La bureauphobie, nouveau mal de saison
La bureauphobie, nouveau mal de saison
Plus de dix-huit mois que cela dure. Et c'est peu dire que cette crise covid a bouleversé le quotidien de chacun et l'organisation de toutes les sociétés. Mais alors que l'ombre de l'épidémie plane toujours, sanitairement ou économiquement, bien des sociétés ont sonné le rappel pour cette rentrée. Demandant à leurs salariés d'être plus souvent au bureau. Après un an et demi de télétravail à forte dose, une nouvelle organisation du travail se (re)mettrait en place.
Mais attention, prévient Chloé Baumann, psychologue du travail pour le cabinet Pétillances : «Il ne faudra surtout pas faire comme si rien ne s'était passé».
Cet automne va-t-on assister à une vague de bureauphobie, une peur de revenir sur son lieu de travail?
Chloé Baumann : «Au-delà du retour au travail, c'est souvent le retour à la civilisation qui inquiète beaucoup de monde. Chez moi, un peu à l'écart, j'étais protégé des tourments covid mais aussi d'autres impératifs sociaux. Dans le contexte professionnel, l'agitation du bureau, les stimulations incessantes de l'open-space, les contraintes horaires, les déplacements quotidiens, les collègues n'étaient déjà, peut-être, pas ce qui me plaisait. Et voilà que ma hiérarchie m'invite à retourner dans cet environnement, il y a de quoi hésiter.
C'est le «syndrome de la cabane», bien connu après une période de confinement. Le dehors, les collègues, l'organisation de travail ne sont plus aussi attrayants, motivants, qu'auparavant. La phobie, la peur, ne concernera qu'une toute petite partie des gens, mais la préoccupation d'une reprise dans tout ce contexte peut toucher plus de monde.
Comment un salarié peut-il dépasser cette crainte?
«Déjà en s'interrogeant sur sa crainte. Est-elle légitime ou fantasmée? Beaucoup de personnes ont une peur irraisonnée des petits insectes alors que ceux-ci ne leur feraient aucun mal. N'est-ce pas un peu la même situation qui se présente à eux? Mais en se questionnant, la personne peut aussi voir si derrière cette angoisse du moment ne se cache pas un trauma plus ancien. Auquel cas, il ne faut pas hésiter à s'en ouvrir. Auprès d'un professionnel ou d'un ami. Après ce scan, après ce travail, cela devrait déjà aller mieux.
Sachant que s'il n'y a pas que l'anxiété d'une possible contamination covid, une soudaine bureauphobie peut traduire une autre problématique. Comme : quel sens je souhaite donner à ma carrière, à ma vie? Cette année et demie a été l'occasion pour certains de réviser l'ordre de leurs priorités personnelles, et l'injonction de retourner au bureau peut réveiller des envies d'autre chose. D'où la sensation de ne pas trouver sa place dans l'organisation ancienne, même si cela fait des années que l'on y a sa place.
Mais si peur il y a, comment la gérer?
«Oh, il y a plein de techniques. Des méthodes qui n'ont pas attendu le covid pour faire leurs preuves sur le bien-être individuel ou au travail. Méditation, pleine conscience mais, dans le cas actuel surtout, le lâcher-prise. Après tout, s'angoisser réduit-il la crainte de reprendre le chemin du bureau, réduit-il le risque de contamination? Non. Donc, j'avance en faisant ce qu'il est en mon pouvoir de faire pour bien me sentir, et en essayant de ne pas laisser mes pensées être envahies par des éléments négatifs sur lesquels je ne peux interagir.
Pour l'employeur, ce rendez-vous du retour au bureau doit aussi se préparer?
"Depuis 18 mois, les entreprises ont réagi, avancé à tâtons dans un environnement hors de leur contrôle. Là, ce retour des effectifs en plus grand nombre peut mieux s'anticiper si c'est un choix managérial. Il va être capital de remettre de l'humain, là où certaines organisations n'ont pu que mettre en place un nouvel organisationnel (home-office, visioconférence, etc).
Car, globalement, quel employeur, quel chef de service, quel collègue s'est réellement préoccupé de la façon dont l'autre a traversé la crise? Bien peu dans la réalité, parce qu'une autre urgence nous a fait perdre de vue l'importance de cette ''intelligence émotionnelle" qui doit pourtant être au cœur de nos relations, compris au travail. Je crois que le meilleur retour au bureau qui soit doit s'accompagner avant tout d'une écoute. Echanger non pas sur des bilans chiffrés, des objectifs de production ou un nouveau challenge, mais revenir sur ces mois extraordinaires que nous tous avons traversés mais différemment.
Certains ont eu des deuils, d'autres ont vécu de jolis moments avec ce confinement. Certains ont révisé leur point de vue sur leur job, d'autres sont surmotivés à reprendre. En tout cas, la pire erreur serait de reprendre comme si rien n'avait changé.
Sans cette attention, quels pourraient être les risques pour l'employeur?
«On peut prendre l'image d'un plongeur qui remonte des profondeurs mais ne respecterait pas les seuils de décompression. Là, si chacun redémarre à la minute où il retrouve son lieu et son rythme de travail d'avant-crise, ça va exploser. Burn-out en série à prévoir. Accompagner un retour progressif, avec des temps d'échanges, cela reviendra à s'éviter de l'absentéisme, une démotivation et parfois des départs de collaborateurs. Se sentir écouter, compris est valorisant pour chaque humain. Donc comme employé aussi cette prise en charge compte aussi.
Mais cela ne consistera pas juste à demander ''Alors, ça va?''. Le N+1 ou le collègue qui fera cette démarche doit aussi s'attendre à recevoir des réponses négatives ou lourdes en pathos. Pas plus qu'il ne faut se contenter d'une tape dans le dos, d'un ''Merci d'être resté mobilisé et actif, même à distance... et maintenant au boulot''. Au-delà de l'approche métier, nous sommes dans un instant où le lien social va prendre toute son importance. Il ne faut donc surtout pas négliger cette étape du retour. Avec cette écoute qui peut se faire le jour même, mais par la suite aussi.
Quelles organisations s'en tireront le mieux?
«Déjà celles qui penseront à préparer ce retour. Sortir de sa cabane, cela peut être aveuglant comme lorsque l'on quitte un tunnel : il y a ce moment de perplexité pour savoir quelle route nous attend ensuite. Et puis, dans certaines équipes, dans certaines entreprises, on a peut-être ''mieux'' géré le télétravail. Par exemple, en ne se contentant pas du distanciel pour s'éloigner des collaborateurs, mais en prenant régulièrement des nouvelles par écran interposé plutôt que de simplement transmettre des directives.
Des managers ont organisé des ''pauses café virtuelles'' au-delà du planning des réunions Teams, c'est extra. Certains ont pris soin d'ajouter des échanges individuels plutôt que toujours les mêmes rendez-vous collectifs, là encore cela permettra sans doute d'éviter certains décrochages. Car le lien a été maintenu et n'est pas à retisser dans l'urgence de la rentrée.»
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