Une crise économique avec un air de déjà-vu
Une crise économique avec un air de déjà-vu
(pj avec Pierre LEYERS) A douze ans d'intervalle, Luc Frieden se retrouve à des postes de responsabilités face à une crise économique. D'ou l'intérêt d'interroger l'actuel président de la Chambre de commerce, qui fut en 2008 l'un des principaux acteurs de la lutte contre l'effondrement du système financier.
Luc Frieden, la crise actuelle vous rappelle-t-elle celle des années 2008-9?
«Tout à fait. La principale différence tient à ce que cette fois la crise provoque de nombreux morts et malades. Mais sur le plan économique, il existe de nombreux parallèles. On a vite oublié à quel point la situation était dramatique voilà douze ans. Des gens risquaient de tout perdre, économies, emploi, biens personnels. Comme aujourd'hui, la crise internationale soudaine avait frappé l'Europe et le Luxembourg de plein fouet. Ces deux crises ont nécessité une intervention rapide de l'État avec d'énormes ressources financières.
Il est instructif de revoir les archives de l'époque. Pour beaucoup, c'était la fin de notre modèle économique. Mais nous avons réussi à éviter une catastrophe économique et sociale. Cela devrait nous donner de l'espoir pour aujourd'hui.
Quelles leçons ont été tirées de cette crise qui peuvent nous aider aujourd'hui ?
«Premièrement, que l'État doit intervenir rapidement et avec force. Deuxièmement, qu'en pareille situation, il doit y avoir une unité nationale autour des dirigeants politiques et une coopération étroite entre hommes politiques et représentants des entreprises. Troisièmement, la coordination européenne doit être rapide et efficace. Cela a fonctionné pendant la crise financière et la dramatique crise de l'euro malgré les plus grandes difficultés. Quatrièmement, des finances publiques saines sont nécessaires pour pouvoir intervenir rapidement. Et enfin, qu'une telle crise a des coûts de suivi élevés.
«Plusieurs grands pays de la zone euro sont actuellement lourdement endettés. Ils n'ont pas assaini leurs finances publiques quand il était temps de le faire. Aujourd'hui, ils n'ont pas les moyens de soutenir leur économie. À cet égard, la zone euro, ou du moins certains de ses membres, n'ont pas tiré la leçon de la crise financière et de la crise de l'euro. Sept pays de la zone euro ont une dette de près ou de plus de 100% de leur PIB !
La solidarité européenne ne semble pas être facile à obtenir. Les frontières se ferment, chaque pays mène sa propre bataille contre le virus. Même les ministres des Finances européens n'ont pu se mettre d'accord sur l'aide aux pays les plus faibles qu'après d'âpres négociations.
Que pensez-vous de l'idée d'un emprunt commun dans l'UE via des obligations communautaires, ces fameux coronabonds?
«Bien sûr, la solidarité est maintenant nécessaire avec les pays gravement touchés comme l'Italie et l'Espagne, car cette crise n'a pas été provoquée par ces pays. Je ne suis pas enthousiaste à l'idée de créer des obligations communes tant que je ne sais pas comment résoudre le problème du surendettement de certains Etats. Je pense qu'un bon mélange d'aide directe à certains pays, associée à l'aide du mécanisme de stabilité européen ESM, est plus logique.
Comment voyez-vous la zone euro après cette crise sanitaire?
« Je ne crois pas que l'Italie menace d'entraîner toute l'Union dans sa chute. Nous devons enfin rendre la zone euro plus fédérale. Cela signifie que les grandes décisions économiques des États membres doivent être approuvées au niveau européen. Dans les bonnes années économiques, après 2012, nous n'avons pas suffisamment réduit le niveau d'endettement de certains Etats. Et beaucoup de réformes structurelles ont également été négligées. Cela nous fait maintenant beaucoup de mal.
Quelle sera la stabilité de l'euro une fois la crise passée ?
«Lorsque je me suis rendu à Bruxelles à l'Eurogroupe pendant la crise financière de 2008-9, les journalistes m'ont souvent demandé si l'euro survivrait à la crise. Et j'ai toujours répondu «oui», car l'euro est un projet politique. C'est la monnaie de millions de personnes dans le marché intérieur commun. En 2008, l'État fort était recherché comme sauveur de dernier recours, tout comme aujourd'hui.
Comment évaluez-vous les mesures d'aide économique du gouvernement ?
«Le plan de stabilisation du gouvernement est la bonne réponse à la crise en ce moment. Bien sûr, nous ne devons pas perdre de vue que la plus grande partie du paquet, environ sept milliards, est constituée d'aides indirectes (report du paiement des impôts ou garanties bancaires pour les prêts). Cet argent doit être remboursé. Nous devons donc permettre aux entreprises de récupérer l'argent afin de pouvoir rembourser. Sinon, l'effet boule de neige créera un gros problème pour les banques et les finances publiques.
Quel regard portez-vous sur le plan de sauvetage actuel?
«Les plans de sauvetage dans les deux crises sont très similaires en termes de volume global. Lors de la crise financière, l'État luxembourgeois avait mobilisé 7,5 milliards d'euros (18% du PIB). Cette fois, le total approche les neuf milliards, soit 14% du produit intérieur brut.
L'État luxembourgeois peut-il se le permettre?
«Je pense que oui, car nous avons des finances publiques saines. Même dans les années de crise les plus graves (2008-2012), nous avons respecté les règles en matière de déficit et maintenu notre AAA, qui est important lorsque l'État doit emprunter de l'argent.
Au plus fort de la crise financière en 2012, nous avions un niveau d'endettement de seulement 23% du PIB (le deuxième plus bas de la zone euro). Aujourd'hui, le niveau de la dette est d'environ 12,5 milliards, soit 21% du PIB. Nous devrions essayer de ne pas dépasser 25%, car la dette et les déficits entraînent inévitablement une hausse des impôts.
Après 2008, vous aviez participé au sauvetage de deux grandes banques. Lors de la crise de l'acier, le gouvernement a sauvé l'Arbed. L'Etat luxembourgeois devrait-il désormais s'impliquer également dans les grandes entreprises en difficulté ?
«Je ne vois pas cette nécessité pour le moment, car cette crise ne concerne pas des entreprises individuelles d'importance systémique (comme les banques), dont toutes les autres dépendent. De nombreuses entreprises vont connaître des moments difficiles car l'économie mondiale est en crise. Le Luxembourg peut y remédier en créant un environnement favorable aux entreprises, permettant de préserver les emplois. Il s'agit notamment de prendre des décisions d'investissements plus rapides, de réduire la bureaucratie et de diminuer les impôts.»
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