Florange, «un événement industriel et symbolique»
Florange, «un événement industriel et symbolique»
Il y a eu des mois de lutte humaine, syndicale et sociale. On se rappelle aussi l'espoir suscité par les dirigeants politiques de l'époque, François Hollande en tête, mais aussi Arnaud Montebourg. Une débauche d'énergie pour, au final, une énorme désillusion: le 30 novembre 2012, la fermeture des hauts-fourneaux d'ArcelorMittal Florange, les derniers du bassin sidérurgique lorrain, était actée. Dix ans plus tard, retour sur cet épisode marquant avec Pascal Raggi, enseignant-chercheur à l'Université de Lorraine, spécialiste de l'histoire de la désindustrialisation de la région.
Dans l'histoire de la désindustrialisation du bassin sidérurgique lorrain, quelle place occupe l'annonce de cette fermeture?
Pascal Raggi: «C'est très important parce que c'est à la fois un événement industriel, c'est évident, mais aussi un événement symbolique. Ce ne sont pas les premiers hauts-fourneaux que l'on a fermés en Lorraine, mais, par contre, ce sont les derniers, si l'on excepte ceux de Pont-à-Mousson, qui ne sont pas du même type. C'est pour cela que c'est un moment très particulier.»
Il y a eu beaucoup de confusion du grand public. On a l'impression que tout s'arrête, alors que ce n'est pas vrai.
Pascal Raggi
Avec l'idée qu'une page se tourne...
«Exactement, et il y a aussi eu beaucoup de confusion du grand public. On a l'impression que tout s'arrête, alors que ce n'est pas vrai. Il reste de la sidérurgie en Lorraine, il y a des choses qui fonctionnent très bien. Mais cette filière chaude de fabrication de la fonte à partir de grands hauts-fourneaux, c'était vraiment très symbolique.»
À propos de cette confusion: cet épisode de Florange a connu une forte médiatisation et a aussi été fortement politisé. Mais, est-ce peut-être cette médiatisation qui a eu un effet pervers et a conduit le grand public à penser que la sidérurgie lorraine n'existait plus?
«Je crois que ça a eu un effet pervers, comme vous dites. Je reprends votre expression parce que ça a touché aussi aux représentations, que les gens avaient déjà, d'une industrie qui était obsolète et qui était en train de disparaître, avec une vision un peu old school, à la Zola, de cette industrie. Ce qui ne correspond pas du tout à la réalité parce que c'étaient des hauts-fourneaux performants. Il y a eu un double effet: de sidération, mais aussi de déploration.»
On le disait, cette fermeture a aussi une histoire politique. Il y a notamment eu les propos du candidat François Hollande, prononcés sur une camionnette en février 2012 à Florange, et qu'on lui a ensuite reprochés à l'annonce de la fermeture, quand il était président de la République. Une fermeture de site sidérurgique en Lorraine avait-elle déjà connu une telle dimension politique?
«Oui, mais les gens s'en souviennent moins. C'était au moment de la fermeture des usines à Longwy, avec le plan Barre en 1978-79. Et François Mitterrand, là aussi futur président, est venu défiler avec les sidérurgistes.»
Et c'est finalement sous son mandat de président que cette industrie s'éteint définitivement à Longwy...
«C'est un peu plus complexe que cela et je vais prendre un rôle difficile, je vais être l'avocat de François Mitterrand (rires). À mon avis, au départ, à la fin des années 70, il a l'idée que la droite a mal fait le travail d'un point de vue industriel et que quand les socialistes auront les clés, ils feront mieux. Mais ensuite, d'après les archives, il y a un infléchissement: au moment du tournant de la rigueur, en 1983, il voit que ce n'est pas possible de sauver la sidérurgie comme il l'aurait voulu. À ce moment-là, il va aller vers des fermetures et c'est ressenti comme une trahison. Mais quand on regarde les archives, on voit bien qu'au départ, il veut sauver la sidérurgie avec une vraie politique sociale et socialiste. Mais il est confronté à la réalité économique.»
Le Luxembourg, comme la Lorraine, s'est bâti sur la sidérurgie. Mais à la différence de la Lorraine, le Luxembourg a pris conscience relativement tôt que cette poule aux œufs d'or allait de moins en moins bien.
Pascal Raggi
Dans vos travaux de recherche, vous vous intéressez aussi à la sidérurgie côté luxembourgeois. Y a-t-il des points de comparaison avec l'histoire lorraine ou, au contraire, des différences?
«Ce qui est comparable au départ, c'est le niveau de développement industriel de la Lorraine et du Grand-Duché. Côté luxembourgeois - et ce n'est pas moi qui le dis, mais ce sont des collègues économistes - on parle même d'un État sur-industrialisé, qui était à la base de la richesse du pays, avec cette activité minière et sidérurgique de l'Arbed qui était une énorme entreprise. Dans les années 70, avant la crise, 25.000 personnes y travaillaient, alors que le pays ne comptait que 350.000 habitants. Le Luxembourg, comme la Lorraine, s'est bâti sur la sidérurgie. Mais à la différence de la Lorraine, le Luxembourg a pris conscience relativement tôt que cette poule aux œufs d'or allait de moins en moins bien.»
Le virage a donc été pris plus tôt et plus vite?
«Oui, et le pays fait appel à d'autres industries, avec l'arrivée de grosses entreprises américaines, dans un objectif de diversification, pour sortir de la mono-industrie. Et puis, par la suite, il y a évidemment eu la modification des règles bancaires qui a permis au Luxembourg de développer ce secteur économique.»
Malgré tout, et même si cela n'a plus rien à voir avec l'âge d'or des années 60-70, aujourd'hui, la sidérurgie existe toujours au Luxembourg et en Lorraine à travers, principalement, un seul et même acteur, ArcelorMittal...
«Cette histoire continue effectivement de part et d'autre de la frontière. Mais cette façon de fonctionner, transfrontalière, est tout sauf récente. L'Arbed était liée aux entreprises minières et sidérurgiques françaises. Ce qui est un peu nouveau, c'est que la Lorraine et le Luxembourg font partie d'un même grand groupe mondial. Donc les décisions ne sont plus prises par des acteurs territoriaux, par exemple l'État luxembourgeois ou français, mais c'est une politique globale d'une grande entreprise mondiale qui est présente sur tous les continents.»
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