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L'extrême responsabilité
Leitartikel International 3 Min. 25.06.2014 Aus unserem online-Archiv

L'extrême responsabilité

Leitartikel International 3 Min. 25.06.2014 Aus unserem online-Archiv

L'extrême responsabilité

Gaston CARRE
Gaston CARRE
L' extrême de la liberté, dans une existence d'homme, est la possibilité pour celui-ci de choisir l'instant d'en finir, quand cette existence ne lui semble plus vivable.

L' extrême de la liberté, dans une existence d'homme, est la possibilité pour celui-ci de choisir l'instant d'en finir, quand cette existence ne lui semble plus vivable. Il est des cas cependant où l'homme n'est plus en mesure de choisir, ou de manifester son choix, des cas où d'autres sont dans l'obligation de décider, où l'extrême de la liberté devient l'extrême de la responsabilité.

Le Conseil d'Etat, en France, s'est porté en cet extrême en préconisant l'arrêt du traitement de Vincent Lambert, cet homme de 38 ans devenu tétraplégique après

un accident de la route en 2008. Sa famille se déchirait depuis des mois: son épouse était favorable à l'euthanasie passive, ses parents, fervents catholiques, exigeaient son maintien en «vie». Depuis son accident Vincent était dans le coma.

L'«euthanasie active» est légale au Luxembourg depuis 2009. Or, si le législateur a tranché, la collectivité a-t-elle, unanimement et en son for intérieur, répondu aux questions que cette pratique soulève? Non. L'unanimité est ici impossible, les réponses même à ces questions sont impossibles, cette remarque étant faite non pas pour disqualifier la décision du législateur mais pour souligner l'incommensurable responsabilité qu'il a accepté de prendre. Car l'euthanasie interroge nos convictions quant à ce qu'est la vie et à ce qu'est la mort, quant au pouvoir que nous osons nous donner face à celle-ci et à celle-là, pouvoir tributaire de la réponse que nous apportons à la question de savoir si l'homme peut être le seul et unique législateur de l'homme. On comprend qu'un tel débat peut introduire une césure profonde dans une collectivité, entre ceux qui tiennent la vie pour intangible et ceux qui nourrissent l'ambition prométhéenne de se libérer de leurs déterminismes les plus forts, fussent-ils biologiques. Ceux-là affirment que les circonstances sont réunies pour instaurer ensemble une autre approche de la fin de vie, et oublier les mots et réflexes par lesquels trop longtemps nous nous sommes exonérés de nos devoirs face à ceux qui dans leur existence font appel à nous pour en finir, de cette existence. Osons cette approche et cette réflexion, au Luxembourg aussi et encore, où l'euthanasie a certes été légalisée, mais où elle n'a pas pour autant été pensée dans sa radicalité.

Ceci dit, ce n'est pas l'euthanasie en tant que telle qui fut portée devant le Conseil d'Etat français mais la discorde d'une famille – cette affaire a fait du bruit parce qu'une famille se déchirait. Loin de ce bruit, des médecins toutes les nuits consentent à commettre un geste qui pour l'heure en France reste la plus terrible des transgressions. Et cependant ces médecins ne demandent pas tous une juridiction qui «normalise» leur geste, dont ils voudraient au contraire préserver l'extraordinaire anormalité. Commis dans la nuit ce geste relève du sacré, paradoxalement, et fait du médecin un démiurge; commis en plein jour et avec l'assentiment de la société il n'est que l'intervention d'un technicien débranchant une sonde.

Le Luxembourg a légalisé l'euthanasie, on ne le regrettera pas. En France cependant les décisions en la matière restent au secret des familles et des médecins, et cela aussi peut être salué. Le refus de légaliser n'est pas ici le signe d'un vague conservatisme: il se fonde sur la conviction que la problématique est trop complexe pour se prêter à des généralisations normatives. On peut être favorable à l'euthanasie comme transgression, mais hostile à sa banalisation.