"Soulagée d'avoir construit quelque chose de génial malgré tout"
"Soulagée d'avoir construit quelque chose de génial malgré tout"
Changements et tensions au sein de l'équipe de direction, pandémie de covid-19 et reproches des artistes concernant l'orientation trop commerciale du programme... Nancy Braun n'a pas eu la tâche facile. Dans l'interview accordée au Wort, la directrice d'Esch2022 jette un regard en arrière et tire un bilan globalement positif. Il appartient désormais aux communes participantes de la région sud de poursuivre l'héritage ...
Nancy Braun, la magie de l'année de la capitale culturelle Esch2022 est maintenant quasiment terminée. Êtes-vous soulagée que l'année soit «terminée» ? Une année de Capitale européenne de la culture est un tour de force, et il y a eu plusieurs changements de personnel au sein de l'équipe de direction...
Oui, d'une part, je suis soulagée parce que beaucoup de choses ont été mises en place ces dernières années. Si l'on met de côté les changements de personnel, nous avons traversé la pandémie, le lockdown, qui nous a un peu ralentis dans notre élan, même après l'appel à projets 2019 et le coup d'envoi début 2020. C'est pourquoi je suis surtout soulagée que nous ayons pu, avec les partenaires, construire quelque chose de formidable malgré tout. Les avis divergent sur ce que doit être une année capitale de la culture. Certains s'imaginent une biennale d'art, d'autres une grande kermesse, et je dis alors toujours que ce n'est ni l'un ni l'autre. C'est un grand programme avec de nombreux éléments différents, où chacun est mis à contribution.
Les avis divergent sur ce que doit être une année capitale de la culture. Certains s'imaginent une biennale d'art, d'autres une grande kermesse, et je dis alors toujours que ce n'est ni l'un ni l'autre.
Nancy Braun
Quel a été, selon vous, le plus grand succès d'Esch2022, en termes de politique culturelle et de perception par le public ? Cela coïncide-t-il ?
Je pense que les succès se situent à différents niveaux. L'un est la manière dont Esch a développé, dans le cadre de sa candidature, la stratégie «Connexions», qui doit contribuer au développement culturel de la ville. L'accent a été mis sur l'«accessibilité», afin de communiquer vers l'extérieur que le projet s'adresse à un large public. Cela s'est fait dans le cadre de notre inauguration, qui n'a pas été simplement une grande fête avec des feux d'artifice, mais au fond un projet participatif. Il a été conçu de manière à ce que les gens puissent s'impliquer en amont, par exemple par le biais du «Remix Festival», afin de participer à l'organisation de l'ouverture.
Ensuite, ce sont aussi des succès, comme le festival avec la Rockhal, auquel plus de 50.000 personnes ont participé - c'est énorme. Mais il y a aussi eu beaucoup de petits ateliers auxquels beaucoup ont participé. Le succès est toujours relatif.
Qu'est-ce que vous considérez vous-même comme votre plus grand succès ? La large accessibilité de la culture en fait ?
Je ne dirais pas que nous y sommes parvenus à cent pour cent, mais c'est quelque chose que nous avons initié. Nos partenaires de projet ont vraiment réfléchi à de nouveaux moyens de mettre en œuvre cette accessibilité. Je voudrais encore souligner la dimension européenne. Avec nos villes partenaires de Kaunas et Novi Sad, nous avons mis sur pied plus d'un tiers du programme. De même, la coopération avec les communes s'est améliorée, même au-delà des frontières, et de nouveaux réseaux ont vu le jour.
Avec nos villes jumelles de Kaunas et Novi Sad, nous avons mis sur pied plus d'un tiers du programme.
Nancy Braun
Kaunas, la capitale culturelle lituanienne 2022, a attiré plus de deux millions de visiteurs l'année dernière ; Esch2022, malgré une publicité ciblée à l'étranger, est loin d'avoir attiré autant de visiteurs dans le sud du Luxembourg. Existe-t-il des chiffres représentatifs sur le nombre de visiteurs et de visiteuses ?
Nous attendons encore les statistiques que nous recevons de nos partenaires de projet. Le point de départ de Kaunas était différent de celui d'Esch. En tant que ville, Kaunas compte déjà plus d'habitants qu'Esch et sa région. La Lituanie compte également beaucoup plus d'habitants qu'ici, le rayon d'action est plus large et Kaunas a orienté elle-même la plupart des projets. Il faut voir d'où viennent les visiteurs et de quoi se compose ce nombre. Bien sûr, tout le monde souhaite que les visiteurs viennent du monde entier. Mais on est en concurrence avec de nombreuses autres villes et localités.
