La pierre attire les fonds d'investissement internationaux
La pierre attire les fonds d'investissement internationaux
(pj avec Thomas Klein) - Lorsque l'Union Berlin, club de football de première division allemande, a dévoilé son nouveau sponsor en juin 2019, il a suscité la bronca de ses supporters. Les maillots portaient les couleurs de la société immobilière Aroundtown, dont le siège est établi à Luxembourg. Typiquement le genre d'investisseurs que les Berlinois pointent du doigt, leur reprochant d'être la cause de la flambée des loyers dans la capitale.
Même reproche adressé à Grand City, également enregistrée au Grand-Duché et qui possède à elle seule 7.500 appartements à Berlin. Un patrimoine qui fait de l'enseigne le septième plus grand propriétaire privé de la ville, selon le Berliner Tagesspiegel. Au total, la société cotée possède pour 8,4 milliards d'euros de biens immobiliers résidentiels principalement côté Allemagne. Mais Aroundtown et Grand City ne sont que deux des nombreux exemples de sociétés financières qui déploient leur business au cœur des villes et en viennent à dominer le marché de la location.
Ce phénomène a désormais été baptisé «financiarisation des marchés immobiliers». Il voit le marché du logement dépendre d'une seule logique de rentabilité. Dans ce processus, des investisseurs spécialisés (tels les fonds de capital-investissement) rachètent systématiquement des biens qu'ils considèrent comme sous-évalués et augmentent les revenus locatifs et la valeur des biens par des réaffectations ou des rénovations.
Les augmentations annuelles de loyer de plus de 5% ne sont ainsi pas rares dans ce contexte. Et l'opération s'avère très lucrative pour les actionnaires des sociétés financières, un peu plus préjudiciable à certains locataires contraints à se ''délocaliser''. Selon une étude de la fondation Rosa Luxemburg, les actionnaires de Grand City ont ainsi pu réaliser des dividendes et des augmentations de valeur de 19,1 % par an en moyenne depuis l'introduction en bourse de la compagnie.
Et le phénomène ne concerne pas que le voisin allemand ou l'Europe. Il est mondial, comme le rappelle Markus Hesse, professeur de recherche urbaine à l'Université du Luxembourg : «Aux États-Unis, un bien immobilier sur six a été acquis par une société d'investissement en 2020, voire un sur quatre dans certaines métropoles». Alors que l'épargne traditionnelle n'est valorisée que par de faibles taux d'intérêt, les fonds immobiliers, eux, offrent des rendements nettement supérieurs et attirent donc des capitaux les rendant encore plus puissants.
Dans certaines villes (comme Dublin ou Londres), des rues entières se sont même vidées de tout habitant. Les propriétaires des immeubles et maisons n'ayant que faire des revenus locatifs -et de la gestion d'un occupant- alors que la spéculation suffit à leur faire bénéficier de confortables dividendes. Et le phénomène tend à gagner le Grand-Duché. Encore faiblement, mais tout de même. Selon Markus Hesse, le marché immobilier national reste encore entre les mains des sociétés de construction et des promoteurs locaux. «Cependant, certains signes indiquent que la situation est en train de changer et que ces poids lourds s'intéressent à l'immobilier luxembourgeois en raison de la masse liquide élevée», déclare M. Hesse.
La preuve avec le réaménagement de la place de l'Etoile, au cœur de la capitale. Une entreprise financière, Firce Capital, en a pris les rênes. L'investisseur a aussi misé dans le Royal Hamilius ou la galerie commerciale du Belval Plaza. Avec des prix de l'immobilier grimpant de plus de 10% par an, l'intérêt du Luxembourg pour les financiers devient une évidence.
D'autant que la fiscalité sur les revenus tirés de cette opération reste favorable à qui vient à s'implanter au Grand-Duché. Quitte à ce que certaines implantations sentent le soufre. Ainsi, l'une des plus grandes sociétés luxembourgeoises de ce segment compte plus de 300 filiales, dont beaucoup sont situées dans des paradis fiscaux tels que l'île de Man ou le Delaware...
Même la crise covid n'a pas affecté cette attractivité sonnante et trébuchante. La preuve : les fonds immobiliers établis au Luxembourg ne cessent de gonfler. Plus 17,7% en 2019 pour les actifs sous gestion dans ce domaine. Une hausse encore en 2020, de +7,22% cette fois, pour une valeur globale d'actifs placés dans ces fonds immobiliers dépassant maintenant les 88 milliards d'euros.
Et voilà la place luxembourgeoise hébergeant des poids lourds du secteur. Comme Threestones Capital, également basé dans la Ville-haute, et qui se concentre sur des marchés de niche. Ainsi, la société rachète-t-elle par exemple des maisons de retraite. Des biens qu'elle rénove et revend à l'investisseur suivant après cinq ou huit ans. En mars dernier, la société a ainsi annoncé qu'elle vendait 27 propriétés dans le secteur de la santé à un groupe suisse. Montant de la transaction : 425 millions d'euros. Une recette qui venait marquer la clôture (sortie) d'un fonds qui au final aura offert aux investisseurs un rendement de 13%.
A l'heure où la question de l'accès à l'habitat devient centrale parmi la population du pays, les efforts gouvernementaux apparaissent bien maigres face aux mastodontes des fonds engagés sur le marché. Certes, la révision de la loi sur les Fonds d'investissement (FIS) a été un premier pas, pour calmer la spéculation financière immobilière, mais le ministre du Logement devra dégainer d'autres boucliers pour éviter d'autres flambées des prix du m2 à la vente comme à la location.
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