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Optimisation fiscale: le Luxembourg se met en règle
Économie 6 min. 20.12.2018 Cet article est archivé

Optimisation fiscale: le Luxembourg se met en règle

La première loi adoptée par les députés sous la nouvelle coalition est la transposition de la directive européenne contre l'optimisation fiscale

Optimisation fiscale: le Luxembourg se met en règle

La première loi adoptée par les députés sous la nouvelle coalition est la transposition de la directive européenne contre l'optimisation fiscale
PHOTO: GUY WOLFF
Économie 6 min. 20.12.2018 Cet article est archivé

Optimisation fiscale: le Luxembourg se met en règle

Thierry LABRO
Thierry LABRO
La symbolique est évidente: la première loi que la nouvelle Chambre des députés a adoptée, mardi soir, est la transposition de la directive européenne contre l'optimisation fiscale agressive.

Quel est le point commun entre Fiat, Amazon et Engie? 

Leur dossier fiscal a valu des ennuis au Luxembourg, au même titre que les LuxLeaks ou les Panama Papers, ces révélations sur les pratiques fiscales agressives de milliers de sociétés. 

Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le détournement des règles fiscales coûte de 100 à 240 milliards de dollars par an aux finances publiques, soit entre 4 et 10 % des recettes issues de l’impôt sur les sociétés dans le monde. Pour le commissaire européen à la Fiscalité, Pierre Moscovici, la facture se monte, en Europe, de 50 à 70 milliards d’euros par an. 


1.2.2018 Luxembourg, Kirchberg, Arendt&Medernach, IFA, international fiscal association, Wagner David, Franz fayot, Xhonneux, Laurent Mosar, Joëlle Elvinger, Christian Kmiotek, J.Schaffner et A. Steichen  photo Anouk Antony
Les partis hésitent entre équité et compétitivité
A l'approche des élections et alors que les programmes électoraux ne sont pas encore élaborés, les partis politiques formulent des pistes de réflexion pour la fiscalité des entreprises et des personnes physiques.

C'est pour lutter contre cela que l'OCDE, le G20 et l'Union européenne ont commencé – depuis le rapport BEPS (sur l'érosion de la base fiscale) d'octobre 2015 – à établir un «level playing field», souvent invoqué par le Luxembourg. Car les rulings, ces transcrits fiscaux qui permettent à une société et à l'administration fiscale de se mettre d'accord sur une facture fiscale, ne sont pas interdits ni même condamnés par la justice. Ils sont devenus moralement condamnables parce que des grands (et des petits) groupes les utilisent intensivement pour échapper le plus possible au paiement de l'impôt. 

Double limite pour la déduction d'intérêts 

Plus de deux ans après la directive européenne (12 juillet 2016), le Luxembourg transpose ce texte au dernier moment pour éviter une nouvelle fois de voir la Commission européenne entamer une procédure, comme Bruxelles l'a fait début novembre sur la lutte contre le blanchiment. 

Déposé le 19 juin, la version luxembourgeoise d'ATAD (pour Anti Tax Avoidance Directive) s'attaque à cinq aspects. La déductibilité des intérêts est désormais limitée à 30% des revenus imposables avant intérêts, impôts et dépréciations et amortissements ou 3 millions d'euros. 

Ne sont pas concernés les intérêts pour les projets d'infrastructure publique à long terme pour autant que les prêts aient été conclus avant le 17 juin 2016. Ni les entreprises financières – institutions financières et compagnies d'assurance – sujet que la commission des Finances a mis à l'ordre du jour de prochains débats par une motion qui examinera l'impact que cela pourrait avoir sur les 12.000 sociétés de ce type au Luxembourg. 


Engie: le Luxembourg fait appel
Comme il l'avait laissé entendre en juin, le gouvernement a décidé d'interjeter appel contre la décision de la Commission européenne sur le dossier Engie.

Le député Laurent Mosar (CSV) a estimé que le risque était de voir 600 milliards d'euros d'assets partir et donc leurs impôts, ce à quoi le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a répondu juste avant le vote qu'il fallait «monitorer les effets sur les impôts. On a aussi dit qu'en diminuant l'impôt sur les sociétés de 21 à 18%, on allait perdre de l'argent mais les recettes fiscales ont augmenté. Il y a toujours deux volets. Certaines sociétés qui ne payaient pas beaucoup d'impôts décident que le Luxembourg n'est pas assez attractif et d'autres qui décident d'accroître leur substance. C'est pour cela que nous avons considéré que l'effet était neutre.» 

Si Laurent Mosar considère que les Pays-Bas ou l'Irlande ont adopté une position plus compétitive que le Luxembourg sur le sujet, le ministre a cité la France et l'Allemagne et appelé à regarder la situation dans son ensemble. 

Un taux d'affichage à 17%

Le taux d'affichage baissera à 17% au 1er janvier, promesse de la coalition justement dans cette optique de compétitivité. L'imposition à la sortie (exit tax) qui existait déjà au Luxembourg, a été renforcée, notamment par une précision sur les transferts temporaires. Dans certains cas, la société a cinq ans pour payer et le Luxembourg a renoncé à la possibilité d'obtenir une garantie et des intérêts débiteurs. 

La clause anti-abus générale, qui existait aussi au Luxembourg depuis 1934, a été revue, en définissant par exemple précisément ce qu'est un abus en matière fiscale. «Il y a abus», dit le texte adopté hier soir, «si la voie juridique qui, ayant été utilisée pour obtenir, à titre d’objectif principal ou à titre d’un des objectifs principaux, un contournement ou une réduction de la charge d’impôt allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité de la loi fiscale, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents». Comme le concept est encore très général, la loi s'appuie sur les décisions de justice. 

Enfin le texte ajoute un nouveau dispositif sur les sociétés étrangères contrôlées, qui permet de réallouer les revenus d'une société trop faiblement imposée à la suite de montages fiscaux à la société faitière basée au Luxembourg, et un autre dispositif contre les dispositifs hybrides, pour l'instant seulement dans l'Union européenne. 

Le ministre s'est félicité de deux autres avancées: la précision de la définition d'établissement stable et la possibilité d'imposer des obligations qui seraient transformées en parts du capital social. Pierre Gramegna savoure. Il sait bien que le travail sur la justice fiscale est loin d'être fini.

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