Les «entreprises zombies» menacent le Luxembourg
Les «entreprises zombies» menacent le Luxembourg
(ASdN avec Thomas Klein) - Des entreprises non viables maintenues en vie artificiellement ? Au cours des dernières décennies, ce phénomène d'«entreprises zombies» serait de plus en plus fréquent. Plus concrètement, il s'agit de sociétés souvent très endettées qui enregistrent des pertes sur une longue période, mais qui ne font pas faillite en raison «des possibilités de financement favorables dont elles disposent», explique Herbert Eberhard, directeur général de Creditreform Luxembourg à nos confrères du Luxemburger Wort.
Les recettes sont alors souvent «à peine suffisantes pour payer les intérêts des dettes», précise Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce. En d'autres termes, ces entreprises «ne contribuent guère à la croissance». Selon les experts, la raison principale de ce phénomène en Europe résiderait dans la politique monétaire de la Banque centrale européenne.
«Si les entreprises peuvent emprunter de façon permanente à des taux d'intérêt extrêmement bas, cela perturbe le processus normal d'insolvabilité et empêche un bouleversement du marché», détaille Herbert Eberhard. Mais les banques jouent également un rôle dans cette évolution. Les institutions financières prêtent de plus en plus d'argent aux entreprises surendettées afin qu'elles puissent assurer le service des prêts en cours. De cette manière, la menace de faillite est de plus en plus repoussée.
Ce n'est pas un phénomène temporaire.
David Capocci, managing partner à KPMG
Selon la Banque des règlements internationaux, une association de 63 banques centrales, la proportion d'entreprises «zombies» est passée de 4% des entreprises en 1980, à 15% en 2017. Au Luxembourg, elles représenteraient 10% des sociétés du pays, estime quant à lui Herbert Eberhard.
A long terme, le phénomène ne serait néanmoins pas sans conséquence. Pour les économistes, si la proportion de ces entreprises reste élevée, il y a un risque, pour l'économie du pays, que l'innovation et la croissance soient mises de côté. «Le capital est alors immobilisé dans des secteurs et des entreprises dont l'avenir n'est pas nécessairement brillant», explique David Capocci (KPMG). Selon ce managing partner, des études montreraient que ces entreprises restent des zombies dans «80 à 90%» des cas.
Dans le contexte actuel, le tableau des faillites est néanmoins faussé par les aides gouvernementales et les prêts-relais destinés à aider les entreprises à traverser la pandémie sanitaire. L'agence de crédit Creditreform estime ainsi que le nombre de faillites en 2020, année de la crise, a en fait diminué de 5% par rapport à l'année précédente. «En ce moment, des sommes très importantes sont versées pour maintenir à flot des entreprises qui, autrement, auraient fait faillite depuis longtemps», déclare Herbert Eberhard.
Mais s'il estime qu'il s'agit d'une «bonne chose» pour réduire les dommages économiques et le chômage, reste que le problème n'en est que repoussé. «Certaines entreprises auront des difficultés dans un ou deux ans», souligne-t-il. Un constat qui rejoint celui du Groupe des Trente, un think tank financier. Selon ces experts, le problème des entreprises zombies ne ferait que masquer «une réalité plus profonde et plus inquiétante» pour reprendre les termes de l'un d'eux, Mario Draghi.
Mais toutes les entreprises ne seraient pas en ligne de mire de la même manière. Les hôtels ou les compagnies aériennes, particulièrement fragilisés par la pandémie, sont ainsi «particulièrement menacés à court terme», écrit le groupe d'experts qui appelle les gouvernements à être plus sélectifs dans l'allocation des fonds publics. «Les ressources ne doivent pas être gaspillées dans des entreprises qui sont finalement vouées à l'échec ou qui n'ont pas besoin de soutien public», écrivent les auteurs du document.
Un risque minime pour le pays
Dans la pratique, la mise en pratique de cette théorie est bien plus délicate. «Il est extrêmement difficile pour l'État de faire une distinction et de n'aider réellement que ceux qui sont viables à long terme», note Carlo Thelen. D'autant plus que les causes de ces entreprises zombies sont bien différentes de celles du passé. «Souvent, à l'heure actuelle, il ne s'agit que d'une pénurie de liquidités à court terme», rappelle David Capocci, donnant l'exemple des compagnies de voyages et des hôtels.
A en croire le ministère de l'Economie, le risque serait par ailleurs minime pour la stabilité des marchés financiers. Les aides accordées lors de la crise financière de 2008 n'auraient ainsi conduit à aucune augmentation de l'émergence d'entreprises zombies.
Pour rappel, un total de 1.206 faillites a été enregistré en 2020, contre 1.239 un an auparavant. Parmi les secteurs les plus touchés se trouvent la construction - avec un tiers des dossiers de faillites validés - les services non financiers et l'Horeca, dont l'activité est forcée à l'arrêt jusqu'à la mi-mars au moins.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
