Une indémodable déclaration d’amour à Gainsbourg
Une indémodable déclaration d’amour à Gainsbourg
Aligné au côté d’autres candidats comme dans un vrai casting, Dominique Horwitz ne serait pas passé loin de décrocher le rôle. Sa morphologie est confondante avec celle de l’artiste. La barbe de quelques semaines lui va à merveille et ses oreilles décollées finissent admirablement le travail. L’acteur se glisse dans un costume rayé enfilé par-dessus une chemise blanche dont les bords sont repliés sur la veste. Pantalon de cuir, Repetto blanches. Gainsbourg est dans la place.
«Gainsbarre», tonne l’homme à la tête de chou. Car il n’est pas question de lisser ici un portrait de ce génie de la chanson française. Il s’agit de retracer sa vie et sa carrière avec ses dérives et ses excès. Si la boisson anisée a fait place à l’eau pour la bonne tenue du spectacle, le célèbre paquet bleu de Gitanes y passe, lui, pendant les deux heures. L’une est allumée à la suite de l’autre. Grillée pendant que l’acteur germano-français singe à merveille Lucien Ginsburg. Dans son phrasé avec parfois l’accent allemand qui trébuche sur la fin des mots et dans une gestuelle qui lui confère parfois un air de pantin désarticulé.
Un spectacle, un paquet
«J’ai toujours considéré qu’il y avait deux génies: Jacques Brel et Serge Gainsbourg», confessait en marge du spectacle le sexagénaire né à Paris que l’on déjà vu dans des épisodes de «Tatort» quand il ne fait pas une apparition dans «Le Renard». «Brel, je l’ai déjà fait. Ici, l’approche est différente. La biographie est la trame. Mais il y a un point commun: la poésie.»
Et une matière foisonnante. Tant dans son parcours musical que dans un itinéraire de vie cabossé, Gainsbourg est une source inépuisable. Horwitz le raconte avec gourmandise. La pelote se détricote à l’envi, les anecdotes pimentent le récit et les chansons enrobent le tout.
Le petit Lucien est tombé dans la marmite musicale dès son enfance avec un papa pianiste et une maman mezzo-soprano. Les origines juives du chanteur occupent une partie du spectacle aussi avec quelques piqûres de rappel glaciales comme le port de l’étoile jaune. L’école ne fut franchement pas sa tasse de thé. Place aux Beaux-Arts et à un univers qu’il va s’inventer à l’infini. Chaque tranche de vie est entrecoupée de morceaux forcément décalés chronologiquement le temps que le jeune homme débute sa carrière musicale. Et lorsqu’on met les deux pieds dans cette malle aux trésors musicaux, on peine à en sortir.
Du jazz au reggae
Près de 500 chansons composent le répertoire de l’artiste parisien, authentique touche-à-tout comme en témoignent les différents morceaux joués par Kai Weiner au clavier et au piano, Peter Engelhardt à la guitare, Volker Reichling à la batterie et Johannes Huth qui passe avec bonheur de la basse à la contrebasse. Le jazz accompagne certains opus comme «Le Poinçonneur des Lilas», le funk donne un côté hypnotique à «Love on the beat», «You’re Under Arrest» est un savant mélange de rap et d’électro alors que «Aux armes et caetera», version reggae, symbolise le sens de la provocation made in «Gainsbarre»
Car on ne peut décemment zapper ses saillies verbales qui en ont fait un client à la fois recherché et redouté des plateaux de télévision. En début de spectacle, Horwitz glisse subrepticement le clash avec Whitney Houston lorsque le chanteur déclara à la star américaine une envie un peu trop brutale sous le regard médusé de Michel Drucker. Parmi tant d’autres, l’acteur se souvient de celle-ci: «Si j’avais à choisir entre une dernière femme et une dernière cigarette je choisirais la cigarette: on la jette plus facilement!»
La femme est indissociable du parcours de l’artiste. Elle est au centre du jeu de l’acteur de Weimar. Gainsbourg vit une aventure brève mais intense avec Brigitte Bardot en 1967. Il lui écrit «Harley Davidson», «Bonnie and Clyde» et «Je t’aime… moi non plus», l’un des moments forts de ce tableau brossé en deux heures avec une respiration de quelques minutes pour la centaine de spectateurs. Avant de finir dans les bras du mannequin Bambou, il vit une romance très médiatique avec Jane Birkin avec qui il aura une fille, Charlotte.
L’histoire de Melody Nelson symbolise parfaitement la période avec une touche de rock progressif qui montre que Gainsbourg a vécu avec son temps… quand il ne l’a pas précédé.
«Je suis venu te dire que je m’en vais» tire une larme à certains avant que le rideau ne tombe sur cette réappropriation 32 ans après la disparition de celui qui restera comme l’un des cinq plus grands artistes de la chanson française.
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