"Nous ne pouvons pas céder sur la qualité"
"Nous ne pouvons pas céder sur la qualité"
L'entreprise que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de KPMG Luxembourg a été créée en 1988 à la suite de la fusion mondiale de KMG et Peat Marwick. Philippe Meyer, Managing Partner de KPMG Luxembourg, fait partie du cabinet depuis 28 ans, période au cours de laquelle il a assisté à l'augmentation des effectifs de 50 à plus de 1.600 personnes – une croissance qui est allée de pair avec l'évolution de la place financière luxembourgeoise. Philippe Meyer explique les ingrédients de cette remarquable réussite.
Dans quel contexte est né KPMG à Luxembourg?
La première loi sur le contrôle des comptes est apparue au Luxembourg en 1984. La profession de l'audit, qui existait jusque-là de manière informelle, s'est alors fortement développée sur le territoire. Le Luxembourg était déjà un centre bancaire important, et ailleurs en Europe les réglementations sur l'audit ont commencé à être harmonisées. Le nom KPMG a réellement émergé en Europe dans les années '80 entre la fusion de plusieurs noms. Au Luxembourg, l'entreprise est apparue en 1988 pour proposer majoritairement des activités d'audit, quelques prestations de conseil et une activité "tax" proposée en "partnership". Les différentes entités se sont ensuite regroupées au fil des ans jusqu'à ce qu'elles soient toutes réunies dans la même firme en 2008.
Quels ont été les principaux leviers de croissance?
La première directive UCITS, prévoyant entre autres choses le passeport européen des fonds d'investissement, a vraiment été un élément déclencheur du développement de la firme. Cette loi est apparue en 1988 et le monde entier s'est alors donné rendez-vous au Luxembourg pour développer les fonds d'investissement. Ce mouvement ne s'est jamais arrêté, ni avec l'éclatement de la bulle Internet à la fin 2000 ni avec la crise financière de 2008 qui s'est fait ressentir jusqu'ici.
Ces crises n'ont-elles pas remis en cause les modèles de croissance des grands cabinets d'audit?
J'ai travaillé avec les autorités publiques sur la transposition de plusieurs réglementations européennes sur l'audit. Nous avons d'abord eu une loi très importante en 2009 relative à la profession de l'audit. Cette loi attribue à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) la mission de supervision publique de la profession.
Il faut savoir qu'en 2016, le législateur européen a introduit une nouvelle réglementation sur l'audit et ce n'est qu'à ce moment-là que nos voisins belges ont instauré la supervision de leur profession. Nous avons donc joué un rôle précurseur dont nous pouvons être fiers. Cela assure quelque part la respectabilité de la place luxembourgeoise. Par notre travail, nous sommes garants de la qualité des sociétés et de leurs comptes qui sont produits par des sociétés luxembourgeoises.
A côté de l'audit, KPMG Luxembourg avait aussi dès le départ une branche de conseil.
Cette activité, encore très limitée à l'époque, portait sur toutes sortes d'activités: cela pouvait aller des ressources humaines jusqu'aux systèmes informatiques. Ce qui a été un facteur de développement important de la branche conseil c'est toute l'activité bancaire. Dès l'époque où les banques au Luxembourg ont commencé à avoir des préoccupations d'informatisation, d'amélioration de leurs processus, de sécurité, etc. Sur ces objectifs, les consultants de KPMG étaient très actifs. L'activité fiscale de KPMG travaillait alors sous une forme de «partnership». A la fin des années 2000 toutes les activités du groupe ont été regroupées sous un même toit afin de mieux servir nos clients d'audit. La nature multidisciplinaire de notre firme est un élément très important.
Mais ce modèle diversifié connaît aussi ses limites. On vous reproche régulièrement de jongler avec les conflits d'intérêts, en proposant à la fois des activités de conseil et d'audit. N'est-ce pas là un dangereux mélange des genres?
Le principe numéro un de notre profession, c'est l'intégrité. Quand on signe les comptes annuels des entreprises, c'est dans l'intérêt du public. L'audit, c'est le métier numéro un des firmes comme les nôtres, c'est le cœur de notre métier. Rapidement, avant même les années 90, il était assez naturel de voir des sociétés être intéressées par plein d'autres services.
Bien sûr il y a eu l'exemple d'Enron, au tout début des années 2000 aux Etats-Unis, où l'on a vu que les choses tournaient exactement à l'envers. Mais les règles déontologiques existaient déjà à l'époque tout comme la gestion des conflits d'intérêts. Suite à cet événement, qui a entraîné la chute du cabinet d'audit et conseil Arthur Andersen, les Etats-Unis ont sorti des règles d'une complexité byzantine.
Plus tard, en Europe, le texte qui en est sorti en 2016 n'est pas cohérent, et notamment sur les frais de services. La manière dont le règlement européen est écrit n'empêche pas qu'une firme d'audit puisse proposer des services par des «sociétés-sœurs» qui sont contrôlées par la ou les mêmes sociétés.
La réforme européenne de l'audit légal ne règle donc pas le problème?
Mettre les professionnels dans une situation où ils doivent transiger entre les principes fondamentaux qui existaient déjà auparavant et un texte de loi qui est sujet à interprétation et qui peut être contourné, cela ne représente pas un progrès pour les citoyens européens. Les règles sont bien évidemment nécessaires: on a besoin de règles qui limitent les conflits d'intérêts, et ce sont des choses que nous avons à cœur de respecter. Et d'ailleurs si on ne les respecte pas, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a un pouvoir d'investigation sur notre profession pour s'assurer du respect et de la conformité de ces règles.
