Le spectre de l'embargo plane sur l'énergie
Le spectre de l'embargo plane sur l'énergie
(m. m. avec Uwe HENTSCHEL) - Pour les automobilistes, ce fut un choc. Et pour ceux qui ont un moteur à combustion interne sous le capot, ce choc s'est accompagné d'un constat amer. Comme si les conducteurs de véhicules diesel n'avaient pas déjà la vie dure. D'abord la stigmatisation due aux oxydes d'azote et ensuite le diesel qui devient plus cher que l'essence. 2,11 euros pour un litre de diesel. Comment est-ce possible ?
Outre la longévité du moteur, c'est surtout le prix du diesel, toujours relativement avantageux, qui a toujours été un argument décisif lors de l'achat d'un véhicule pour les gros rouleurs. «La crise ukrainienne a un impact particulier sur l'approvisionnement en diesel, car dans l'UE, une grande partie des importations de diesel, 50 à 60%, provient de Russie», explique Jean-Marc Zahlen du Groupement pétrolier luxembourgeois (GPL).
Une fluctuation particulièrement marquée
C'est pourquoi la fluctuation des prix du diesel est particulièrement marquée. En ce qui concerne la hausse générale des prix des carburants, le secrétaire général de la GPL explique qu'elle est due à plusieurs facteurs simultanés. Le marché a été mis sous pression par la pandémie de coronavirus. Lorsque l'économie mondiale s'est remise à fonctionner assez rapidement, l'offre mondiale de pétrole n'a pas pu suivre la demande. «La crise ukrainienne a encore accru l'imprévisibilité, car les flux de pétrole et de diesel doivent d'abord se stabiliser», poursuit Jean-Marc Zahlen.
Les prix sont également poussés par les spéculations du marché. Surtout en raison de l'incertitude liée à la guerre. Personne ne sait comment la situation en Ukraine va évoluer et combien de temps le gaz et le pétrole continueront à circuler dans les conduites entre la Russie et l'UE. Ce n'est donc pas la pénurie qui fait grimper les prix, mais actuellement surtout la crainte d'une pénurie. Ce qui, à l'inverse, laisse la place à une solution qui permettrait de résoudre une partie du problème : si l'UE cessait d'importer du gaz et du pétrole, l'incertitude à ce sujet serait au moins éliminée. Et qui sait : l'impact de l'embargo ne serait peut-être pas pire qu'il ne l'est aujourd'hui dans la phase d'incertitude.
Des conséquences pour l'ensemble de l'économie
Le secrétaire général de la GPL ne peut en tout cas pas l'exclure : «Un embargo de l'UE sur le pétrole russe ferait probablement grimper encore plus le prix du diesel», suppose Jean-Marc Zahlen. «Mais il se pourrait aussi que la hausse des prix ne soit pas très importante, car ce scénario est peut-être déjà pris en compte actuellement», ajoute-t-il.
«Les fortes fluctuations sont tout d'abord l'expression d'une grande incertitude, car les acteurs du marché ne sont pas d'accord sur ce que cette évolution signifie concrètement»
Nils Löhndorf, professeur de gestion d'entreprise à l'université de Luxembourg
«Les fortes fluctuations sont tout d'abord l'expression d'une grande incertitude, car les acteurs du marché ne sont pas d'accord sur ce que cette évolution signifie concrètement», explique à ce sujet Nils Löhndorf, professeur de gestion d'entreprise à l'université de Luxembourg. «Si je donne donc de la sécurité à l'ensemble, je me débarrasserai peut-être aussi de ces fluctuations ou je pourrai au moins les réduire», ajoute-t-il.
Un arrêt des importations pourrait donc bien avoir un effet sédatif. «Mais les forces du marché sont aussi très dures», précise Löhndorf. «Si l'offre se raréfie fortement et que la demande reste présente, le prix se stabilisera à un niveau plus élevé».
Il est possible que l'on soit fixé sur le sujet dans quelques jours. Car après que le président russe Vladimir Poutine a récemment fait savoir au monde que les livraisons de gaz ne seraient plus payées qu'en roubles et que les clients occidentaux ont répondu que l'on s'en tiendrait aux contrats fixant le dollar ou l'euro comme monnaie de facturation, on peut se demander combien de temps les relations commerciales entre la Russie et l'UE vont encore durer. La pression au sein de l'UE pour stopper les importations de pétrole et de gaz en provenance de Russie augmente à chaque nouveau jour de guerre.
