La chronique de Stéphane Bern: billets verts transparents
La chronique de Stéphane Bern: billets verts transparents
Par Stéphane Bern
Vespasien prétendait que « l’argent n’a pas d’odeur » mais deux mille ans plus tard l’éthique fait une percée timide et prend même le pas sur les intérêts économiques. En France, le ministère de la Culture vient de rembourser au cimentier Lafarge son mécénat de 200.000 euros pour contribuer à la modernisation du musée du Moyen Âge de Cluny. En cause, les soupçons qui pèsent sur la multinationale d’avoir soudoyé l’Etat islamique pour maintenir ses activités en Syrie alors que le pays s’enfonçait dans la guerre.
Le monde culturel semble désormais se soucier des provenances des fonds financiers qui l’aident à boucler ses budgets. Ainsi le patronyme des Sackler, la famille américaine qui a bâti sa fortune sur l’Oxycontin, un antidouleur aux opiacés qui est accusé d’être responsable de la mort de milliers d’Américains devenus dépendants, a-t-il été masqué dans les salles du Louvre qui avaient été financées par ses dons.
Ainsi, cette semaine, les panneaux de plusieurs salles consacrées aux Antiquités orientales étaient recouverts de morceaux de ruban adhésif pour masquer la mention «aile Sackler», encore gravée sur les plaques. Cette section du Louvre arborait le nom de la famille américaine depuis un don de sa part en 1996.
«Ça va être un exemple suivi par d'autres musées»
Début juillet, l’association américaine PAIN (Pain Addiction Intervention Now) avait organisé une manifestation devant le musée pour lui réclamer de débaptiser cette aile. Menée par la photographe Nan Goldin, ancienne accro aux antidouleurs, l’organisation milite pour inciter les institutions culturelles à s’éloigner de la famille Sackler, au vu de son rôle dans la crise des opioïdes responsables de dizaines de milliers de morts aux États-Unis.
Le président du Louvre, Jean-Luc Martinez, avait expliqué que le musée n’a « pas à débaptiser ces salles puisqu’elles ne portent plus le nom de Sackler »: les règles internes à l’institution prévoient que le « nommage » d’une salle dure «20 ans» maximum. Sous-entendu: le nom «Sackler» ne serait plus associé au Louvre depuis 2016.
Le musée aurait-il oublié d’effacer les mentions «aile Sackler» sur ses panneaux depuis trois ans ? Pour un représentant de l’association Pain, c’est une satisfaction, même s'il aurait aimé que le Louvre le fasse plus officiellement.
Ces derniers mois, la National Portrait Gallery, la Tate Gallery de Londres, le Metropolitan Museum ou encore le Guggenheim de New York ont renoncé aux dons des Sackler face à cette polémique. Mais le Louvre «est le premier à débaptiser. Ça va être un exemple suivi par d’autres musées», a-t-il espéré.
Très influents au sein du gotha new-yorkais, les Sackler ont construit leur réputation grâce au mécénat, et bâti leur fortune sur l’Oxycontin, le puissant antidouleur accusé d’être à l’origine de la crise des opiacés. Il est à espérer que pour servir, les billets verts devront désormais être lavés de tout soupçon.
