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A Kherson, le fleuve est devenu la ligne de front
International 8 Min. 26.02.2023
Un face-à-face éprouvant

A Kherson, le fleuve est devenu la ligne de front

Hanna Skripka tient le catalogue des œuvres du musée d'art, aujourd'hui emportées par l'occupant.
Un face-à-face éprouvant

A Kherson, le fleuve est devenu la ligne de front

Hanna Skripka tient le catalogue des œuvres du musée d'art, aujourd'hui emportées par l'occupant.
Photo: François Janne d'Othée
International 8 Min. 26.02.2023
Un face-à-face éprouvant

A Kherson, le fleuve est devenu la ligne de front

Ce fut un tournant dans cette guerre qui entame sa deuxième année: la reprise de Kherson aux Russes, désormais retranchés de l’autre côté du Dniepr. Reportage.

Par François Janne d’Othée (Kherson)

La place de la Liberté, à Kherson, est désespérément vide. Aussi vide que le bâtiment de l’administration régionale, dont un côté a été éventré par un missile. Des jeunes mères, des personnes âgées la traversent d’un pas rapide, pour attraper un des rares bus. Rester en surface, c’est s’exposer à la mort. Les troupes russes pilonnent la région. En ville, des obus ont frappé un cinéma et une salle de concert, des entrepôts, des maisons … Le 21 février, pendant le discours de Poutine à Moscou, des frappes ont fait six morts et douze blessés. Des dizaines de civils ont péri ou ont été blessés depuis la libération de la ville par l’armée ukrainienne.

La liesse du 11 novembre 2022 n’aura pas duré. Ce jour-là, de nombreux habitants ont afflué vers la place d’allure soviétique pour célébrer le retrait des forces russes - qui occupaient la ville depuis neuf mois - et le retour de l’autorité ukrainienne. On s’embrassait, on pleurait, et le président Zelensky avait fait le voyage depuis Kiev. Cette reconquête avait une portée d’autant plus forte que Kherson est la seule capitale régionale que l'armée russe est parvenue à conquérir. C’était une semaine après le début de l’invasion. La «république populaire de Kherson» avait ensuite été annexée à la Russie à l’issue d’un référendum à la va-vite.

«Les célébrations ont duré une semaine, c’était comme un réveillon du Nouvel An répété chaque jour», raconte Diana Nikityuk, 24 ans, recruteuse dans une société de télécoms. De cela, plus aucune trace. Une chape de silence s’est emparée de la ville. Résultat, au moindre bruit, on sursaute. Les commerces ont fermé leurs portes, et des planches en bois protègent les vitres. A l’exemple de ce salon de beauté hermétiquement clos, mais dont un haut-parleur sur la façade continue de diffuser avec un certain sens de l’absurde une musique entraînante. Plus loin, des ouvriers s’affairent à remettre en état un bunker qui date de la Seconde Guerre mondiale, au cas où ça tournerait mal. A Kherson, l’histoire se déroule sous nos yeux, mais à l’envers.

A l'entrée de Kherson, là où passait la ligne de front avant le retrait russe.
A l'entrée de Kherson, là où passait la ligne de front avant le retrait russe.
Photo: François Janne d'Othée

Aujourd’hui, les trois ponts menant sur la rive occupée par les Russes, qui contrôlent encore 60% de la province, ont été détruits. S’approcher du fleuve est une opération périlleuse, à cause des tireurs embusqués de l’autre côté, à moins d‘un kilomètre. Le Dniepr fait désormais office de ligne de front, mais il se perd au niveau de la ville de Kherson, à cause des multiples bras marécageux et de différentes îles. Les Khersoniens y passent le week-end dans leurs datchas. Des militaires russes s’y infiltrent depuis la rive gauche. Des drones sont utilisés pour les débusquer.

Les obus tirés ne sont pas que russes. D’après la porte-parole militaire locale, Natalia Humeniuk, l’Ukraine continuera de mener des opérations dans le but de libérer tout l’oblast. Mais la partie sera rude. Cette région orientale revêt une importance stratégique pour les généraux du Kremlin, qui feront tout pour reprendre l’avantage. Kherson est un verrou vers la Crimée, annexé par les Russes en 2014. Le canal qui achemine l’eau vers la péninsule passe par là. La ville est aussi une porte d’entrée vers Odessa, et au-delà vers la Moldavie et la région séparatiste de Transnistrie.  

Pourquoi rester?

De 280.000 habitants avant la guerre, la population aurait fondu à 70.000 âmes. Un chiffre invérifiable. Quelles raisons d’encore rester? «C’est ici que se trouvent ma maison et mes parents», répond Andryi Vasechkin, 34 ans, employé dans une boutique de smartphones, dont l’enseigne a été balafrée par le tir d’obus sur un immeuble voisin. «La plupart des jeunes sont restés pour s’occuper de leurs parents. Les plus âgés ont vécu ici la plus grande partie de leur vie. Partir, ce serait un arrachement beaucoup trop grand. Enfin, il y a ceux qui, comme moi, ont un travail, et sont convaincus que s’ils partent, la ville va mourir. Des gens doivent rester pour entretenir l'infrastructure.»

Les plus âgés ont vécu ici la plus grande partie de leur vie. Partir, ce serait un arrachement beaucoup trop grand.

