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«Dans l'art, l'utilisation de l'IA est un avantage»
Culture 9 min. 07.02.2023
Christoph Schommer, chercheur

«Dans l'art, l'utilisation de l'IA est un avantage»

Chercheur à l'Université de Luxembourg depuis 2003, Christoph Schommer s'intéresse à l'intelligence artificielle depuis le début des années 1990.
Christoph Schommer, chercheur

«Dans l'art, l'utilisation de l'IA est un avantage»

Chercheur à l'Université de Luxembourg depuis 2003, Christoph Schommer s'intéresse à l'intelligence artificielle depuis le début des années 1990.
Photo: Guy Jallay
Culture 9 min. 07.02.2023
Christoph Schommer, chercheur

«Dans l'art, l'utilisation de l'IA est un avantage»

Laura BANNIER
Laura BANNIER
En se démocratisant, l'accès à l’intelligence artificielle fait germer de plus en plus de craintes dans l’esprit des artistes. Mais pour le chercheur Christoph Schommer, rien ne sert de s'affoler.

Écrire des poésies, raconter des histoires, composer une musique ou encore transformer un texte descriptif en un tableau, y a-t-il seulement un art que l’intelligence artificielle ne maîtrise pas? Faire produire une œuvre par l'un ou l'autre robot, le tout en une poignée de minutes, est désormais accessible au commun des mortels.


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Un constat qui n'est pas sans inquiéter les premiers concernés, à savoir les artistes. Tandis que certains se refusent à appeler toute création derrière laquelle se cache une intelligence artificielle «art», d'autres choisissent de créer main dans la main avec cette aide d'un nouveau genre. Un phénomène que le professeur Christoph Schommer, observe avec attention depuis les années 1990. Depuis 2003, le docteur spécialisé dans l'intelligence artificielle, travaille à l'Université de Luxembourg.

Quand avez-vous commencé à travailler sur l'intelligence artificielle?

Cela a commencé en 1992, quand j'ai commencé à m'intéresser à la compréhension du langage naturel, et à toutes les ambiguïtés qui ne pouvaient pas être résolues par des machines, mais pouvaient l'être par des humains. Avec l'arrivée de nouvelles technologies, ces problèmes ont pu être résolus. 

Au cours des années, le traitement des données a joué un rôle grandissant dans le développement de l’intelligence artificielle. Aujourd'hui, je suis très proche des sciences des données. La tendance est que la plupart des utilisations de l'intelligence artificielle prennent vie à partir des données. Elles sont centrées sur les données, car le système est entraîné, il apprend de ces données, afin de pouvoir performer une tâche en autonomie. 

Les applications de l'intelligence artificielle sont multiples et concernent toutes les disciplines, ce qui rend le domaine très intéressant.

Je suis témoin de beaucoup d'intérêt de la part de mes collègues du domaine de la linguistique, des sciences sociales, ou encore dans le domaine de la santé vis-à-vis de l'IA. Il y a un intérêt grandissant pour ces techniques. Avoir des robots qui travaillent en autonomie, qui peuvent réparer des choses dans des environnements difficilement accessibles, des systèmes qui appellent automatiquement les secours lorsqu'un accident est détecté, qui aide les professionnels de la santé dans une opération... Les applications de l'intelligence artificielle sont multiples et concernent toutes les disciplines, ce qui rend le domaine très intéressant.


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Ce n'est pas trop complexe de travailler dans une discipline qui évolue si rapidement?

C'est une difficulté pour moi, c'est un challenge pour d'autres. Quand on regarde les docteurs d'autres disciplines comme la médecine, lorsqu'ils apprennent quelque chose, ils peuvent l'appliquer et vivre avec. Mais dans le domaine de l'intelligence artificielle, on a toujours différents systèmes qui viennent et s'en vont, à l'instar de ChatGPT. Tous les deux à trois mois, quelque chose de nouveau se produit, et nous devons nous adapter, réagir.

D'un côté, cela rend la discipline très attractive, mais d'un autre, cela la rend aussi très difficile. On doit toujours être à jour, savoir ce qui se passe. L'IA change le monde, et ça intéresse de plus en plus de disciplines.

En novembre dernier, alors que ChatGPT devenait accessible au plus grand nombre, justement, un événement sur l'intelligence artificielle et le futur de l'art s'est tenu au Luxembourg. Quelles en ont été les conclusions?

C'était effectivement la seconde édition de «Artificial Inteligence and the Future of Arts», la première ayant eu lieu en 2021. C'était pour nous la fin logique d'Esch 2022. Nous avions 40 intervenants originaires d'une dizaine de pays différents et représentant différents domaines artistiques: danse, peinture, musique, littérature... Ces quatre champs de création ont fait l'objet de différents événements et workshop.

Christoph Schommer est à la tête d'une équipe de sept doctorants et un chercheur post-doctorat.
Christoph Schommer est à la tête d'une équipe de sept doctorants et un chercheur post-doctorat.
Photo: Guy Jallay

Plusieurs idées ont été abordées. Je pense que cet événement a été similaire à un marché, pendant lequel les intervenants ont échangé des idées, des objectifs, et pouvaient piocher différentes façons pour les mettre en œuvre. Cet événement a aussi permis de tisser des liens entre différentes universités, de nous rapprocher et nous planifions désormais d'enseigner sur place, à Dakar, au Sénégal, et de mettre en place des cours communs avec l'Université de Linz, en Autriche. La troisième édition de l'événement aura lieu en 2023, mais elle ne se déroulera pas au Luxembourg. On aimerait l'organiser à Séville ou à Linz, deux villes avec lesquelles nous sommes proches d'un point de vue universitaire.

