Au bureau, la parole dégonfle les conflits
Au bureau, la parole dégonfle les conflits
Longtemps, il a été juge au tribunal des prud'hommes en France. Et longtemps, Christian Bos s'est demandé: «Pourquoi un salarié devait arriver jusque devant une juridiction pour résoudre un différend lié à la seule pratique d'un emploi?» C'est ce qui l'a poussé à se pencher sur les questions de médiation et, aujourd'hui, à former des personnels à devenir modérateurs. «La plupart des conflits au travail prennent des proportions considérables mais peuvent se dégonfler facilement», rassure au passage le directeur de l'Institut Européen pour le Développement des Relations Sociales (IEDRS)*.
L'irritabilité ou les tensions entre employés augmentent-elles sur le lieu de travail?
Christian Bos - «C'est incontestable. Déjà parce que la culture du résultat, la rapidité d'action, de décision, et le stress engendré par la fragilité des sociétés ont considérablement augmenté. Ensuite parce que l'émotionnel a pris une place plus importante dans notre comportement. Nous sommes devenus plus sensibles à certains signaux que peuvent nous renvoyer les collègues, les supérieurs, les clients ou fournisseurs. Un mot, un ton dans une phrase, un regard, un rire un peu trop sonore, la température de la pièce, un environnement bruyant: voilà les étincelles fréquentes des conflits au travail.»
Des facteurs extérieurs à l'entreprise jouent aussi dans ce climat chauffé à blanc?
«Effectivement. Nous sommes entrés dans une société de communication sur réseaux, mais moins directement verbalisée. Et puis, la souffrance au travail est devenu un thème d'actualité dont tout le monde a connaissance. Du coup, chacun transpose une part de son éventuel mal-être et a tendance à surévaluer les difficultés auxquelles il peut être confronté.
Pourtant, vous persistez à affirmer que la résolution des conflits est possible la plupart du temps.
«Je fonde cet avis sur une règle simple. Un différend peut naître de trois causes: l'interprétation, la contrainte ou le jugement. Dans le premier cas, je saisis mal ce qui m'a été signifié presque parce qu'inconsciemment je n'ai pas envie d'entendre le message. Dans le second cas, me plier à une demande engendre une forte frustration par rapport à l'autonomie que je souhaite avoir. Enfin, dans le troisième cas, je condamne abruptement un homologue en rejetant non seulement tout ce qu'il peut faire mais ce qu'il peut être. Prenez une goutte de chacun de ces trois éléments et vous avez la recette d'une bombe à retardement sociale qui explosera et créera une dispute.
Pour éteindre l'embrasement, il n'y a qu'un élément : la communication. Il faut revenir à du factuel et s'éloigner du (re)sentiment. Qu'est-ce qui vous oppose vraiment? J'ai connu le cas où un collègue, en pleine rupture amoureuse, ne supportait plus son voisin de bureau, en fait parce qu'il affichait des photos de son bonheur familial. Ce n'était pas le travail qui était à remettre en cause, mais une humeur.
Communiquer, facile à dire…
«(Presque) facile à mettre en place. Il faut qu'à la base les salariés entrent en relation. Si cela ne se fait plus, c'est au management de veiller à ce que ces connexions - indispensables à l'humain comme au bon fonctionnement d'un service- soient retissées. Il faut donc que la parole circule entre tous les maillons. Pas uniquement des ordres de haut en bas, mais des informations des uns vers les autres. Des données en lien avec le travail ou personnelles. Un salarié qui est en capacité de dire à ses collègues «Désolé, aujourd'hui, pour une raison X, je souhaite être un peu en retrait», voilà qui peut désamorcer une situation de crise.
Je crois que dans un conflit, le fâché a sa part de responsabilité. Parce qu'il n'a pas su verbaliser suffisamment tôt, ce qui a fini par prendre une proportion inacceptable à ses yeux. Reconnaître un dérangement, un souci, une incapacité ne doit rien avoir de déshonorant ou irritant. C'est le premier pas vers une amélioration.
Renouer les liens et le dialogue, c'est généralement à cela que servent les séances de team-building. Voilà donc une bonne solution?
«Non... et oui! Je dis non si ces sessions ne sont pas précédées par un audit de la situation conflictuelle. Cela ne sert à rien de rassembler des antagonismes pour les faire jouer ou construire une pyramide, si le formateur n'a pas pris le pouls de la situation et de chacun des acteurs. je dis oui, car par le ludique, par l'évolution dans un autre cadre que l'entreprise, bien des tensions peuvent s'apaiser et des choses se dire. Après, que ce soit via un coach, un médiateur, un chef de service ou un manager de société, le seul message à faire intégrer à tous reste: comment puis-je agir utilement vis-à-vis de mes collègues et donc pour le projet de ma firme.
Ces échanges faut-il les formaliser dans l'agenda de travail?
«Pourquoi pas. Si la semaine de travail se résume à 40h de présence devant son ordinateur ou sa machine, le job n'a plus aucun intérêt. Par contre, si l'on trouve un temps pour expliquer ce que je fais, signifier pourquoi là il y a un temps fort ou faible, prendre le temps d'écouter les suggestions de tous, du plus timide au plus vitupérant, alors l'organisation crée du sens et peut s'améliorer. La nouvelle génération arrivée sur le marché du travail demande cette profondeur pour s'engager.
Et puis, il faut que les chefs d'entreprise prennent conscience qu'un climat conflictuel dans une organisation, ça peut se chiffrer en euros. Une entreprise où règnent des tensions, c'est un turn-over plus important, des retards dans les prises de poste, une productivité en baisse et, au pire, des procès. Aucun patron ne veut cela.
Les entreprises au Luxembourg sont-elles plus ou moins sujettes à ce climat conflictuel?
«Pas plus qu'ailleurs en Occident. Mais l'organisation du travail ici implique un mélange de nationalités, de langues, de cultures. Il faut donc une bonne adaptabilité des salariés à ces différences. Intégrer un Belge, un Allemand ou un Chinois, ça n'impose pas les mêmes protocoles.
La médiation a fini aussi par devenir un élément pris en compte dans les organisations professionnelles. J'ai en tête l'exemple du Centre hospitalier du Nord qui va créer un groupe de travail "Éthique et comportement". L'idée est que les salariés puissent identifier plusieurs personnes au sein de l'établissement pour confier d'éventuels problèmes et réfléchir avec elles à un aboutissement. Voilà un exemple allant dans le bon sens. Mais les salariés au Grand-Duché peuvent également se satisfaire de voir le pays avancer sur les questions de harcèlement au travail. Le mobbing n'a peut-être pas encore de loi propre, mais sa prise en compte est de mieux en mieux encadrée.»
• Institut Européen pour le Développement des Relations Sociales (IEDRS): 42-44, rue de Hollerich L-1740 Luxembourg, tel. 26 12 34 58.