Ce qui ressort des premiers sondages, c'est qu'il n'y a certainement pas eu de manque d'intérêt. Il nous a simplement fallu un peu de temps pour nous familiariser avec le projet.
Nancy Braun
Comment expliquez-vous le manque d'intérêt pour le programme culturel dans le sud du Luxembourg ?
Il ressort des premiers sondages qu'il n'y a certainement pas eu de manque d'intérêt. Il nous a simplement fallu un peu de temps pour nous familiariser avec le projet. Au début, il est difficile de susciter l'intérêt parce qu'on est dans une période hivernale au début de l'année. De plus, nous sortions du lockdown, le 26 février encore, lors de l'ouverture, nous étions en proie à des restrictions. Deux jours plus tard, elles étaient levées et le succès était là. Au Festival du feu, nous avons accueilli 5.000 personnes en un week-end.
On ne peut pas dire qu'il y ait eu un manque d'intérêt. Il y avait des visiteurs partout, et en plus, ceux qui étaient là étaient totalement enthousiastes - c'est ce qui ressort des sondages. Dans d'autres capitales de la culture, il n'y a pas non plus d'engouement dès le premier jour. Le succès d'un projet de capitale culturelle n'apparaît en fait que des mois et des années plus tard, grâce à tout ce qui a été mis en place.
Dans d'autres capitales de la culture aussi, il n'y a pas de "rambazamba" dès le premier jour. Le succès d'un projet de capitale culturelle ne se révèle en fait que des mois et des années plus tard.
Nancy Braun
La ville d'Esch ou ses représentants ont-ils jamais été au clair sur ce qu'ils voulaient offrir à l'Europe et aux habitants de leur ville pendant l'année culturelle ? Votre message culturel est-il passé ? Et quel était ce message spécifique ?
L'idée de base était le «Remix Culture». Au fond, il s'agit de rassembler ce que nous avons et ce qui existe déjà, de le mélanger et de créer quelque chose de nouveau. C'est d'ailleurs ce qui a déterminé notre appel à projets : il ne faut pas forcément réinventer la roue, mais réfléchir à ce que l'on fait. Comment puis-je renouveler cela ? Comment l'amener à un autre public et y ajouter une dimension européenne ?
Bien sûr, tout cela ne se fait pas tout seul, il faut aussi poursuivre l'engagement pour que l'investissement ait un impact sur l'avenir.
Nancy Braun
La région d'Esch2022 comme pôle d'attraction culturel
Que reste-t-il ? De nouvelles initiatives et maisons culturelles ont vu le jour, comme la Konschthal, la Bridderhaus, l'ancien cinéma Ariston a été rénové et rattaché au théâtre d'Esch avec une scène pour le jeune public. Avec la création de la Fresch-Asbl en avril 2020, ils ont une structure qui gère la Bridderhaus et la Konschthal. Pensez-vous que la région autour d'Esch deviendra à l'avenir un point de référence et d'attraction culturel ?
Oui, il est certain qu'Esch et la région deviendront un pôle d'attraction. J'ai cru à Esch2022 dès le début, sinon nous ne serions pas assis ici.
Si l'on regarde maintenant la région sud avec ce que nous avons créé, c'est en fait phénoménal. Partout, dans toutes les communes, qu'elles soient grandes ou petites - de Käerjeng à Bettembourg en passant par Esch - quelque chose a été créé qui aura un avenir. Bien sûr, tout cela ne va pas de soi, l'engagement doit être poursuivi pour que l'investissement ait un impact sur l'avenir. Cela demande l'engagement de chacun, la responsabilité des acteurs culturels, de la politique et bien sûr aussi l'engagement des citoyens, afin de donner une chance à l'ensemble pour que les choses se développent.
Il est certain qu'Esch et la région deviendront un pôle d'attraction. J'ai cru à Esch2022 dès le début, sinon nous ne serions pas assis ici.
Nancy Braun
Mon impression est que l'on n'a pas vraiment réussi à intégrer les régions frontalières (Lorraine) ? Si on parle avec des gens à Metz, Thionville ou Longwy, Esch2022 semble être passé à côté du public. Qu'est-ce qui ne s'est peut-être pas bien passé en amont d'Esch2022 ?
