoquées, de l'A31bis jusqu'au réseau express métropolitain en passant par le monorail. Des idées qui séduisent plus ou moins les candidats à la députation, en Moselle ou en Meurthe-et-Moselle.
Pour Brigitte Vaïsse, candidate de la Nouvelle Union populaire, écologique et social (Nupes) sur la 9e circonscription de Moselle, la solution se trouve dans les transports en commun. Elle souhaite d'ailleurs voir ces derniers être rendus gratuits, du domicile au travail. «Je milite fortement pour la création d'un nouveau sillon ferroviaire entre le Luxembourg et le Nord-Lorrain. Car aujourd'hui, le problème, c'est qu'il n'y a qu'une seule ligne pour les TGV, les TER et les trains de fret, et on arrive au bout de ses capacités», souligne par ailleurs celle qui s'était présentée en 2017 sous l'étiquette du PS.
Le développement d'alternatives à la route, une position qui est également défendue par Brahim Hammouche. Candidat à sa réélection, le député de la 8e circonscription de Moselle défend la desserte de l'ensemble du territoire, afin que chacun ait accès à un moyen de transport en commun. «Concernant la question des petites gares à réhabiliter, il existe des incohérences, comme l'absence de ligne entre Thionville et Esch-sur-Alzette», note l'élu. «Aujourd'hui les gares existent, mais il faut voir s’il ne faut pas les rouvrir et mettre les moyens pour créer une offre de transports réelle.»
Défendre des positions communes
S'il est élu, Lucas Grandjean entend bien contribuer à l'amélioration de la situation. Pour ce faire, le candidat Les Républicains sur la 9e circonscription de Moselle prône un dialogue permanent avec les autorités luxembourgeoises. «Si on arrive à avancer vers davantage de trains régionaux, si on défend des positions communes, on peut espérer améliorer les choses», souligne le candidat.
Cette position commune, Lucas Grandjean espère également qu'elle pourra être trouvée et défendue concernant le dossier de l'A31bis. La multiplicité des tracés a en effet été source de discorde entre différents élus, ne permettant pour le moment pas au projet d'avancer. «Il y a une solution, celle du tunnel de Florange, qui semble se dégager, je pense qu’il faut y aller», tranche l'aspirant député.
L'A31bis, un projet pour lequel Isabelle Rauch se dit «plus que favorable». La députée de la 9e circonscription de Moselle, candidate à sa réélection, souligne son rôle proactif dans le projet. «Je fais partie des élus qui ont remis ce dossier dans les projets prioritaires de l'Etat. J'ai démontré l'importance, avec le maire de Thionville, du fait qu'on ait trois parties distinctes dans cette A31bis, et que si à Nancy ils ne sont pas d'accord, cela ne devait pas bloquer notre avancée».
Aujourd’hui se déplacer vers le Luxembourg est trop souvent un enfer avec des retards trop fréquents, un manque de dessertes et des trains parfois vétustes.
Laurent Jacobelli, candidat RN sur la 8e circonscription de Moselle
Pour Stéphane Reichling, candidat Rassemblement national sur la 9e circonscription mosellane, l'A31bis est loin d'être une solution. «Il y a un tel flux que la situation ne risque pas de s'arranger. On déplace le bouchon un peu plus loin, et de toute façon, le flux des frontaliers ne fera que continuer. L'A31bis n'est pas une solution, personne n'en veut», estime le candidat, qui défend plutôt les transports en commun, et donc le TER. «De ce que je constate, les bus ne sont pas plébiscités, par contre, le rail l'est. Donc je propose de travailler à faire en sorte que ce rail soit capable d'acheminer un plus grand nombre de travailleurs vers le Luxembourg.»
Tête de liste du Rassemblement national pour les élections régionales 2021 dans la région Grand Est, Laurent Jacobelli se présente aux législatives sur la 8e circonscription de Moselle. En tant que conseiller régional, l'élu affirme «qu'aujourd’hui se déplacer vers le Luxembourg est trop souvent un enfer avec des retards trop fréquents, un manque de dessertes et des trains parfois vétustes». Pour y remédier, il propose un investissement conséquent dans le ferroviaire visant à entretenir les lignes, moderniser le matériel roulant et renforcer le cadencement. «Sur l'A31, je plaide pour une large consultation. Pour ma part, il y a une ligne rouge : un éventuel nouveau tracé ne doit causer aucune nuisance aux riverains et ne doit comporter aucune portion payante», souligne par ailleurs le candidat RN.
Télétravail
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Cité par certains candidats comme une solution aux problèmes de mobilité, le télétravail s'est généralisé avec la crise sanitaire. Le 30 juin sonnera cependant l'heure du retour au bureau pour les frontaliers. Pour rappel, ces derniers peuvent travailler depuis leur domicile 29 jours par an, un quota qui leur permet d'éviter une double imposition. Par ailleurs, la législation européenne prévoit un changement d'affiliation de sécurité sociale pour celle du pays de résidence, dans le cas du dépassement du seuil de 25% de télétravail.
