Quand le FIS passera à la caisse
Quand le FIS passera à la caisse
Actuellement, le Luxembourg abrite 1.448 fonds d'investissement spécialisés (FIS) gérant quelque 596 milliards d'euros d'actifs nets placés dans des opérations foncières ou immobilières. L'outil a été créé en 2007, et à voir les montants investis, il semble faire le bonheur de nombreux investisseurs. Et pour cause : tous les bénéfices engendrés par ces FIS échappent à l'impôt sur le revenu, à l'impôt sur les plus-values et à l'impôt commercial. Tout juste une taxe d'abonnement (à 0,01% des actifs nets) est-elle demandée aux détenteurs d'un tel fonds.
Autant dire que ces FIS ne rapportent guère dans les caisses publiques, alors qu'ils profitent très largement à leurs possesseurs, luxembourgeois ou étrangers. Depuis longtemps déjà, le député déi Lénk David Wagner dénonce cet état de fait. Il a même signé une motion qui a été débattue à la Chambre cet été. Et voilà que deux soutiens de poids viennent de le suivre pour demander que la fiscalité sur ces fonds soit revue. D'un côté, la Fondation Robert-Krieps, de l'autre la Confédération générale de la fonction publique (CGFP).
Et que ce soit dans le rapport du groupe de réflexion (proche des idées du LSAP) ou par la voix de Romain Wolff (président de la confédération des fonctionnaires), le message est le même : à l'heure où l'Etat a besoin de nouvelles recettes pour financer les impacts de la crise, le «contribuable normal» ou «Monsieur et Madame Tout-le-Monde» ne devront pas subir une hausse d'impôts sur les revenus du travail. Si de l'argent doit être trouvé, c'est notamment dans la poche des «super-contribuables» qu'il doit être pris, invitent les deux parties.
En soi, l'idée n'a rien de neuf. Des années que certains réclament ainsi une hausse de la pression fiscale sur ce type de fonds. Même l'accord de coalition gouvernementale passée en 2018 entre DP, LSAP et Déi Gréng évoque la question, parlant du sujet comme d'une «injustice fiscale». Mais le temps passe et... rien ne se passe. Tout juste le ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP) a-t-il évoqué une possible réforme de la fiscalité du FIS. Mais, en juin dernier, face aux députés des commissions Logement et Finance, 'le grand argentier' a d'emblée prévenu : il n'y aura «rien de spectaculaire».
La CGFP et la Fondation Robert-Krier invitent plutôt le gouvernement à revoir en profondeur le régime accordé à ces fonds. Ces derniers ne constituant, selon elles, qu'une «ruse pour dégonfler voir rendre inexistante la charge fiscale» des possesseurs de FIS. Sauf que l'heure n'est plus aux largesses fiscales. Le gouvernement voit en effet ses recettes fondre (- 1,1 milliard de rentrées en impôts au premier trimestre) tandis qu'il ouvre grand les robinets pour soutenir l'activité du pays.
Rien que pour le chômage partiel, 808 millions d'euros de dépenses imprévues ont été nécessaires sur les sept premiers mois de l'année. Il a aussi fallu financer le congé pour raisons familiales (plus de 280 millions), les 183 millions d'aides directes déjà accordées aux entreprises, les divers plans de sauvetage d'abord puis de reprise économique (Neistart et relance verte), le soutien au tourisme, à l'hôtellerie-restauration, etc.
Les «épaules larges»
Du côté du ministère du Finance, c'est silence radio sur la question. Certes, le sujet sera bien abordé dans le cadre de la potentielle future réforme fiscale, mais pas question d'en dire plus. «Des travaux sont effectivement en cours et un texte est en préparation»: voilà la (maigre) version officielle. Pierre Gramegna n'ayant visiblement pas l'intention d'effaroucher les investisseurs, même si ces fonds d'investissement spécialisés constituent une possible manne importante pour soutenir un budget que l'on sait difficile à soutenir.
Pourtant, comme le rappelle la CGFP, «tôt ou tard, il faudra se poser la question du financement» des mesures engagées pour soutenir le Grand-Duché. Pas question alors de «s'appuyer sur une augmentation fiscale sur les personnes physiques» martèle la confédération. Aussi, Romain Wolff insiste-t-il pour que ceux qui ont «les épaules larges» participent à l'effort financier.
Même opinion pour Olivier Cano et Max Leners, les auteurs du rapport de la Fondation Robert-Krieps. Eux veulent en finir avec la loi vieille de 13 ans qui octroie aux Sicav-FIS une «optimisation fiscale outrancière». Un privilège jugé individualiste, à l'heure où la situation voudrait que chaque acteur économique la joue collectif. Et de plaider pour un retour dans les caisses de l'Etat de plus d'impôts perçus sur cette réserve spéculative. La Fondation parlant même de «déchets fiscaux» sur la part non récupérée par les finances publiques.
Justice fiscale
A combien s'élèvent précisément ces «déchets fiscaux»? La Fondation n'a pas la réponse. Mais la structure sait que les sommes grimpent vite quand on rectifie même de quelques pourcentages la pression fiscale. Ainsi, note-t-elle que si -autre exemple- le gouvernement s'engageait à abolir le régime actuel des stock-options, 135 à 200 millions d'euros supplémentaires pourraient tomber dans les caisses de l'Etat.
Certes, le pays peut se satisfaire d'être encore coté AAA par les agences de notation et pouvoir lever des emprunts à taux négatifs, mais un peu plus de justice fiscale permettrait de moins jouer avec l'endettement pour assurer les dépenses d'un budget qui, initialement, devait approcher les 20 milliards d'euros pour 2020.
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