Eh bien, je ne peux vraiment pas confirmer cela. Près de 30% des projets ont été transfrontaliers. Par rapport à 2007, nous avons cette fois vraiment réussi à faire fonctionner le petit laboratoire européen - comme je l'appelle toujours - parce qu'il y a eu beaucoup d'échanges entre les partenaires luxembourgeois et français. Le fait est que, proportionnellement à la population, il y a eu autant de projets venant de la partie française que de la partie luxembourgeoise de notre région-capitale et qu'ils ont eu lieu tout aussi proportionnellement.
Mais des projets ont également vu le jour grâce aux échanges, si l'on en juge par exemple par le Minett-Trail et le nouveau circuit transfrontalier de l'acier. Il ne faut pas non plus oublier les contraintes de temps auxquelles nous étions soumis. Il s'agit justement d'un premier coup de pouce. Nous avions plus de 160 projets avec plus de 2.400 événements - c'était beaucoup trop.
Tout cela ne va pas de soi, l'engagement doit être poursuivi pour que l'investissement ait un impact sur l'avenir.
Nancy Braun
Situation gagnant-gagnant
Dans le cadre de l'année de la capitale culturelle, des voix se sont élevées pour reprocher au programme d'Esch2022 d'être trop commercial. Vous aviez en effet de nombreux partenaires de sponsoring ? Est-ce que c'est la critique de ceux qui ont été trop négligés dans le programme ?
J'aimerais vous montrer les pages de Kaunas ou de Novi Sad, vous montrer combien de sponsors ces villes avaient - avant même le début du projet. Je veux dire qu'il y a deux choses qui sont importantes. La première est que l'on a pour mission - une disposition de la Commission - de faire monter des sponsors à bord. Et je pense que c'est une bonne chose, car cela peut servir à financer d'autres éléments du programme.
Les sponsors peuvent aussi aider à développer un public. Prenons l'exemple d'Arcelor Mittal : grâce au partenariat, beaucoup de communication a été faite auprès du personnel. De plus, de nombreuses personnes ne seraient pas venues si elles n'avaient pas été partenaires - mais elles sont alors aussi des ambassadeurs. C'est donc une situation gagnant-gagnant. Si l'on vit correctement un tel partenariat, il ne s'agit pas seulement de recevoir de l'argent et de le transmettre. Il s'agit aussi de responsabilité, de responsabilité sociale, et je pense que c'est quelque chose qui est très important pour les entreprises. Et il s'agit de réseaux, c'est pourquoi nous avons également proposé le «Business Club for Culture».
Les partenariats avec les entreprises sont une situation gagnant-gagnant. Si l'on vit correctement un tel partenariat, il ne s'agit pas seulement de recevoir de l'argent. Il s'agit aussi de responsabilité sociale. Et il s'agit de réseaux, c'est pourquoi nous avons également proposé le "Business Club for Culture".
Nancy Braun
Nouer des partenariats n'est pas seulement une stratégie pour l'exécutif culturel d'Esch2022, mais aussi pour nos partenaires de projet. Si le partenariat fonctionne bien, la collaboration entre le sponsor et le projet peut également bien fonctionner au-delà de 2022. Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui ne voient pas les choses de cette manière, mais qui s'attendent à ce que le ministère de la Culture paie tout. Mais dans ce cas, la part du budget de la culture dans le budget de l'État devrait être bien plus importante. Qu'il y ait des gens qui ne soient pas contents que leur projet n’ait pas été retenu par l'appel à projets, je peux le comprendre, mais tous les projets n'ont pas toujours répondu aux critères.
Je peux comprendre qu'il y ait des gens qui ne soient pas contents que leur projet n’ait pas été retenu par l'appel à projets, mais tous les projets n'ont pas toujours répondu aux critères.
Nancy Braun
Si vous pouviez planifier dès le départ la prochaine candidature du Luxembourg à une Capitale de la culture, que feriez-vous différemment ? Y aurait-il aussi quelque chose à changer dans la structure ?
Je n'étais pas là dès le début ... La première chose serait peut-être de veiller davantage à sensibiliser la population dès le départ. Ensuite, il faut avoir différents partenaires autour de la table lorsqu'on envisage de déposer une candidature, et pas seulement des partenaires culturels, mais aussi des partenaires financiers. Ces derniers doivent être impliqués et comprendre exactement ce que l'on veut faire. Parce que c'est un concept relativement abstrait au départ.
Cet article est paru initialement sur le site du Luxemburger Wort.
Traduction: Mélodie Mouzon
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