„Le Brexit va au-delà de l’actualité"
„Le Brexit va au-delà de l’actualité"
Le Brexit qui prend des allures de plus en plus romanesques a donné à Clémentine Beauvais l’idée d’en faire le sujet d’une comédie romantique pour adolescents. Dans „Brexit romance" elle raconte comment une étudiante anglaise francophile décide de monter une entreprise facilitant les mariages blancs entre Français et Britanniques pour s’opposer au divorce entre son pays et l’Union européenne. Rencontre avec Clémentine Beauvais en marge d'un atelier d'écriture au Lycée Aline Mayrisch.
Vous êtes dans l’air du temps avec votre livre, le Brexit, les discussions actuelles, l’incapacité à dire oui ou non des Britanniques, ça vous confirme dans vos propos?
Honnêtement, je suis les actualités, et j’ai l’impression que cela pourrait être du romanesque. C’est incroyable, c’est vraiment la dérision totale. Le Brexit va au-delà de l’actualité, il est presque artistique et romanesque, c’est complètement hors du commun.
Les Britanniques n’ont aucune éducation européenne.
Vous vivez en Angleterre. On vous a déjà fait une demande en mariage blanc pour accéder à votre nationalité française?
(Rires) Non, par contre j’ai connaissance de personnes qui se sont mariées en vue du Brexit, mais qui ne comptaient pas se marier spécifiquement.
C’est cela qui vous a donné l’idée d’écrire «Brexit romance»?
En fait, on blaguait entre potes, des couples entre Britanniques et Européens, en se disant que c’est le temps de se marier vite, pour que l’un des deux partenaires puisse acquérir une nationalité européenne. Après, quand on écrit un roman, on prend toutes ces idées, et par la suite on augmente. C’est sûr que cela reste un sujet d’actualité: comment obtenir une nationalité européenne?
La libre circulation est-elle devenue tellement banale qu’on oublie qu’il s’agit d’un vrai acquis?
Oui, je pense que c’est devenu banal pour les Européens du continent. Pour les Anglo-Saxons c’est moins évident. Le continent reste loin. Il y a une mer entre les deux, cela paraît minuscule, mais c’est une entrave. Ceux qui ont des maisons de vacances en France s’y installent mais ne s’y intègrent pas. Les Britanniques n’ont aucune éducation européenne. En France on apprend aux écoliers une identité à la fois nationale et européenne, mais ce n’est pas dans l’esprit des Britanniques.
C’est la faute de l’Europe de ne pas avoir forgé l’identité européenne?
Franchement, je ne pense pas. Autant il y a la faute de l’Europe pour plein d’autres choses, mais là je ne mettrais pas la faute sur l’Europe. Je travaille dans l’enseignement universitaire en Grande-Bretagne. L’Europe y a financé beaucoup. Mais les Anglais font coller des petites plaquettes pour signaler ce financement près des toilettes – évidemment qu’il n’y a aucune visibilité.
Votre roman fait penser à un film culte, «L’auberge espagnole». Vous partagez cette analyse?
Je trouve que ce n’est pas tout à fait le même esprit. Dans l’auberge espagnole, les jeunes ont profité de l’ouverture des frontières, de la mobilité, «Brexit romance» s’inscrit plus dans un idéal d’une Europe qui a laissé de côté beaucoup de gens mais dont la jeune élite, d’ailleurs assez fauchée, part quand même par-ci par-là rencontrer des gens dans une Europe qui n’a pas été assez inclusive dans ses désirs d’intégration.
«Harry Potter» a été un moment crucial dans ma vie.
Est-ce que les jeunes Anglais tiennent tellement à la libre circulation comme vous le décrivez?
