La 5G devient «une question de civilisation»
La 5G devient «une question de civilisation»
Au lendemain du feu vert partiel du gouvernement britannique à la participation de Huawei à son réseau 5G, l'UE a publié ce mercredi toute une série de recommandations afin de prévenir tout «risque pour la sécurité». Jean Huss, quant à lui, est davantage préoccupé par les éventuels impacts sociétaux de la prochaine transition technologique.
Au Luxembourg, comme partout au sein de l'UE et bien au-delà, les gouvernements ont fait de l'implantation de la 5G une priorité. Vous avez dénoncé les risques dans le domaine de la santé, quelles sont vos autres préoccupations?
Jean Huss - «Elles sont d'ordre sociétal. D'ailleurs, les aspects sociétaux devraient beaucoup intéresser les syndicats parce que même si nos dirigeants nous promettent des emplois grâce à ces progrès technologiques, un certain nombre vont disparaître. Par exemple, le "gadget" de la voiture ou du bus connecté va nous coûter des emplois, c'est un fait. Tous les niveaux du monde du travail vont être impactés si des algorithmes sont capables de remplacer toutes sortes de métiers. Même les cadres supérieurs ne seront pas à l'abri.
Certes, l'argument avancé est que les machines vont faire le travail et que les hommes auront plus de temps libre. Ce serait un progrès, mais le problème est que les gens qui avancent ces arguments oublient que nous vivons dans un système économique capitaliste, et ce dernier n'a pas pour objectif de donner beaucoup de temps libre.
Les États-Unis ont fait pression sur leurs alliés européens pour exclure Huawei soupçonné d'espionnage pour le compte de Pékin...
«... En Europe, on dit simplement que le danger vient du chinois Huawei, mais ce n'est pas seulement ce dernier qui pose problème, car toutes les grandes entreprises en situation de monopole pratiquent déjà une forme de surveillance. Nous nous aventurons en direction de la smart home, de la smart city, tout sera smart. Cela permettra une surveillance au niveau commercial mais aussi politique.
La fabrication d'un jumeau pour chacun de nous est possible.
Déjà, depuis la mise en service de la 4G, la fabrication d'un "jumeau" pour chacun de nous est possible. Avec des algorithmes, il leur suffit d'avoir 50 ou 70 likes pour réaliser un profil d'une personne.
Au niveau de l'espionnage entre États, tout le monde se souvient de l'épisode du piratage du téléphone portable d'Angela Merkel par la NSA (en 2013). De même, les gouvernements pourront se procurer les profils sociologiques de certains utilisateurs pour savoir à l’avance comment va fonctionner tel ou tel individu face à telle ou telle circonstance.
Et au niveau commercial?
«Le risque est extrêmement grand. L'intérêt des grands groupes reste de générer de plus en plus de consommation, et ce, alors que nous nous retrouvons face à d’énormes défis écologiques.
Dans ce contexte de transition technologique, l'éducation est aussi votre cheval de bataille, n'est-ce pas?
«Nous avions pensé qu'en introduisant wifi et tablettes dans les écoles, cela allait améliorer les performances intellectuelles et l'apprentissage des enfants. Mais la dernière étude Pisa montre que c'est justement le contraire. Les résultats les plus dramatiques apparaissent dans le domaine des mathématiques. Des études ont démontré que les jeunes qui sont trop précocement en contact avec des tablettes ou des smartphones s'habituent à une forme d'apprentissage très superficielle. Cela n'aide pas à créer des synapses (points de contact) entre les neurones.
Un autre problème, constaté en Corée du Sud ou au Japon, montre que 10% des jeunes de 14 ans sont complètement dépendants. Ils fonctionnent dans un univers de likes et ne peuvent plus se concentrer. Smartphone en main, leur système de dopamine est activé, si on leur retire ils deviennent agressifs.
Le progrès vers lequel nous tendons est à double tranchant.
En définitive, vous dépeignez un tableau bien pessimiste de la nouvelle transition technologique qui nous attend.
«A mon avis, c'est même une question de civilisation qui est en jeu. Et je ne suis pas le seul à lancer cette alerte. Dernièrement, en France, est paru La fabrique du crétin digital, signé par un docteur en neuroscience (Michel Desmurget, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale). Des écrits de ce type existent aussi en langue allemande ou anglaise et tous font le même constat.
Quand je parle de question de civilisation, je parle d'idéal d'éducation. Même si ça n'a pas toujours fonctionné pour tout le monde, cet idéal a toujours eu une vocation humaniste. Mais avec ce que nous observons actuellement, à l'image de toutes les dérives liées aux réseaux sociaux, nous constatons que ce progrès vers lequel nous tendons est à double tranchant. Tout est dominé par les intérêts des très grosses industries, faut-il dès lors réellement aller dans cette direction alors que le principe de précaution doit aussi être appliqué pour la santé?
