Les droits humains comme ligne infranchissable
Les droits humains comme ligne infranchissable
16 organisations (ONG, associations caritatives, syndicats, acteurs de la coopération…) ont lancé en mars 2018 l'Initiative pour un devoir de vigilance au Luxembourg. Le collectif réclame une loi obligeant les entreprises à intégrer le respect des droits humains, ainsi que les normes de travail, les accords et dispositions environnementaux internationaux, dans l’ensemble de leur chaîne de valeur. Jean-Louis Zeien, secrétaire général de la Commission luxembourgeoise «justice et paix» et l’un des membres fondateurs du projet, revient sur cette démarche.
Comment définiriez-vous le devoir de vigilance?
Jean-Louis Zeien - «C’est une instance qui pose un lien direct entre les activités des entreprises et le respect des droits humains. Elle suit en cela les Principes directeurs des Nations unies adoptés en 2011, et qui stipulent que les entreprises transnationales ont la responsabilité de respecter les droits humains tout au long de leur chaîne de valeur. Du fait de leurs activités de plus en plus mondialisées, celles-ci jouent en effet un rôle majeur dans la gouvernance économique mondiale et dans le jeu des échanges internationaux. Non sans incidences négatives parfois, sur les droits humains et l’environnement.
Tout ceci constitue un frein au développement économique, durable et humain, ainsi qu’une pression à la baisse sur les standards en matière de protection sociale, de la biodiversité ou de l’environnement.
De quelles violations de droits humains s’agit-il ici?
«On parle ici de travaux forcés, de travail abusif des enfants, de salaires extrêmement bas, d’heures supplémentaires excessives... Des situations qui peuvent également aller jusqu’à la torture ou le viol, à la privation de liberté syndicale ou l’atteinte à la vie privée. Aussi, est-il nécessaire de mettre en place un instrument contraignant, afin de prévenir et de mettre fin à ces violations.
Les entreprises transnationales domiciliées au Luxembourg doivent, elles aussi, garantir le respect des droits humains internationalement reconnus, des normes de travail ainsi que des accords et des dispositions environnementaux internationaux. Et ce, non seulement au Grand-Duché, mais aussi à l’étranger.
Que préconisez-vous?
«Nous appelons les partis politiques à mettre en œuvre ces Principes directeurs des Nations unies à travers une loi instaurant un devoir de vigilance sur le sujet. Actuellement, la thématique est inscrite dans le Plan d’action national qui fait suite aux engagements internationaux pris par le pays auprès des Nations unies, de l’Union européenne et de l’OCDE.
Que dit ce plan?
«Ce programme rédigé par le ministère des Affaires étrangères et européennes ne prévoit pas de loi. Il préconise un certain nombre d’actions et de mesures, qui sont toutes purement volontaires, comme un système de diligence raisonnable. C’est un premier pas positif, comme l’application de la responsabilité sociale des entreprises est aussi un élément positif.
Concrètement, comment les entreprises appliqueront-elles ce système?
«Elles devront mettre en place un processus d’identification des éventuelles atteintes aux droits humains, ainsi qu’une cartographie et une évaluation de ces risques, qui pourraient découler directement de leurs propres activités, et de celles de leurs filiales et sous-traitants. Le cas échéant, elles devront ensuite prendre des mesures efficaces pour remédier à la situation.
Existe-t-il des secteurs luxembourgeois à risque?
«Clairement oui. Le Plan d’action national en a identifié certains, comme le secteur financier ou les industries extractives. Bien d’autres sont en lien avec la violation des droits humains: les technologies de l’information et des communications, l’intelligence artificielle, la protection des données, la construction, l’horesca… Notre Initiative est même d’avis qu’il existe d’autres secteurs à risque, qui devront être nommés et identifiés, comme l’agro-alimentaire, la distribution, la logistique, le maritime, etc.
Existe-t-il au Luxembourg des atteintes aux droits humains?
«Le risque existe toujours et partout. Il faut partir du principe qu’un pays comme le nôtre, avec une forte législation sociale, est susceptible de générer des violations beaucoup moins importantes que des contrées dotées d’une faible gouvernance. Au sein du cluster maritime luxembourgeois par exemple, plus de 200 navires enregistrés au Luxembourg naviguent sur les eaux internationales. Un cinquième des salariés du secteur sont philippins. Il y a des contrôles, certes. Mais le risque de violations des droits humains y est plus grand. Aussi, le devoir de vigilance y est plus que nécessaire.
On peut citer d’autres domaines, comme les industries extractives, dans lesquels des acteurs luxembourgeois sont présents. Depuis des décennies, ceux-ci importent en effet des matières premières et des minerais de conflits, qui selon Amnesty International sont liés à des disparitions de personnes, à du travail forcé ou encore au financement du secteur militaire. Qu’elles soient luxembourgeoises ou européennes, ces entreprises sont donc confrontées à cette problématique. Dans cette optique, elles doivent se doter d’instruments adéquats. Car elles ont nécessairement toutes à y gagner.»
