La démission est-elle au bout du tunnel?
La démission est-elle au bout du tunnel?
(pj avec Nadia DI PILLO) En septembre 2021, plus de quatre millions d'Américains ont choisi de quitter leur emploi, battant ainsi un record. Selon le dernier Work Trend Index de Microsoft, 40% des salariés envisageraient toujours de changer de job, d'employeur, de carrière. Et ce phénomène (baptisé «The great resignation» ou «The big quit») ne se focalise pas seulement de l'autre côté de l'Atlantique. Et le principal déclencheur de cette tendance n'est autre que le covid. En tout cas, ses conséquences sur l'organisation récente du travail.
«Cette crise a quelque chose d'inhabituel par rapport aux autres», souligne ainsi Michel-Edouard Ruben, économiste senior à la fondation Idea, le think tank luxembourgeois. «En général, lors d'une crise, les bourses s'effondrent. La chute des prix de l'immobilier pèse sur la consommation, car les gens se sentent plus pauvres. Cette fois-ci, la pandémie ne frappe pas aussi durement les bourses et les prix de l'immobilier continuent d'augmenter. Cela contribue à l'augmentation du niveau de bien-être des gens malgré la crise. Cela explique aussi pourquoi le rapport des gens au marché du travail est un peu moins tendu», décrit l'analyste.
A travers la planète, le taux de mobilité mesuré via le Randstad Workmonitor, n'a jamais été aussi élevé. Selon cet outil, 36,5% des personnes interrogées déclarent avoir changé d'emploi au cours des douze derniers mois, et plus de 55% seraient à la recherche d'un nouvel emploi ou viennent de trouver une nouvelle situation. Un turn-over comme rarement enregistré ces dernières décennies, et de moindre ampleur côté européen.
Et au Luxembourg ? Les chiffres de l'ADEM ne notent pour l'instant aucun tsunami social. Au 30 juillet 2021, le Luxembourg comptait 464.920 salariés contre 450.460 un an plus tôt. Entre ces deux dates, 159.020 embauches ont été contractualisées et 144.560 fins de contrat de travail signifiées (dont près de 6.690 départs en retraite). L'emploi a donc bien continué à augmenter, même en pleine crise covid. Cela tandis que sur la période, aucune grande vague de licenciements n'était enregistrée.
Reste que les mouvements de personnels semblent commencer à agiter les sociétés. Différemment selon les domaines d'activité. Ainsi, en Europe, un demi-million de salariés auraient quitté le secteur de la santé depuis l'apparition du virus. Ce qui est bien sûr «dramatique, car il y a déjà depuis longtemps un manque aigu de personnel», regrette Pitt Bach du syndicat OGBL Santé. Mais force est de constater que, même s'il est à la peine, le système de soins national n'est pas subitement devenu en manque crucial de personnels. Entre départs et nouveaux recrutements, le secteur s'en tire sans trop de bobos du point de vue des effectifs.
Selon l'Adem, il n'y a que deux secteurs qui ont vraiment laissé des plumes dans la crise : la restauration et la production industrielle. Clairement, le premier confinement du printemps 2020 et les aléas des réouvertures totales ou partielles de l'activité des bars et des restaurants n'ont pas poussé les salariés à vouloir conserver leur place. Bien trop d'incertitudes régnant sur des emplois souvent peu rémunérateurs. Aussi, bien des serveurs, cuisinières et autres plongeurs ont rendu leur tablier pour tenter leur chance ailleurs. «Nous avons perdu environ 2.000 employés suite à la pandémie. Soit près de 9% des employés du secteur», ne peut ainsi que regretter le secrétaire général de l'Horeca, François Koepp.
Du côté de la Chambre des métiers, son directeur se veut plus prudent sur les chiffres concernant l'artisanat luxembourgeois. Ses différentes branches étaient déjà à la peine, avant le covid, pour trouver la main-d'oeuvre nécessaire aux besoins. Mais Tom Wirion de constater que «depuis qu'il a été décidé d'introduire le régime 3G dans le cadre professionnel, plus d'adhérents signalent des employés ayant exprimé le souhait de démissionner ou changer de poste». Une situation qui fait naître des craintes parmi certains employeurs, inquiets de perdre des effectifs qualifiés et difficilement remplaçables.
Reste que, globalement, de l'avis de Sandrine Mesnil de Randstad Luxembourg, «les salariés du Grand-Duché semblent avoir moins besoin de changement que les salariés d'autres pays». Cela même si 55% des Luxembourgeois, dans une récente étude, espéraient «améliorer l'équilibre entre le travail et la vie privée». «Les salariés sont globalement plus satisfaits de leur emploi actuel et sont, au niveau mondial, les seuls à ne pas envisager, dans leur majorité, de changer de travail.»
Lorsqu'il s'agit d'évaluer si la «grande résignation» pourrait conduire à un renversement de tendance sur le marché du travail, Michel-Edouard Ruben se montre d'ailleurs réservé. «A lire différents rapports, on a l'impression que les gens démissionnent parce qu'ils souhaitent donner plus de sens à leur travail ou parce qu'ils veulent sortir du système. Mais la vérité, c'est que la plupart des travailleurs quittent leur emploi pour... en trouver un autre». Pour celles et ceux qui osent ainsi ouvrir un nouveau chapitre professionnel, les «effets de richesse» (liés aux bourses et à l'immobilier) offrent la sécurité rassurante pour oser. «Le fait est que les personnes qui démissionnent travaillent souvent dans des secteurs mal payés et changent de travail pour obtenir un meilleur salaire d'abord.»
Pour l'expert d'Idea, ces derniers mois, le plus grand bouleversement dans le monde du travail est d'ailleurs tout autre que cette envie de bouger ou pas. C'est plutôt le home-office. Un télétravail qui a permis de continuer à faire fonctionner une bonne part de l'activité nationale, freiner la circulation du virus mais dont le bilan n'est pas tout rose. A commencer par les répercussions directes sur la fréquentation des commerces et de la restauration. Sans oublier l'impact psychologique de ''l'éloignement du bureau", une solution qui a pesé et continue de peser sur certains salariés.
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