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Les trois visages du «monstre» Amazon
Économie 4 min. 18.11.2019 Cet article est archivé

Les trois visages du «monstre» Amazon

 La «machine à vendre» n'a plus de secrets pour le journaliste Benoit Berthelot.

Les trois visages du «monstre» Amazon

La «machine à vendre» n'a plus de secrets pour le journaliste Benoit Berthelot.
Économie 4 min. 18.11.2019 Cet article est archivé

Les trois visages du «monstre» Amazon

Patrick JACQUEMOT
Patrick JACQUEMOT
Le journaliste Benoit Berthelot sera à Luxembourg ce mardi pour parler de son enquête sur le mastodonte du commerce électronique. Une multinationale dont il dénonce les travers notamment sociaux, fiscaux et environnementaux.

Benoit Berthelot a enquêté sur Amazon pendant trois ans. De ce géant des GAFA, il dresse le portrait d'un ogre dévoreur de business, d'emplois et de ressources énergétiques. Le journaliste vient dévoiler ce mardi à Luxembourg les dessous de son livre Le Monde selon Amazon

Avec Amazon, il est question de bien plus que d'un mastodonte. Votre portrait de l'entreprise tient plus du monstre.

Benoit Berthelot: «De tous les GAFA (Goggle, Amazon, Facebook, Apple), Amazon a cette particularité d'être un employeur surpuissant. Le groupe a un appétit féroce de main-d'œuvre pour accompagner son incroyable développement commercial. Nous parlons d'une firme de 750.000 salariés dans le monde; d'une firme qui applique des méthodes de management très innovantes bien souvent borderline par rapport aux lois sociales. Amazon joue les apprentis sorciers comme s'il lui appartenait d'être le laboratoire de ce que sera le monde du travail demain.


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Du bureau au camion du livreur en passant par l'entrepôt, tout est mesuré, calculé, inspecté. L'efficacité ne tient que via ce contrôle incessant, selon la méthode instaurée par le patron Jeff Bezos lui-même. L'obsession est le service aux clients et les employés doivent se plier à cette unique exigence quelles que soient les conséquences pour eux.

Mais Amazon crée de l'emploi, ce qui est positif? Au Luxembourg, l'entreprise est ainsi le 12e employeur du pays.

«Sans évoquer le Grand-Duché, dont le rôle est spécifique, il faut voir ce qu'il se passe ailleurs. En France, l'entreprise compte 9.000 salariés mais pour les fêtes va recruter autant d'intérimaires. Nous sommes sur un modèle qui favorise la précarité, avec des niveaux de salaires bas. On sait que le développement du site d'e-commerce Amazon a d'abord nui aux petits commerces. Ils ont été les premiers à disparaître, mais maintenant ce sont des milliers d'emplois qui viennent à être supprimés de la grande distribution du fait de l'omnipotence de cette entreprise. 

C'est la chaîne alimentaire libérale : le gros mange le plus petit. Comme là on a affaire à un énorme prédateur, cela fait du dégât. Mais avec quelles armes pourra-t-on terrasser ce mastodonte qui, aujourd'hui, vend 11 milliards de produits, propose 180 millions de références, et pèse 95.000 emplois en Europe (ndlr : 2.200 au Luxembourg)?

Vous parlez également des dérives fiscales du géant…

«Depuis les débuts à Seattle, en 1994, le créateur Jeff Bezos a toujours recherché l'optimisation fiscale. Le choix du Luxembourg n'est pas innocent. Même si certains accords avec le pays se sont déjà traduits par une décision de la commission européenne contre le Grand-Duché pour qu'il perçoive 250 millions d'euros d'impôts supplémentaires (décision qui fait l'objet d'un appel), le groupe centralise toujours au Grand-Duché les revenus de ses activités les plus rentables comme le cloud, les commissions versées par les vendeurs ou la publicité.


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Voilà pourquoi certains Etats et l'UE montent au créneau pour réguler la fiscalité due localement par la firme. En attendant, ce que se permet le groupe lui offre un avantage énorme qui, petit à petit, réduit à néant ses concurrents potentiels.

Enfin, Amazon est loin d'être exemplaire au niveau environnemental.

«Cela n'a jamais été dans ses priorités. La firme pose bien quelques panneaux solaires par-ci par-là, prend des parts dans des fermes éoliennes, achète une poignée de véhicules électriques, mais elle reste parmi les 150 entreprises les plus polluantes du monde. L'entreprise n'a jamais voulu être auditée sur son bilan carbone, et avance officiellement 44 millions de tonnes de CO2 émises par an. 

En activant le commerce à l'échelle planétaire, Amazon fait circuler des produits sur des millions de kilomètres et pas toujours de la façon la plus propre. Des centaines de navires venus de Chine, sa propre flotte d'une soixantaine d'avions, des milliers de camionnettes pour la distribution : tout cela impacte l'environnement. 

Pour le seul premier trimestre 2019, le chiffre d'affaires d'Amazon représentait 54 milliards d'euros. Et pas seulement via le e-commerce mais aussi grâce au service de stockage de données.
Pour le seul premier trimestre 2019, le chiffre d'affaires d'Amazon représentait 54 milliards d'euros. Et pas seulement via le e-commerce mais aussi grâce au service de stockage de données.
Photo : AP

Mais il faut aussi parler de son activité cloud. Peu de gens le savent mais Amazon est la 1ère entreprise dans ce secteur du stockage de données. Elle emploie pour cela des serveurs extrêmement énergivores. Des data centers qui génèrent autant de gaz à effet de serre qu'un pays comme le Portugal, mais sans aucune compensation environnementale.

Cette position très en retrait sur les questions de protection du climat est d'ailleurs étonnante, à notre époque. Un géant comme Google a tout mis en œuvre pour arriver à sa neutralité carbone, et a réussi.» (ndlr: Amazon a annoncé vouloir devenir carboneutre d'ici 2040)

 


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