Ce qu'un impôt minimal mondial changerait au Luxembourg
Ce qu'un impôt minimal mondial changerait au Luxembourg
(Jmh avec Thomas Klein) - L'heure de la compétition fiscale entre Etats pour attirer sur leur territoire les grandes multinationales semble révolue. Alors que les budgets des Etats se retrouvent plombés par les mesures mises en place pour lutter contre la pandémie, l'idée d'instaurer un impôt mondial minimal tombe à pic. Discutée au sein de l'OCDE depuis 2017, l'idée pourrait rapporter entre 84 et 202 milliards d'euros par an, montant estimé de l'évasion fiscale par l'organisation internationale basée à Paris.
Remise sur le devant de la scène la semaine dernière par Janet Yellen, secrétaire américaine au Trésor, la proposition d'instaurer une taxation minimale de 21% a reçu un accueil favorable sur le Vieux Continent. Même au Luxembourg où Pierre Gramegna (DP), ministre des Finances, a évoqué auprès de l'agence Bloomberg une proposition qui «va dans la bonne direction», puisque «dans l'intérêt de l'Europe et des Etats-Unis» et qui apporte une réponse «à la course vers le bas» mise en oeuvre par «de nombreuses multinationales qui tentent de réduire leur imposition à un niveau proche de zéro».
Des signes de bonne volonté politique qui ne devraient toutefois pas se traduire rapidement dans les faits, à en croire Werner Haslehner, professeur de droit fiscal international à l'Uni, cité par nos confrères du Luxemburger Wort. Si ce dernier estime qu'«un accord politique est possible, même à court terme», il estime que «le chemin reste encore long avant de disposer d'un accord juridiquement contraignant qui réglemente exactement la manière dont tout cela sera mis en oeuvre».
En cause, notamment, les difficultés à identifier pour les autorités fiscales le pays d'imposition en raison d'un système basé sur «une économie mondialement intégrée avec des chaînes d'approvisionnement compliquées», précise le spécialiste. Sans oublier le fait que «le taux d'imposition ne constitue qu'une partie de l'équation», rappelle Werner Haslehner. Indiquant que les multinationales prennent également en compte la base d'imposition.
A ces obstacles techniques viennent s'ajouter d'autres questions, comme la possible obligation de mettre sur pied une directive européenne pour traduire dans les législations des Etats membres un accord international. Un texte qui pourrait être bloqué (ou édulcoré) par les 27, puisque la fiscalité relève de la souveraineté nationale. «Je ne peux m'imaginer qu'un taux d'imposition minimal de 21% soit maintenu, car un grand nombre de pays importants, comme l'Allemagne, se situent bien en dessous de ce taux», précise le spécialiste de l'Uni.
Au Grand-Duché, les effets de l'application de la mesure restent encore difficilement perceptibles, puisque si Werner Haslehner décrit le Luxembourg comme «un acteur majeur de la planification fiscale internationale pour les sociétés», il rappelle que «de nombreuses mesures contre l'évasion fiscale agressive ont déjà été appliquées ces dernières années» et que, pour l'heure, la mise en oeuvre d'un impôt minimal mondial «ne signifierait pas automatiquement un retrait immédiat des activités des multinationales implantées au Luxembourg».
Faisant écho à la sonnette d'alarme tirée par Pierre Gramegna qui soulignait que l'introduction d'une telle mesure devait tenir compte «des considérations spécifiques» de certains pays européens comme «les petites économies ouvertes comme les pays du Benelux», le professeur de l'Uni estime que «supprimer un outil important permettant aux petits Etats de rivaliser avec les grands au niveau international peut s'avérer injuste». Ce qui pourrait alors avoir «des conséquences négatives» sur le Grand-Duché.
«Si la proposition est réellement mise en oeuvre, le pays devra faire encore plus pour attirer les entreprises innovantes, les start-up et les talents», juge pour sa part Carlo Thelen. Pour le directeur de la Chambre de commerce, ces efforts doivent s'appuyer sur «les infrastructures numériques, le caractère international du pays et sa position centrale en Europe et au sein de la Grande Région». Sans oublier la poursuite des travaux en vue de «la simplification administrative, la diversification de l'économie et la création d'un cadre réglementaire favorable aux entreprises».
Dans une interview accordée à nos confrères de RTL, Pierre Gramegna estimait pour sa part que le pays ne serait pas impacté par un tel dispositif, les investisseurs étant davantage sensibles «au triple A, à la prévisibilité et à la croissance économique» qu'au taux d'imposition.
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