Editorial: Ce cheval de Troie
Editorial: Ce cheval de Troie
Que c'est laborieux. Les propositions de réformes grecques ne sont finalement déposées que ce matin sur la table de la Troïka, ou plutôt de celle des «institutions» puisque, avant de se mettre d'accord sur le fond, Grecs et Européens s'étaient entendus sur la forme. Ils avaient ainsi désigné la collaboration des trois organisations (Commission, BCE et FMI) opérant depuis février 2010 en tutelle de la République hellénique. Cet attelage de trois chevaux – puisque c'est ce dont il s'agit initialement – n'a aujourd'hui plus droit de cité à Athènes, mais il y est toujours question d'équidé.
L'on parle dorénavant dans ce dossier de cheval de Troie, en référence à, pour ceux qui auraient fait l'impasse sur l'Odyssée d'Homère à l'école, ce grand cheval fait de bois dans lequel des guerriers grecs s'étaient cachés pour pénétrer dans la ville assiégée. L'expression a été utilisée, rapporte-t-on, dans la diplomatie allemande pour caractériser les vagues propositions formulées jeudi dernier par le gouvernement hellénique.
Les jours précédents, les représentants des Etats membres de la zone euro s'étaient opposés, dans une lutte homérique, à ceux de la coalition gouvernementale dirigée par la gauche radicale, Syriza. En début de semaine, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, avait engagé les négociations de prolongation du plan d'aide à la Grèce, en jugeant «absurde» l'impératif formulé par la chancellerie allemande de soumettre à court terme des réformes concrètes pour rassurer ses créanciers. La prochaine échéance de versement intervient à la fin du mois de février et la dette grecque, rappelons-le, pèse 321 milliards d'euros, soit 177 pour cent du PIB national!
Trois jours se sont écoulés. Les Grecs ont mis de l'eau dans leur ouzo et ont adressé au président de l'eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, un courrier faisant aveu de détermination. «Pour coopérer pleinement (...), atteindre la stabilité financière et permettre au gouvernement grec, lit-on, de mettre en oeuvre les profondes et substantielles réformes visant à restaurer les conditions de vie des millions de Grecs.»
Mais le gouvernement allemand, plus orthodoxe que le pope quand il s'agit de questions budgétaires, se méfie. D'abord, il ne souhaite pas laisser penser que, sur le Vieux Continent, l'on puisse tirer un trait sur la dette accumulée à ses dépens. Ce à quoi Syriza aspirait dans son programme électoral. Or, céder sur la Grèce créerait un dangereux précédent quand sept Etats européens présentent des symptômes de surendettement, sinon comparables, tout le moins inquiétants puisque supérieurs à leur PIB annuel.
Ensuite, l'exécutif allemand entend aussi rappeler le principe de rigueur budgétaire instauré dans les textes européens. Si la Grèce est revenue à l'équilibre primaire (donc hors coût de la dette), le plan de relance que Syriza préconise – estimé à douze milliards d'euros – la remettrait immédiatement dans le rouge. Et lui donner carte blanche enverrait un signal de laxisme, croit-on à Berlin, à d'autres pays où la gauche radicale fait figure d'alternative plausible, comme en Espagne avec Podemos. Ainsi, le délai de quatre mois qui sera probablement donné aux Grecs pour instaurer son plan de réforme et renverser la vapeur, avant la prochaine échéance financière (en juin), paraîtra bien court. Pour l'instant donc, le seul cheval de Troie placé sur l'échiquier reste ledit plan d'aide qui, en imposant les règles dans le jeu athénien, permet à l'UE d'agir de l'intérieur.
