Le Luxembourg fer de lance
Le Luxembourg fer de lance
Par Pierre Sorlut
Le marché de l'art souffre d'une réputation sulfureuse. C'est en partie mérité. Il faut définir de nouveaux critères pour le réhabiliter. Voilà comment Alain Mestat a introduit l'événement que l'association qu'il préside LAFA (Luxembourg Art Law & Finance Association) organisait hier au siège du cabinet d'avocats Arendt & Medernach.
Dans la salle obscurcie par les rideaux couvrant les vitraux ornés des photos de Beat Streuli, quelques dizaines de banquiers, avocats et entrepreneurs du secteur s'informaient sur l'initiative de LAFA visant à redonner, depuis le Grand-Duché, de la transparence à un marché qui en manque cruellement.
Objet de recel
Trafic d'objets archéologiques via le port franc de Genève, recel de contrefaçons, valorisations exagérées, blanchiment d'argent, les experts se sont succédé à la tribune pour y multiplier les exemples d'aliénation d'un business sur lequel le Luxembourg de la finance s'est précipité au sortir de la crise des subprimes. «Le marché a changé depuis 2008, date à laquelle l'art faisait figure de classe d'actif idéale», a constaté Thierry André, fondateur et P.-D.G. d'Andrisk, société spécialisée dans la gestion des risques et de l'antiblanchiment au Luxembourg.
Face à la chute des marchés boursiers, les investisseurs s'étaient alors tournés vers l'acquisition d'œuvres d'art ou de titres représentatifs. Fin 2008, la plate-forme Artsy recensait une cinquantaine de fonds d'investissement spécialisés... contre une douzaine fin 2010. Deux véhicules luxembourgeois, Dionysos et Art Collection Fund, étaient emportés par cette lame de fond née du discrédit affectant les opérateurs du marché. Un banquier reconverti présent dans l'audience hier s'est saisi du micro pour en témoigner. «Les banques ne comprennent pas l'art. Il s'agit d'un actif risqué et illiquide. Elles ne sont pas prêtes à s'impliquer», a résumé cet ancien de Citibank, Deutsche Bank et UBS. Un banquier privé renchérissait: «Tous les départements conformité en ont peur.»
Expérience de place
Forts de l'expérience acquise ces dernières années, les membres de LAFA dressent le même constat. Au début des années 2010 et à l'initiative de la société de conseil
Deloitte, la place financière s'était engagée tous azimuts sur ce créneau. La gestion de fortune luxembourgeoise et la banque privée surfaient sur la vague. Elle devait leur donner un nouvel élan en marge de la disparition du secret bancaire et favoriser le renouvellement de la clientèle des banques privées locales, dorénavant tournées vers les personnes très fortunées, celles susceptibles d'acheter des œuvres. Le gouvernement participait à la manœuvre en votant une loi instaurant une zone d'exemption de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en bordure d'aéroport et créer le port franc.
Le Freeport a beaucoup plus de contraintes ici que partout ailleurs dans le monde»
Inauguré en grande pompe à l'automne 2014, ce coffre-fort géant destiné au stockage de biens à grande valeur peine à trouver sa clientèle. L'établissement développé par l'amateur d'art David Arendt, par ailleurs cofondateur de LAFA, a symbolisé malgré lui le resserrement des normes anti-blanchiment. Pour faire cesser les soupçons d'opacité portant sur le Freeport, le Parlement a voté en mai 2015 une loi rendant les dispositions «AML» (Anti Money Laundering) propres au secteur financier applicables aux exploitants du port franc. «Le Freeport a beaucoup plus de contraintes ici que partout ailleurs dans le monde», a regretté hier Claude Herman, représentant de son promoteur Natural Le Coultre.
Luxembourg, lieu idéal
Comme à l'accoutumée et puisque les investissements ont déjà été consentis, les professionnels de l'art et la finance prennent le parti de faire d'un défi une opportunité. Le Luxembourg deviendra – en coopération avec la Suisse initiatrice du mouvement – le fer de lance de la responsabilisation du marché international de l'art.
L'Italien Maurizio Seracini, fondateur et dirigeant du centre de diagnostic d'art Editech à Florence, pourrait en devenir le représentant. Cette référence en la détection des fraudes dans l'art, tout fraîchement nommée professeur du programme «Homeland Security» à l'Université de San Diego, travaille à la création d'une fondation spécialisée basée à Luxembourg. «Pour que le marché de l'art grandisse de manière durable et acceptable, il doit se baser sur une fondation produisant des standards, des processus et des données reconnus internationalement», a clamé M. Seracini. «Nous pensons que le Luxembourg est un lieu idéal pour devenir l'épicentre et le leader mondial de cette normalisation de l'art comme classe d'actif», a conclu le charismatique septuagénaire. Reste à concrétiser les contacts avec l'université et les émissaires gouvernementaux.