Alors que des discussions sont en bonne voie pour voir ce seuil de 29 jours être ramené à 34 jours pour les frontaliers français, Lucas Grandjean aimerait voir ce quota être davantage augmenté. «A mon sens, il faut qu'on se batte pour avoir au minimum 47 jours de télétravail autorisés, ce qui correspondrait à au moins un jour par semaine», avance le candidat Les Républicains sur la 9e circonscription de Moselle. S'il se dit conscient que le télétravail ne permettra pas de résoudre tous les problèmes, Lucas Grandjean y voit avant tout une opportunité d'amélioration de la qualité de vie des frontaliers et un impact environnemental intéressant.
On ne peut pas d'emblée définir 47 jours de manière uniforme.
Brahim Hammouche, candidat LREM sur la 8e circonscription de Moselle
La candidate de la Nupes, Brigitte Vaïsse, de son côté, ne souhaite pas fixer de chiffre précis quant au quota de nombre de jours télétravaillés, même si elle souhaite le voir augmenter. «Il va falloir réussir à faire perdurer une part de télétravail pour améliorer la mobilité et le pouvoir d'achat, sans pour autant porter préjudice aux entreprises», avance la candidate. Si elle se positionne en faveur d'une à deux journées par semaine, elle pose également la question des conséquences d'une telle décision. «Il ne faut pas que cela porte préjudice à l'Etat français car le problème, ce sont les cotisations qui sont prélevées et restent sur le territoire luxembourgeois tandis que les collectivités françaises doivent assurer les dépenses du quotidien.»
Brahim Hammouche ne souhaite pas non plus se positionner en faveur d'un nombre de jours. «On ne peut pas d'emblée définir 47 jours de manière uniforme. Il faut qu'on fasse du sur-mesure, au plus près des besoins des frontaliers, un travail de couturier pour qu'il soit proportionné», estime le candidat de la majorité présidentielle sur la 8e circonscription de Moselle. S'il est réélu, le député s'engage à demander une mission auprès du ministre du Travail sur la question du télétravail des frontaliers. «L'objectif sera d'évaluer la situation de la Grande Région, afin du pouvoir construire un cadre protecteur pour les salariés, et facilitateur pour les employeurs.»
Un point de vue partagé par son opposant, Laurent Jacobelli. Le candidat du Rassemblement national part du principe qu'il ne faut ni interdire, ni imposer le télétravail pour les travailleurs frontaliers. «Imposer à tout le monde des règles théoriques, qui ne prennent pas en compte les particularités, serait voué à l'échec», martèle-t-il. S'il est élu, il entend bien engager une concertation avec employeurs, salariés, syndicats et autorités françaises et luxembourgeoises «pour définir le bon niveau de télétravail et trouver les solutions adaptées à chacun».
Aller au-delà des 47 jours
Pour Stéphane Reichling, la balle est dans le camp des entreprises luxembourgeoises. «Je suis pour que les gens puissent télétravailler plus que 34 jours, mais maintenant, c’est principalement aux entreprises luxembourgeoises de faire le pas», estime le candidat RN sur la 9e circonscription de Moselle. Pour que ce dossier avance plus rapidement, il propose la création d'une commission bipartite entre la France et le Luxembourg sur la question. «Mais il s'agit également de prendre en compte les répercussions du télétravail, car d’autres déséquilibres se produisent, comme la baisse de fréquentation du secteur Horeca au Grand-Duché.»
Et si on allait au-delà des 34, et même des 47 jours? C'est en tout cas la position que défend Isabelle Rauch. La candidate à sa réélection souhaite obtenir un statut spécifique aux travailleurs frontaliers, à l'échelle européenne. «Ce statut serait à distinguer du travailleur détaché, afin que les 25% de temps télétravaillé ne soient plus un blocage du côté social, mais il faut mettre les 27 pays d'accord.»
Pour la candidate de la majorité présidentielle, les solutions doivent avant tout être garanties dans le temps. «Si on change le mode de prélèvement d'impôts, et que les entreprises luxembourgeoises ne sont plus obligées de prélever l'impôt à la source pour la France lorsque le frontalier dépasse le quota, on n'a même plus besoin de signer pour 47 jours», explique Isabelle Rauch. Elle souligne par ailleurs que certaines sociétés dépassent déjà les 29 jours, car aucune interdiction n'est actuellement en vigueur, «il s'agit simplement d'une complexité administrative».