Oui, les dialogues sont très proches de ce que j’ai pu entendre. Par contre ce n’est pas seulement les jeunes. Il y a beaucoup plus une différence de milieu social que de différence de générations. Dans le vote, il y a eu certes une différence entre jeunes et âgés, mais je pense que c’est également une question de lieu où on habite. Je décris un peu la jeunesse dorée londonienne, qui pourtant n’est pas riche, parce qu’à Londres la vie est tellement chère, mais c’est quand même une jeunesse globalisée, cosmopolite. Dans le nord de l’Angleterre, cela ne se passe pas de la même manière, il y a plein de jeunes qui n’ont strictement aucune affinité particulière pour l’Europe. On peut condamner terriblement les gens qui ont voté pour le Brexit, mais il faut aussi comprendre d’où ils viennent dans leurs convictions. La population a été pressurisée par des mesures extrêmement contraignantes d’austérité sur les vingt dernières années.
Dans votre roman, Justine, Matt et d’autres crient à haute voix leur injustice, mais il existe une autre injustice: un jeune Luxembourgeois peut voyager librement à travers l’Europe, mais aussi à Bamako ou à Dakar, un jeune Africain non. Est-ce un sujet pour un prochain roman?
C’est vrai qu’au moment où les Anglais ont voté le Brexit et que certains ont constaté qu’il leur faudra prochainement des visas, les Non-Européens ont répondu: «Welcome to our lives». Est-ce que c’est un sujet qu’on pourrait traiter littérairement? Oui, mais pas par moi. Je ne m’y connais pas assez. Dans mon roman, j’explore le fait que les gens trouvent la perte de leur libre circulation absolument dramatique, c’est idéologique, mais, c’est aussi littérairement très intéressant. Je suis à la recherche de sujets narratifs, et non pas de sujets journalistiques.
Vous présentez la génération Y qui vit dans un monde de start-up, de réseaux sociaux. Est-ce réaliste ou est-ce que cela frôle la caricature?
Non, ce n’est pas une caricature (rires). Lorsque je me vois, ou je regarde mes étudiants, je trouve qu’on est bien accrochés à nos portables. Ce qui me fascine c’est l’existence de différents récits en parallèle grâce à ce monde des réseaux. On peut avoir un récit tout à fait classique écrit au passé simple, entrecoupé par un dialogue, puis d’une conversation sur Facebook. Comment agencer cela d’une manière littéraire a été pour moi très intéressant. Il y a des discours différents avec des registres de langues différents sur différentes plateformes.
Dans lequel des personnages vous trouvez-vous la plus représentée?
Je dirais que moi c’est plutôt Marguerite. La petite Française éberluée qui arrive en Grande-Bretagne complètement émerveillée par ce pays – c’est exactement ce que moi j’ai vécu en y arrivant. Elle passe en un mois par toutes les évolutions qui moi m’ont pris dix ans, mais ça c’est le pouvoir de la littérature (rires).
«Harry Potter» a eu une importance dans votre vie. Expliquez-nous!
En effet, «Harry Potter» a été un moment crucial dans ma vie. Le premier volume est sorti quand j’avais dix ans, le dernier lorsque j’en avais 17. La saga m’a accompagnée pendant toute mon adolescence. Les trois premiers livres, je les ai relus plusieurs fois, le quatrième je l’ai lu en anglais avec un dictionnaire – je ne pouvais attendre la sortie de l’édition française. C’est comme ça que j’ai appris l’anglais, que je suis tombée amoureuse de l’Angleterre, que je suis partie plus tard là-bas.
Vous parlez aussi beaucoup d’identité. En quoi les Britanniques sont-ils dans leur discours sur la mixité identitaire différents des Français?
La manière dont on envisage le vivre-ensemble est tout à fait différente. La France est multiculturelle dans le sens qu’il y a des gens de cultures différentes, mais cette multiculturalité n’est pas reconnue comme telle – la politique républicaine vise à anéantir toutes ces différences. En Grande-Bretagne, c’est l’inverse. La politique vise à préserver ces différences culturelles dans un respect mutuel. Les Français et Anglais que je fais discuter à ce sujet dans mon roman croient tous avoir des positions de gauche – et en fait ils ont des positions contradictoires. Pour un Français, être de gauche signifie: il y a des différences culturelles dans la population, et justement on va les aplanir, les faire disparaître. Un Britannique qui se croit de gauche constate qu’il y a des différences culturelles, et justement il faut les préserver.
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