Laurent la main verte
Laurent la main verte
Par Max Helleff
Il a la réputation d’être le vilain canard de la famille royale. Longtemps, ses frasques ont fait la une des journaux people. Le côtoyer le temps d’une inauguration peut vous valoir d’être le confident impromptu de propos amers contre son père l’ex-roi Albert II ou contre ce «Charles Michel qui lui a pris son pognon». En d’autres temps, le roi Philippe a pris ses distances avec son turbulent frère cadet.
Mais Laurent de Belgique, c’est aussi le prince-à-la-main-verte. Les associations qu’il patronne veulent protéger la Terre, la rendre plus belle. C’est précisément les mécomptes de l'une d'elles qui font ces derniers temps la une des quotidiens : «Global Sustainable Development Trust» réclame l'argent qui lui est dû.
Résumons. «Global Sustainable Development Trust» (GSDT) a pour objectif «la création, le développement et/ou la gestion de projets environnementaux aux niveaux national ou international». En 2008, l’association a noué contrat avec le régime de Kadhafi pour reboiser le désert libyen. Les plantations devaient se poursuivre jusqu’en 2024, engageant la coquette somme de 70,2 millions d’euros. Mais Kadhafi a été renversé. La Libye et ses nouveaux maîtres ont refusé d’honorer le contrat.
Faute d’argent, GSDT est immédiatement menacée de disparaître. Son liquidateur enchaîne dès 2011 les actions en justice contre l’Etat libyen. Le 20 novembre 2014, ce dernier est condamné à verser à l’association princière 38.479.041 euros, plus les frais de procédure et intérêts, soit 48 millions. Mais rien n’y fait : la Libye refuse de payer.
C’est alors que naît chez les conseillers du prince l’idée de saisir les fonds libyens qui reposent notamment depuis de longues années dans les coffres de la société Euroclear, installée à Bruxelles. Soit, selon certaines estimations, 14 milliards d’euros qui ont fait partie du trésor de guerre de Kadhafi. Mais ils sont gelés par l’ONU depuis 2011, en raison de sanctions internationales décrétées contre la Libye. Les avoirs dont il est question sont libellés au nom de la Libyan Investment Authority (LIA), émanation de l’Etat libyen.
Victoire après humiliations
Le 29 janvier dernier, après avoir retourné ciel et terre, Laurent obtient enfin du gouvernement De Croo l'envoi d'une notification aux Nations unies en vue du dégel des fonds bloqués. Depuis des années, le prince a appelé les autorités belges à la rescousse. En vain. Cette fois, on le prend au sérieux. Mais la décision tombe : le Comité des sanctions des Nations unies refuse de libérer l'argent.
Les Libyens exultent. Ils qualifient le verdict onusien de «message clair et explicite à tous ceux qui essayent de porter atteinte aux fonds libyens». «La détermination libyenne, ajoutent-ils, reste forte et solide pour s’opposer à quiconque voudrait y porter atteinte». L’avocat du prince Laurent, Me Arnauts, rétorque que le dossier n’est pas clos pour autant. L’affaire en est là aujourd’hui. Le prince est furieux.
Beaucoup de temps a été perdu sous le précédent gouvernement dirigé par le libéral francophone Charles Michel qui a, c'est de notoriété publique, une dent contre Laurent. Michel s’est montré intraitable, faisant valoir que «la loi est la même pour tout le monde. (…) L’Etat belge doit appliquer les résolutions des Nations unies et la réglementation directement applicable en la matière». L’ex-Premier ministre a en outre estimé que les exigences princières ne présentaient pas «une base juridique suffisante» en faveur d’un dégel. Entre Charles Michel et Laurent de Belgique, on l'a dit, ce n’est pas vraiment l’amour. Le premier a sévèrement tancé le second pour être allé jouer les guest stars à l’ambassade de Chine à Bruxelles, à l’occasion des 90 ans de la création de l’armée populaire de libération. Un faux pas de plus, un faux pas de trop qui a valu au prince d’être privé de 15 % de sa dotation – qui se montait jusque-là à 310.000 euros annuels – pour ne pas avoir demandé la permission de sortie au gouvernement Michel. En décembre dernier, le recours déposé par Laurent devant le Conseil d’Etat a été rejeté.
Laurent estime qu’on lui cherche décidément des poux. Il veut être un justiciable comme les autres, réclame de faire valoir ses droits. Ses arguments finissent par payer, puisque Charles Michel parti à l’Europe, le nouveau gouvernement piloté par le libéral flamand Alexander De Croo l’écoute enfin. La perspective que l’Etat belge soit condamné à devoir payer à l’asbl du prince les 48 millions réclamés par défaut de prévoyance ou non-respect d’une décision de justice pourrait avoir aidé sa cause. Le Palais, de son côté, aurait fait pression sur l’exécutif pour éviter que l’affaire ne s’envenime, avec le risque qu’elle ne prenne un tour politique. La Flandre nationaliste n’aime pas la monarchie. Autant éviter de lui donner le bâton pour la battre…
Les partisans du prince font toutefois remarquer que, si les 48 millions d’euros finissent pas être récupérés, ce n’est pas Laurent qui en disposera, mais une nouvelle association qui pourra financer d’autres projets durables. En 2018, Laurent et son épouse Claire ont lancé «Environnement network» qui veut «créer, développer et/ou gérer des projets environnementaux ou écologiques, aux niveaux national et international». Il est question d’«équipes d’ambulanciers écologiques» dépêchées dans «des zones sinistrées et des écosystèmes en souffrance».
Le prince Laurent a marqué un point dans ce dossier. A 57 ans, il n’est plus seulement cet enfant gâté que l’on aime détester, le rejeton incontrôlable d’une dynastie chahutée. Dans un éditorial, «Le Soir» écrit que s’il a régulièrement cultivé son rôle de «vilain canard de la famille royale», «il n’en reste pas moins que la Belgique est un Etat de droit. Et que les jugements des cours et tribunaux doivent y être exécutés, les autorités devant prendre les mesures nécessaires à leur exécution». Laurent ne crie plus dans le désert…
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