Ce statut des travailleurs frontaliers à l'échelle européenne, Xavier Paluszkiewicz, candidat sur la 3ème circonscription de Meurthe-et-Moselle, entend bien le défendre également, en cas de réélection. Le député de la majorité présidentielle compte également confirmer le passage de 29 à 34 jours de télétravail et souligne les efforts en ce sens obtenu pendant son mandat. «Depuis 2017, nous avons obtenu 29 jours de télétravail non imposables pour les frontaliers français, mais également l'adoption d’une résolution européenne qui prévoit 2 jours de télétravail par semaine sans incidence fiscale ni sociale.»
Fiscalité
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Autre sujet qui ne manque pas de passionner les foules: la fiscalité. D'autant plus depuis la mise en œuvre de la nouvelle convention fiscale entre le Luxembourg et la France, actuellement suspendue, qui prévoit une hausse des impôts pour les couples dont l'un travaille en France et l'autre au Luxembourg, mais aussi les retraités qui touchent une pension dans les deux pays.
Ce texte, Brigitte Vaïsse ne le porte pas dans son cœur, loin de là. «Je milite pour que la nouvelle convention fiscale, qui a été proposée par la députée sortante, soit annulée pour revenir à la convention fiscale antérieure», défend la candidate Nupes. Elle déplore le manque d'anticipation des politiques par rapport aux répercussions de ce document sur les travailleurs frontaliers. «On a balancé une nouvelle convention sans se préoccuper des effets qu'elle aura.»
De son côté, Lucas Grandjean salue la suspension du texte. «Selon l'OGBL, 40.000 à 50.000 personnes seraient concernées par cette hausse des impôts. Cela veut dire que de nombreux ménages et pensionnés ont une certaine appréhension quant à l'impact que cette convention pourra avoir en 2023», avance le candidat LR.
En cas de suspension seulement temporaire, il s'interroge sur la manière dont seront dépensés les impôts supplémentaires perçus. «Il pourrait être pertinent de redistribuer cet argent aux communes et aux départements au prorata du nombre de frontaliers afin qu'il serve dans des projets visant à améliorer la qualité de vie des frontaliers», propose le candidat.
Une étude d'impact
Cette convention fiscale est même qualifiée d'«injustice», par Stéphane Reichling. Le candidat Rassemblement national sur la 9e circonscription mosellane estime que le texte est inégalitaire. «C'est la double peine pour les couples, car ce sont ceux qui gagnent moins qui paient le plus.» Pour lui, le texte est à revoir, et c'est une position qu'il compte défendre s'il est élu.
Isabelle Rauch indique qu'un retour à l'ancienne version du texte est impossible, de même que sa suppression, «c'est ce qui régit la bonne relation entre la France et le Luxembourg en matière de fiscalité». En faveur de la suspension de la convention, elle fait savoir qu'une étude d'impact est actuellement menée afin de déterminer quels ménages sont concernés par cette hausse d'impôts. Ses résultats sont attendus en juillet. «Cette étude permettra d'apporter des correctifs de manière pérenne. On peut tout à fait corriger l'article 19 de la convention qui régit les revenus du travail», souligne la députée candidate, qui souligne «de très belles avancées entre les deux pays ces cinq dernières années».
Un constat partagé par Xavier Paluszkiewicz. S'il est réélu, le député de la troisième circonscription de Meurthe-et-Moselle entend bien venir à bout de cette double imposition, grâce à une correction de la convention fiscale franco-luxembourgeoise. «Il y aura des décisions à prendre dans l'intérêt des frontaliers, dont je continuerai à porter la voix au plus près des ministres de ce gouvernement», promet le candidat de la majorité présidentielle.
Lorsque les alertes ont été données, nous sommes intervenus auprès du ministère pour faire suspendre la convention fiscale.
Brahim Hammouche, député de la huitième circonscription de Moselle
Pour Laurent Jacobelli, une chose est sûre: la double imposition des frontaliers est inacceptable. «Il est temps d’arrêter de matraquer fiscalement nos concitoyens et que le travail paie», affirme le candidat Rassemblement national, qui promet de s'y opposer s'il est élu. Pour garantir le pouvoir d'achat des frontaliers et leur éviter une pression fiscale trop importante, «le gouvernement et son représentant ne sont ni clairs ni efficaces», poursuit le candidat.
Brahim Hammouche, actuel député dans la huitième circonscription où Laurent Jacobelli est candidat, s'en défend. «Lorsque les alertes ont été données, nous sommes intervenus auprès du ministère pour faire suspendre la convention fiscale». Régulièrement interpellé sur le sujet, le candidat à sa réélection ambitionne plus largement d'atteindre un point d'équilibre dans les relations entre la France et le Luxembourg. «On est dans un même bassin de vie, on étudie, on se marie, on travaille, c’est un bassin de vie et dans celui-ci il y a des spécificités, des singularités qui ne doivent pas devenir un frein au codéveloppement harmonieux», résume le candidat de la majorité présidentielle.
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