Le carburant comme objet de spéculation
Si la Russie décidait d'un embargo ou d'un arrêt des livraisons, cela n'irait pas sans conséquences sur l'ensemble de l'économie européenne. Mais il faut toujours distinguer les effets à court terme des effets à long terme, comme l'explique le chercheur en économie de l'université de Luxembourg. Il part du principe qu'une raréfaction de l'offre entraînera également une baisse de la demande.
En outre, l'approvisionnement en matières premières prend désormais en compte des possibilités auxquelles on avait renoncé jusqu'à présent, surtout pour des raisons de politique environnementale, explique Löhndorf, qui cite l'exemple de la fracturation : «Les Américains peuvent apporter une détente dans ce domaine en aidant l'industrie de la fracturation à se remettre sur pied». Mais le pétrole coule encore de Russie. Et si les consommateurs paient tantôt plus, tantôt moins à la pompe, c'est en premier lieu, selon Löhndorf, la faute des grands négociants en énergie. «Ils ont une opinion sur la valeur du pétrole et achètent et vendent en conséquence», explique-t-il.
«Ceux qui font monter les prix sont aussi ceux qui doivent payer la note au final s'il s'avère que le pétrole a été acheté trop cher»
Nils Löhndorf, professeur de gestion d'entreprise à l'université de Luxembourg
Mais les négociants en matières premières ne profitent pas vraiment de la situation actuelle. Car en raison des spéculations à l'achat d'une part et à la vente d'autre part, il s'agit finalement d'un jeu à somme nulle. Sur le marché du pétrole en particulier, le prix est une indication assez fiable de la valeur réelle, dit-il. «Ceux qui font monter les prix sont aussi ceux qui doivent payer la note au final s'il s'avère que le pétrole a été acheté trop cher».
Les exploitants de stations-service n'en profitent pas
Le sentiment d'acheter trop cher les carburants est actuellement partagé par de nombreux automobilistes qui, en raison des fluctuations parfois extrêmes des prix, doivent toujours s'attendre à se retrouver à la pompe le mauvais jour. D'autant plus que les stations-service elles-mêmes n'ont aucune influence sur la fixation des prix. «Nous n'apprenons que le soir si un changement de prix intervient le lendemain», explique Mike Schmitt, propriétaire de la station-service de Bollendorf-Pont et également président de l'association des exploitants de stations-service.
En tant qu'exploitant de station-service indépendant, Mike Schmitt paie le prix en vigueur le jour de la livraison lorsqu'il achète ses carburants. «Il est donc tout à fait possible que nous achetions plus cher que ce que nous vendons ensuite», explique Schmitt, tout en tordant le cou à un préjugé qu'il entend souvent.
«Beaucoup de gens pensent qu'en tant que station-service, nous gagnons aussi plus si le prix augmente», dit-il. Or, c'est exactement le contraire. Comme la plupart des clients paient par carte, le pourcentage de commission qu'il doit verser à l'établissement financier augmente en cas de hausse de la facture, explique-t-il. Alors que sa marge par litre, dont cette taxe est déduite, reste toujours la même.
En ce sens, le 10 mars et ses prix records ont été loin d'être une bonne nouvelle pour toutes les personnes impliquées dans le secteur des pompes à essence. «Quand on a appris que le prix allait augmenter de 40 centimes, c'était bien sûr le chaos total», explique l'exploitant de la station-service.
«Il est tout à fait possible que nous achetions plus cher que ce que nous vendons ensuite»
Mike Schmitt, président de l'association des exploitants de stations-service
La clientèle reste inquiète
Entre-temps, la situation s'est à nouveau à peu près normalisée. Même si la clientèle reste très inquiète. «Je pense que c'est surtout le fait que la barre des deux euros ait été dépassée d'un seul coup», dit Mike Schmitt. Personne ne s'attendait à ce que cela arrive aussi rapidement.
Cela vaut également pour le gouvernement qui a annoncé mercredi dernier, dans le cadre de sa tripartite, vouloir réduire de 7,5 % les prix de détail du fioul, du diesel et de l'essence d'ici fin juillet. L'Allemagne a emboîté le pas un jour plus tard, en adoptant un vaste paquet de mesures qui comprend également une baisse des prix des carburants limitée à trois mois. L'essence y sera 30 centimes moins chère et le diesel 14 centimes moins cher par litre. Et en France, une réduction de 15 centimes par litre de carburant a déjà été annoncée il y a plus de deux semaines, pour une durée limitée à quatre mois.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
