En Touraine, au nom de la rose
En Touraine, au nom de la rose
Par Pierre Wiels
L’important, c’est la rose. A Chédigny, dans le val de Loire, ce titre de la chanson de Gilbert Bécaud saute aux yeux et enivre les narines. On la respire à plein. L’entêtante sensation remonte au milieu des années 80, quand le maire de ce bourg a eu une banale idée de botaniste: planter un rosier, comme on enfouit une graine en terre, pour le meilleur. Le village avait besoin de beaux jours et d’amour, il se mourait. Et cette reine des fleurs pionnière se multiplia, et l’amour pour cette localité essaima.
Chédigny, c’est l’histoire extraordinaire d’un village devenu jardin de rue ouvert, remarquable et classé, par la grâce d’une humble rose, parmi les plus beaux d’Europe. Une métamorphose par le vert, spectaculaire et silencieuse.
Une aventure humaine magnifique
Plus de 20 ans après le rosier originel, le monde entier vient contempler le tableau sans cesse renaissant de ces milliers de boutons exubérants escaladant les façades, et d’autres, mélangés à des graminées et à des vivaces, qui pavoisent les trottoirs. «Ce fut une aventure humaine magnifique, qui nous a permis de découvrir que le végétal apaise la circulation, favorise la qualité de vie et le mieux vivre ensemble», souligne l’adjointe au maire, Isabelle Bejanin.
A la Renaissance, ils ont voulu créer ici un paradis sur terre. Comme nous, ils ont regardé les mêmes choses, les mêmes bois et les mêmes fleurs.
Nicholas Tomian, paysagiste
L’orage a grondé toute la nuit et, à Chédigny, l’air restauré de ce matin de juin n’a rien perdu du subtil embaumement des roses. Dans l’enceinte de l’ancien presbytère reconverti en maison d’hôtes, la lumière d’après la pluie furieuse illumine un authentique jardin de curé du XIXe siècle, qui se visite pour la diversité de ses carrés de plantes, aromatiques, potagères, médicinales et décoratives. Une fontaine y murmure à l’oreille d’une chatoyante cacophonie de corolles et de pétales. Chédigny appelle bien d’autres joyaux, en dehors des sentiers battus. On s’en va sillonner cette Loire rurale et gourmande du département d’Indre-et-Loire, bucolique à mourir, où l’histoire de France a semé en pagaille châteaux, gentilhommières et manoirs, tous flanqués de jardins au charme rabelaisien. Des châteaux de rois, emblématiques, comme Chenonceau et Amboise, et une flopée de pépites, dont de grands passionnés, au fond desquels résonnent encore une enfance de cape et d’épée, portent l’ambitieuse restauration.
En chemin, nous rencontrons Jean-Michel Deckers, un attachant médecin néerlandais qui a craqué pour la forteresse de Betz-le-Château. Il l’a acquise en 2015 et, après travaux, l’a ouverte au public pour la première fois de son histoire, le 1er juillet. Il nous emmène dans ces entrailles souterraines piégeuses, où la vie de l’assaillant était comptée en minutes. Se retournant vers nous, il s’exclame, amusé: «Là, vous êtes transpercés d’une flèche, là ébouillantés».
Chapeautant ce territoire pittoresque où la douce France du XXIe siècle se dispute aux récits terrifiants d’une France obscurantiste et médiévale, la ville de Loches, ancienne place stratégique sur la route de l’Espagne, se la joue royale sur son éperon rocheux. Sa notoriété, elle la tient de lignées de rois qui s’y sont successivement établis. Charles VII fut le premier d’entre eux. En pleine guerre de Cent Ans, le monarque y fuit les troubles de Paris. Des femmes influentes y ont leurs appartements ou y reçoivent audience, telles Agnès Sorel, la favorite de Charles, ainsi que Jeanne d’Arc et Anne de Bretagne. Le Loches contemporain a hérité de ces splendides logis royaux et des vestiges d’un donjon quadrangulaire, de sinistre réputation pour avoir été une prison d’Etat.
Personnage en fil rouge de cette escapade patrimoniale, sur fond de mâchicoulis et de pont-levis: un certain Foulques Nerra (970-1040), comte d’Anjou cruel et batailleur, et bâtisseur, entre autres, du château de Montrésor, classé parmi les plus beaux villages de France. La forteresse confine à un somptueux cabinet de curiosités et d’oeuvres d’art à l’expansion duquel contribua, par un destin étrange, au XIXe siècle, un comte polonais en exil, Xavier Branicki. Du promontoire fortifié, on file vers une promenade sur les Balcons de l’Indrois, au ras d’un paisible cours d’eau engraissant potagers et vergers rustiques.
Une leçon de bonheur
Pourquoi une telle vitrine de châteaux en val de Loire? Parce qu’on dirait le Sud. Parce que les rois aimaient se défouler dans ses immenses forêts giboyeuses et trouvaient à naviguer aisément sur ce plus long fleuve de France.
De partout, sur l’itinéraire, surgissent des paysages préservés, jalonnés de villages sublimés par la pierre blanche de Tuffeau. La route bruisse de la seule mélodie des oiseaux tandis que le temps, qui habituellement file, y semble arrêté pour écouter tout ce que ces forteresses endormies, remontées du tohu-bohu des siècles obscurs, ont à leur dire par le détail des complots qu’elles ont ourdis, des sombres histoires d’amour et luttes de pouvoir fratricides qu’elles ont cachées.
La Touraine rayonne à l’étranger par les châteaux de Chenonceau et d’Amboise, grands vaisseaux de charme pur. Le premier n’a pas de sang sur ses murs. Un potager aux fleurs y alimente en bouquets opulents ses innombrables vestibules et galeries. Nicholas Tomian, paysagiste d’origine américaine, s’émeut toujours devant l’intemporelle virginité du site. «A la Renaissance, ils ont voulu créer ici un paradis sur terre. Comme nous, ce matin, ils ont regardé les mêmes choses, les mêmes bois et les mêmes fleurs.» Parmi ces privilégiées, Catherine de Médicis, sacrée reine de France en 1549. L’important n’est pas que cette grande dame y a vu la vie en grand ou en rose, mais que Chenonceau, qui fut une demeure de femmes, donne à l’univers une leçon magistrale de bonheur à l’équilibre, par la volupté de ses jardins et la beauté totale de son architecture.
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