Andryi Vasechkin

Un des quartiers les plus dangereux de la ville s’appelle Ostrov («île»), qui se situe sur une île entourée par le Dniepr, dans la partie ukrainienne. Pour y accéder, il faut emprunter un pont de 400 mètres qui permet d’apercevoir les dizaines de bateaux et grues portuaires paralysés par la guerre, et qui met aussi les véhicules dangereusement à découvert. Dans ce territoire désolé, il ne resterait plus que 10% des habitants. Les derniers résidents des immeubles décrépis et troués par les impacts vivent dans la hantise d’un tir qui anéantirait leur appartement. Très peu de monde sur l’avenue. «Ce sont les durs qui restent ici», témoigne un marchand de fruits.

La vie sous les Russes

Quelle était la vie quotidienne lors de ces neuf mois à la sauce russe? «Les occupants étaient fort agressifs », déclare Diana. «Ils n’ont vraiment pas gagné le coeur des citoyens. Tous les dimanches, on manifestait sur la place de la Liberté, mais c’était aussitôt réprimé avec des gaz lacrymogènes. On était sans cesse sur ses gardes, car on ne savait jamais à qui on avait affaire. La police ukrainienne n’était plus là pour nous protéger.»

«Les hôpitaux, les pharmacies et le marché fonctionnaient sans problème», ajoute Andryi. «Par contre, les autorités d'occupation se sont évertuées à retirer la hryvnia (la monnaie ukrainienne, ndlr) et à la remplacer par le rouble. Elles ont aussi tenté de déconnecter les terminaux de paiement. Tout cela en vain. La hryvnia continuait d’être utilisée. Les terminaux étaient cachés et les commerçants les sortaient pour les clients sûrs.»

Les traces de la propangande russe ont été supprimées à Kherson.
Les traces de la propangande russe ont été supprimées à Kherson.
Photo: François Janne d'Othée

Les habitants vivaient sous l’emprise de ce qu’on appelait la «terreur silencieuse», car les Russes avaient créé un réseau très efficace d’indics. «Nous savions tous que des résistants étaient enlevés, disparaissaient et mouraient, notamment dans les villages autour de Kherson, mais sans qu’on en soit les témoins directs, explique le trentenaire. On apprenait la mort d'une connaissance ou d'un ami quelques jours plus tard, par d'autres sources.»

Parmi les collaborants, ou complices de l’occupant, les anciens ont figuré en bonne place, et certains n’hésitant pas à dénoncer leurs voisins.

Parmi les collaborants, ou complices de l’occupant, les anciens ont figuré en bonne place, et certains n’hésitant pas à dénoncer leurs voisins. La nostalgie de l’Union soviétique a pu jouer, alors que les jeunes ne l’ont jamais connue, et sont déconnectés des réseaux sociaux russes. Les facilités de voyage vers l’Union européenne ont fait le reste. Ce sont donc les vieux qui ont fait la file pour obtenir un passeport russe, condition pour accéder à une retraite jusqu’à deux fois plus élevée. S’ils n’ont pas été démasqués, les prorusses n’ont d’autre choix que de se cacher ou de passer de l’autre côté.

«Ils ont volé mon âme»

A Kherson, les Russes ont emporté les statues: Pouchkine, Potemkine, ou encore le général Souvorov, chef militaire sous Catherine II et Paul Ier. Est-ce pour les sauver des «nazis ukrainiens»? Ou faut-il y avoir un signe que Kherson n’est définitivement plus russe? Les habitants tentent de comprendre.

Ils ne se sont pas contentés de déboulonner. Ils ont également pillé. Conservatrice du musée d’art de Kherson, Hanna Skripka en a été le témoin direct. Sur les 13.500 pièces, peintures, statues et autres objets dont elle avait la charge, plus de 10.000 sont parties en zone russe. «Le pillage s’est passé chaque jour du 31 octobre au 4 novembre. Moi-même, je me suis rendue au musée les 1er et 2 novembre, à la demande du nouveau directeur, installé par l’occupant. Il ne m’avait pas donné la raison.» A son arrivée, elle s’est trouvée en compagnie non seulement du directeur, mais de deux miliciens tchétchènes et de dix représentants du ministère russe de la Culture.

«Dans les couloirs du musée, des murs étaient déjà vides. Cela m’a tellement choquée que je suis restée en retrait. Quand les fonctionnaires russes l’ont remarqué, ils m’ont dit que je n’avais pas d’autre choix que de collaborer à ces décrochages. Deux collègues n’ont pas eu les mêmes scrupules, ils participaient de bon gré à l’opération. Une trentaine d’ouvriers des services municipaux étaient également à la manoeuvre, mais ils n’avaient pas plus le choix que moi.»

Entretemps, on a retrouvé la trace des oeuvres volées à Simferopol, en Crimée. Plus précisément au musée central de Tauride. «Un employé local a réussi à prendre à la sauvette des photos des oeuvres entreposées, et nous les a envoyées. Cela nous a rendu un énorme service.» Hanna travaille aujourd’hui à établir un inventaire des oeuvres volées pour permettre à Interpol de les intercepter. Si du moins elles sortent un jour de Russie.

Le musée des arts est aujourd’hui fermé et protégé par des palissades en tôle.  «A cause des bombardements continus, on a emballé et mis en sécurité les quelque 3.000 œuvres restantes», explique Hanna, qui conclut dans un soupir: «Ceux qui ont volé ces oeuvres ont pris mon âme.» Pour elle, la libération reste très virtuelle

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