Le Luxembourg veut son superordinateur
Le Luxembourg veut son superordinateur
Par Pierre Sorlut
Goodyear teste l'adhérence de ses pneus neige sans pneu ni neige. L'équipementier automobile IEE vérifie la solidité de ses coques et sièges sans rien abîmer. ArcelorMittal étudie la résistance du métal, l'énergie consommée et le temps nécessaire à la découpe laser sans prendre le risque de se brûler.
SES apprend à ses satellites à se débrouiller tout seuls dans l'espace avant d'en avoir monté une pièce. Les laboratoires pharmaceutiques analysent l'efficacité des médicaments en épargnant animaux et êtres humains.
Les assurances ne calculent les primes de leurs adhérents non plus seulement sur base de l'accidentologie, mais aussi sur leurs comportements individuels. Pour des raisons pratiques, économiques et éthiques, les entreprises ont de plus en plus recours aux ordinateurs avant de produire. Tous les ordinateurs ne sont néanmoins pas capables d'opérer ces multiples analyses et simulations numériques.
N'importe quoi produit des données»
Les nouvelles technologies apportent avec elles leur lot d'informations, par milliers, millions, voire milliards. «N'importe quoi produit des données», résume Sébastien Varrette, coordinateur (avec Pascal Bouvry) des développements autour du calcul haute performance (ou High Performance Computing, HPC) pour l'Université depuis plus de dix ans. Il convient de les transférer, de les stocker et de les analyser.
Pour ce faire, un simple ordinateur portable ne convient guère. Le matériel que nous utilisons au quotidien n'opère qu'à une vitesse de quelques gigaflops (109) par seconde. Le superordinateur mis en place ces dernières années par l'Université, le plus gros au sein des centres de recherche publics, déploie 270 téraflops (1012) de capacité de calculs.
Il s'étale sur deux étages du sous-sol de la Maison du Savoir à Belval. Les armoires de serveurs pour stocker les données succèdent aux colonnes de calculateurs. Des milliers de câbles relient les uns aux autres. La bête souffle le chaud à l'extérieur. Il fait plutôt frais dans ses entrailles. Les tuyaux s'entremêlent. L'ensemble, pour lequel 1.000 mètres carrés ont été mis à disposition, est refroidi à l'eau.
Avec la machine développée par Goodyear à Colmar-Berg, l'ordinateur de l'université préfigure le High performance computing made in Luxembourg.
Mais aujourd'hui le Grand-Duché et l'Union européenne traînent loin derrière la Chine, la Suisse, le Japon et les Etats-Unis en la matière. Le supercalculateur de Wuxi (à l'ouest, à proximité de Shanghai), de Canton (au sud-ouest), de Lugano, de Yokohama et de Oak Ridge (Tennessee) occupent les cinq premières places du Top 500 à respectivement 93, 34, 20, 19 et 18 petaflops (1015).
Le premier superordinateur en Union européenne est italien (Bologne) et figure au quatorzième rang du classement de référence. Le pays de l'initiative Digital Lëtzebuerg, du modèle Rifkin et de l'économie 4.0 brille par son absence parmi les 500 ordinateurs les plus puissants du globe. Le gouvernement prépare la réplique.
La «coalition Gambie» travaille à la mise en place d'un ordinateur pétaflopique entre 2018 et 2019. Le projet demeure à l'état embryonnaire, mais la motivation et l'argent sont là, nous assure-t-on au ministère de l'Economie.
Depuis son bureau au dixième étage, le responsable des nouvelles technologies Mario Grotz détaille la vue gouvernementale à court et à moyen terme, horizon auquel les initiatives nationale et européenne se joignent.
Au niveau local, un cabinet de consultants sera mandaté pour monter un plan d'affaires. L'étude spécialisée détaillera le plan de croissance d'une société à capitaux publics visant à fournir aux entreprises une expertise dans l'utilisation du superordinateur luxembourgeois.
Il sera présenté au conseil de gouvernement en mai ou en juin. M. Grotz se montre confiant pour annoncer du concret en cette année électorale. Une enveloppe de dix millions d'euros est déjà intégrée au budget 2018, explique-t-il.
Le Luxembourg se positionne parallèlement au niveau européen. La Commission a proposé la semaine passée au Grand-Duché d'accueillir le siège de l'EuroHPC.
Il s'agit de la structure qui va acquérir puis gérer l'exploitation de deux à quatre ordinateurs préexascale, c'est-à-dire capables d'exécuter des dizaines de millions de milliards de calculs par seconde (1015 et 1016), ainsi que deux calculateurs dit exaflopiques, soit disposant d'une capacité de milliards de milliards (1018) de calculs par seconde, un stade qu'aucun pays n'a encore atteint.
«La localisation des premières machines devrait être décidée dans les prochains mois», informe Jean-Marie Spaus, Monsieur «EuroHPC» au Grand-Duché. Le pays concourt avec 12 autres parties au programme européen pour devenir l'hôte d'un exemplaire. Confiants et raisonnables, MM. Grotz et Spaus ambitionnent d'accueillir un ordinateur préexascale. «Il faut adapter la taille des machines à la taille économique de leur pays hôte», fait savoir M. Grotz.
Un milliard d'euros
Le Luxembourg jouit d'une hyper-connectivité et les données bénéficient par la même d'une mobilité augmentée, mais certaines industries requièrent une proximité physique avec le supercalculateur, notamment pour effectuer des simulations en temps réel.
«C'est une question de nanoseconde», explique-t-on boulevard Royal. Puis c'est aussi une question d'argent. Sébastien Varrette évalue le superordinateur de l'université à environ 8 millions d'euros.
Une machine pétaflopique coûterait plus du double. «Sa durée de vie s'établit entre quatre et cinq ans», informe l'universitaire. Les business plans des centres de compétences que souhaitent développer le gouvernement doivent veiller à la dépréciation et au temps imparti pour installer la structure (voire l'infrastructure). La Commission européenne table sur un milliard d'euros pour financer sa stratégie EuroHPC.
Bruxelles apportera 486 millions. Les États membres la même somme. Mais le Grand-Duché entend bien lancer des entreprises rentables après quelques années. Le chiffre d'affaires serait principalement généré par une ligne «HPC as a service», sur le modèle et en complément du «cloud as a service».
Les sociétés intéressées paieraient des experts, un espace de stockage et/ou une puissance de calculs selon la durée. Ce modèle d'affaires a déjà rencontré un certain succès en France ou en Allemagne.
Près de Stuttgart, le Gauss Centre for Supercomputing a déjà satisfait bon nombre d'entreprises, dont Porsche. La Panamera a notamment été conçue avec son aide. Pour servir ses ambitions digitales, le Luxembourg entend bien accueillir sa propre Rolls Royce du HPC.
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