Un vétéran de la modernité
Un vétéran de la modernité
PAR NATHALIE BECKER
Il a eu 90 ans le 28 janvier 2015. Si ce vénérable anniversaire a été salué par bon nombres d'articles notamment dans les pages du "Luxemburger Wort", Jim Junius méritait un événement à la hauteur de la place qu'il occupe dans l'histoire de l'art luxembourgeoise.
C'est chose faite avec l'exposition rétrospective qui se tient actuellement à la galerie du Théâtre d'Esch-sur-Alzette. Avec pour commissaire Lucien Kayser, lequel a sélectionné fort judicieusement 54 œuvres représentatives du travail de l'artiste, l'exposition nous offre une plongée dans l'univers de Junius du milieu des années 50 à 2012.
Figuratif, mais au souffle novateur
Tour à tour, nous découvrons un Junius figuratif dans «Gare de Lyon» de 1954 et dans «Portrait de jeune fille» de 1956, daté de l'année même où son travail est remarqué au Salon des indépendants de Paris. L'artiste, qui a su se détourner de la peinture conventionnelle, emplit ses œuvres d'un souffle novateur et, de ce fait, va s'afficher aux yeux des critiques et des amateurs comme l'un des pionniers de la scène artistique luxembourgeoise.
Il sera d'ailleurs lauréat du Prix Grand-Duc Adolphe deux ans plus tard en 1958. Rapidement Junius, créateur affranchi, faisant preuve d'une grande liberté d'esprit et d'une farouche volonté d'échapper aux carcans et aux diktats des académismes de tout poil, va faire le choix d'un vocabulaire abstrait et lyrique.
Poésie de l'abstrait
S'imposent ainsi à notre regard dans l'exposition «Bassin minier» 1972 (MNHA) et «Carrière bleue» 1973. Là, nous sommes face à des œuvres où résonne toute la poésie du paysagisme abstrait. L'artiste devient un alchimiste de la couleur. Sa palette nous transporte réellement, aussi bien vers les impressions ressenties devant les sites du Bassin minier que vers une mise en relief du monde intérieur du peintre.
A l'instar de ses contemporains Probst, Bertemes ou Gillen, Junius assimilera également la leçon de l’Ecole de Paris dont l'écho était particulièrement retentissant à l'époque au Luxembourg, tant auprès des artistes que des amateurs d'art.
Sagesse, résignation
et optimisme
Nous retrouvons bien évidemment dans l'accrochage les œuvres où l'artiste excelle dans le rendu des nocturnes, telle «Nuit sur le port». Là, nous appréhendons son grand talent dans la transcription des atmosphères et des ambiances et également son aptitude à doter ses œuvres d'une certaine gravité, presque d'une dramatisation.
Sensibilité vivace
Cependant, dans l'univers bien tempéré de Jim Junius, point d'emphase, point de pathos, simplement l'expression d'une sensibilité vivace.
Et lorsque nous découvrons la monumentale toile «Anniversaire», la hardiesse du peintre nous saute aux yeux. A près de 87 ans, il n'a pas hésité à s'atteler à une œuvre ambitieuse, poétique et harmonieuse. Dans les œuvres des dernières années se mêlent sagesse, résignation et optimisme. Quelque temps avant et après la disparition de son épouse Yvonne en 2012, Junius produit des toiles denses, puissantes, nostalgiques où la présence d'un pinceau cassé résonne de toute sa symbolique mortifère.
Cependant, l'année suivante, il peint sur papier à l'acrylique des œuvres plus légères, plus optimistes pour honorer la commande faite par une amie, laquelle par sa présence bienveillante et désintéressée lui a redonné espoir en la vie et en la création. Ainsi la série «Ô Zen» irradie de sa palette lumineuse. Assurément, cette exposition s'imposait tant l'artiste a été discret ces dernières années sur la scène artistique. A voir l'engouement du public lors du vernissage, le travail de haute volée et de haute tenue de Jean-Pierre Junius a manqué dans le paysage artistique luxembourgeois.
Jusqu'au 23 mai à la galerie du Théâtre, 122, rue de l'Alzette, Esch/Alzette. Ouverte du mardi au dimanche de 15 à 19 heures.