L'utilisation de l'intelligence artificielle dans le domaine de l'art soulève beaucoup de questions. Notamment de la part des artistes. Ces derniers doivent-ils s'inquiéter de l'accessibilité avec laquelle le grand public peut à présent créer de l'art à partir de l'intelligence artificielle?

Les artistes sont déjà inquiets, ils ont peur, c'est clair. Il y a quelques années, la vente aux enchères d'une peinture créée par une intelligence artificielle pour plus de 400.000 dollars avait beaucoup fait parler d'elle. C'est un exemple parlant. D'un côté, on voit des choses qui ont été fabriquées par des humains, et de l'autre, on voit des personnes qui cliquent sur un bouton et une production artistique apparaît. C'est sûr que cela engendre de la peur.

Si je donne dix exemples de Renoir à une machine, elle ne va pas se mettre à peindre du Picasso.

Néanmoins, je pense que les humains ont toujours leur pouvoir, ils ont toujours la possibilité de trouver les moyens d'être créatifs. Pour parler simplement, un système d'IA aujourd'hui travaille toujours de la même manière, selon laquelle il a été entraîné. Les productions artistiques sont performées selon des exemples. Par exemple, si je donne dix exemples de Renoir à une machine, elle ne va pas se mettre à peindre du Picasso. 

Les humains, eux, peuvent créer des choses totalement différentes, ils peuvent explorer d'autres formes d'art. C'est un avantage qui les rend plus créatifs. Les machines, elles, sont plus ou moins enfermées dans les données qu'elles ont reçues. C'est pourquoi je vois une chance pour les humains d'avoir toujours un coup d'avance sur les intelligences artificielles. 

Ne se dirige-t-on pas vers une forme de concurrence entre les deux formes d'art?

Si l'on demande à une personne ce qu'elle aime, il se peut qu'une production faite par un humain et une production faite par une machine se retrouvent sur un pied d'égalité. Si cette personne préfère le tableau produit par l'intelligence artificielle, elle doit pouvoir être prête à l'acheter. Je pense que c'est une situation qui arrivera dans un futur plus ou moins proche. On arrivera plutôt à un point d'équilibre entre les deux formes d'art.

Une machine produisant de l'art n'y met pas d'émotions, ni aucune forme de personnalité.

La seule chance pour les artistes d'accepter cette situation, est, à mes yeux, de le faire sous condition que tout soit transparent. Que les clients puissent savoir quelle œuvre a été créée par quels moyens. C'est pourquoi je pense que les œuvres doivent faire l'objet d'un label «Fabriqué par l'homme», «Fabriqué par une machine». Il doit y avoir une transparence, l'information doit être donnée.  

Les artistes deviendront créatifs d'autres façons, ils se trouveront des moyens de faire de nouvelles choses, de s'améliorer. Je pense que l'intelligence artificielle dans le domaine de l'art ne peut pas être interdite, dans tous les cas.

Certains artistes sont pourtant réellement contrariés. Un illustrateur français a, par exemple, suggéré que les images générées par l'intelligence artificielle n'étaient pas de l'art, mais des images. Quelle est votre position sur ce sujet?

Bien sûr, derrière le mot art, il y a tout un imaginaire. Une machine produisant de l'art n'y met pas d'émotions, ni aucune forme de personnalité, c'est clair. C'est une création basée sur des données, il n'y a pas d'histoire derrière, l'œuvre est juste un résultat. Les humains, eux, puisent dans une histoire personnelle pour créer, alors que la machine, elle, produit.


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Mais il faut aussi prendre en compte l'interprétation de l'œuvre par le spectateur. Si ce dernier regarde une image produite par l'IA et ressent une émotion, c'est son expérience personnelle. Si l'on doit appeler cela de l'art ou autre chose, je ne sais pas.

Ce que je peux aussi dire, c'est qu'il y a déjà beaucoup d'artistes qui utilisent déjà l'IA pour la création de musique, de poèmes. Dans l'art, l'utilisation de l'intelligence artificielle est un avantage, un soutien à la création, mais je vois les problèmes, les peurs.  

Pensez-vous que l'on doit créer des lois pour réguler la création artistique par intelligence artificielle?

Je plaiderais en faveur d'une législation, oui. Nous avons des lois qui encadrent bien le «Made in France» ou «Made in Allemagne», pourquoi ne pas avoir un «Made by IA»? Pourquoi cacher cette information? Peut-être qu'il y aurait une conséquence sur les prix de vente des œuvres. Peut-être qu'une œuvre créée par l'homme deviendrait ainsi plus chère. Les œuvres fabriquées par des IA deviendraient donc moins coûteuses et plus accessibles au plus grand nombre. Mais oui, je suis en faveur d'une transparence dans tous les cas. L'utilisation de l'IA n'est pas mauvaise si l'art produit est qualitatif et que les gens aiment cet art et l'achètent.

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