Myriam Muller: «Je suis tout sauf une provocatrice»
Myriam Muller: «Je suis tout sauf une provocatrice»
«Anéantis» est l’œuvre phare de la dramaturge britannique Sarah Kane, une auteure au parcours aussi essentiel que fulgurant: en 1999 elle se suicide à l’âge de 28 ans. Au moment de la création d'«Anéantis» en 1995 la presse britannique se déchaîne: cette pièce est sale, violente, dangereuse. Samedi prochain elle sera jouée au Grand Théâtre dans une mise en scène de Myriam Muller.
Une chambre d’hôtel: Ian et Cate, tous deux malades, corps et âme, voient leur crise de couple confrontée à une guerre civile au dehors. Une explosion détruit la chambre. Survient alors un soldat. Inspirée au moment de son écriture par la guerre en Bosnie, cette pièce trouve aujourd'hui une actualité tragique dans la situation en Syrie. Un comédien syrien, Ramzi Choukair, incarnera le rôle du soldat. Dans une interview au moment des répétitions, Myriam Muller a expliqué pourquoi elle s'est lancée dans ce projet.
- A quel moment vous avez ressenti le besoin de mettre en scène cette pièce?
L’année dernière la situation en Syrie était devenue tellement urgente, mais le milieu du théâtre n'en parlait pas. Je trouve qu’il est important de se positionner comme créateur et de dire à voix haute pourquoi on fait ce métier. On le fait sans doute pour raconter des histoires, pour divertir, il faut de tout, mais parfois il faut aussi prendre position et exprimer des opinions.
- Quelle sera votre lecture de la pièce?
«Anéantis» a été écrit il y a plus de vingt ans autour de la guerre civile en Bosnie. Elle décrit exactement la même histoire que celle de la Syrie d’aujourd’hui… On sait que l’histoire est cyclique et pourtant on a l’impression qu’on n'apprend jamais des erreurs antérieures. Pour moi, il est important de raconter cette pièce au-delà du fait qu’elle montre une guerre civile. Moi, ce qui m’intéresse dans cette pièce, c’est la deuxième partie, c’est la rédemption, la capacité de pardon.
- Sarah Kane n’a écrit que cinq pièces. Comment est-ce que vous avez découvert son œuvre?
A Avignon j'ai vu «Anéantis» dans une mise en scène très «jusqu’au-boutiste» de Krzysztof Warlikowski. Les spectateurs sortaient en grappe. J'aurais fait pareil, si Marja-Leena Junker ne m'en avait pas empêché. Je trouve que Sarah Kane, au-delà de sa biographie, qui évidemment explique aussi sa hypersensibilité et son suicide, était une jeune femme qui avait les antennes ouvertes à toutes les sensibilités. Ce qui reste d’elle au-delà de sa fin tragique, est son œuvre. Il ne faut pas non plus trop brouiller les pistes. C’est une pièce beaucoup moins tragique que la tragédie de cette jeune femme.
- Est-ce que «Anéantis» part d’une provocation banale – brutalités, violence, viol?
«Anéantis» parle d’amour, de rédemption et de pardon, et c’est justement cela la seule bonne raison de raconter cette pièce. Le propos ne se limite pas à dire, «voyez, il y a de la violence partout dans le monde». Cela, on le sait.
- Comment faire pour que l’horreur décrite dans cette pièce ne soit pas seulement reçue par le public comme une déflagration, mais qu’elle fasse réfléchir?
Sarah Kane accepte d’aller au bout et de montrer ce qu’un être humain est capable de faire dans une situation donnée. Mais on est dans un théâtre, même si on va au bout de la violence, ce sera quand même toujours du théâtre. C’est à nous de raconter avec les codes du théâtre cette violence. Il faut que cela reste supportable pour le spectateur, sinon il détournera les yeux, alors on n'arrivera plus au bout de ce qu’on voulait raconter. C’est pourquoi, il y aura dans ma mise en scène le personnage d'une narratrice (jouée par Garance Clavel), qui n’existe pas dans la pièce écrite qui, elle, se limite aux personnages de Cate (Elsa Rauchs), Ian (Jules Werner) et du soldat (Ramzi Choukair).
- Les critiques ont été explosives en 1995 lors de la première mise en scène. Y a-t-il eu des moments où vous avez hésité à monter la pièce?
Moi, je n’ai jamais trop hésité, mais peut-être par moments mes producteurs (elle rit). J’ai toujours eu une idée très limpide de combien c’est important de mettre en scène cette pièce. Dans le passé, j'ai monté des pièces acquises, je trouve que c’est important de ne pas se limiter à cela. On ne fait que montrer sur scène la société dans laquelle on vit, et encore que d’une manière stylisée. Les gens qui me connaissent savent que je suis tout sauf une provocatrice. Mais j’ai aussi besoin de prendre mes responsabilités comme artiste, et de parler des choses qui sont moins jolies, qui bousculent.
- Vous pensez que le public luxembourgeois sera prêt à accepter cette pièce?
Je pense que le spectateur dans la salle est absolument prêt, même s'il y a encore aujourd'hui comme un vent de panique autour de Sarah Kane. Et peut-être il y a des gens qui se disent, je n’ai pas envie d’aller voir cela. Je me répète: ce n’est pas une pièce sur la violence, c’est une pièce sur ce qu’on fait de cette violence. Il y a des gens qui combattent le feu par le feu, la violence par la violence. Dans notre pièce, la question qu’on se pose est: comment faire pour arrêter la violence?
Le 24 et 27 février, le 1er et 3 mars, à 20 heures, au Grand Théâtre, places: 20 euros et 8 euros, tél. 47 08 95-1 ou www. luxembourgticket.lu, déconseillé aux moins de 16 ans.