La réforme de l'audit en Europe, qui est en vigueur à partir de 2016, a aussi introduit une rotation obligatoire des cabinets d'audit tous les dix ans, afin d'augmenter la concurrence sur ce marché dominé par les Big Four. Cela a-t-il changé quelque chose en termes de part de marché?
Le législateur européen a ordonné la rédaction annuelle d'un rapport sur l'état du marché de l'audit dans chaque pays européen. A Luxembourg c'est la CSSF qui réalise ces statistiques. Le marché de l'audit est un marché qui représente un chiffre d'affaires de plus d'un milliard d'euros et plus de 10.000 salariés. Au-delà des Big four, on trouve un certain nombre de "middle players".
Le constat qui s'impose c'est que vous pouvez découper toutes les firmes dans tous les morceaux que vous voulez. Cependant, c'est justement toute cette palette d'expertise, audit-tax-advisory, qui nous permet d'assurer la qualité de nos audits. La raison en est que les grandes organisations doivent savoir que leur cabinet d'audit est en mesure de mener une enquête approfondie et rigoureuse sur leurs comptes. Il s'agit d'une tâche complexe, qui requiert non seulement l'expertise des auditeurs, mais aussi celle d'une variété de professions, y compris des experts en évaluation et en fiscalité.
Dans certains cas, une expertise encore plus rare ou spécialisée est requise. Nous, les grands cabinets d'audit, pouvons compter sur nos collègues conseillers et fiscalistes, ou sur notre réseau mondial élargi, pour faire face à une telle complexité selon des normes élevées et en accord avec nos valeurs.
Nous ne pouvons pas céder sur la qualité. C'est quelque chose qui est vraiment pris très au sérieux, quels que soient les aléas auxquels doit faire face la société. Nous sommes toujours dans une démarche d'amélioration continue.
Le Financial Reporting Council, autorité de tutelle des pratiques d'audit au Royaume-Uni, a dénoncé la "détérioration inacceptable" des services de KPMG. Est-ce que des mesures ont été prises au sein de la firme?
Ce qui est très clair, pour ceux qui sont à des postes de responsabilité chez KPMG, l'audit est au cœur de notre métier. Nous ne pouvons pas céder sur la qualité. C'est quelque chose qui est vraiment pris très au sérieux, quels que soient les aléas auxquels doit faire face la société. Nous sommes toujours dans une démarche d'amélioration continue.
Mais depuis cette année, je suis tenu en tant que Managing Partner de KPMG Luxembourg personnellement responsable – alors que je ne l'étais pas dans le passé – des défauts de qualité qui pourraient être constatés au sein de la firme. Le board international de KPMG serait en droit de remettre en cause mon activité, ma position, s'il considérait que les défauts de qualité étaient trop importants.
La profession de l'audit est également soumise depuis 2009 au contrôle de la CSSF? Comment se passent les contrôles et votre firme a-t-elle déjà été sanctionnée?
Oui, l'organisme de réglementation surveille la profession. La CSSF publie dans son rapport annuel une évaluation annuelle globale de la profession de l'audit au Luxembourg, y compris un résumé des fragilités identifiées et des sanctions appliquées. En outre, nous recevons d'autres rapports détaillés et confidentiels qui nous donnent un excellent aperçu de notre niveau de qualité. Nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers et la qualité de nos vérifications demeure notre principale préoccupation. Nous prenons très au sérieux toutes les observations de la CSSF et en assurons un suivi rigoureux. Mais croyez bien que dans la fonction qui est la mienne, il est de ma responsabilité de résoudre quelque problème qu'il soit.
Le domaine du conseil n'a pas arrêté de croître ces dernières années. Il représente aujourd'hui environ 25 % à 30 % de notre chiffre d'affaires.
On a beaucoup parlé de vos activités d'audit, mais aujourd'hui c'est la branche conseil qui est vraiment le moteur de croissance de KPMG...
Le domaine du conseil n'a pas arrêté de croître ces dernières années. Il représente aujourd'hui environ 25 % à 30 % de notre chiffre d'affaires. Ces services de conseil se développent pour refléter l'évolution du paysage économique, par exemple en matière de numérisation, d'intelligence artificielle et d'innovation financière. L'audit reste le cœur de notre métier qui représente la moitié de notre activité et continue de croître fortement.
Les cabinets de conseil sont souvent perçus comme des accélérateurs de carrière, mais sont aussi parfois décrits comme des prisons dorées pour les salariés. Est-il vraiment possible de concilier carrière et vie de famille au sein de votre firme?
Les jeunes diplômés qui se lancent maintenant dans une carrière de l'audit-conseil ont la conception de réaliser une activité plutôt qu'un métier. Leur souhait est de pouvoir toucher à tout, et c'est quelque chose que nous proposons effectivement. Nous essayons d'offrir aux jeunes le maximum d'opportunités. Mais il est vrai aussi que c'est un métier où il y a de la pression, de la complexité, des délais à respecter. Il est vrai aussi que beaucoup de jeunes diplômés cherchent des challenges dans la vie: s'ils n'avaient que des tâches simples à faire ils auraient peut-être fait autre chose... Ce sont ces profils que nous recherchons.
Néanmoins, au niveau de la direction, nous avons fait passer le message que l'on ne peut pas imposer aux gens des contraintes dans leur métier qui soient telles qu'elles soient incompatibles avec une vie privée, même si le niveau d'incompatibilité est perçu par chacun de manière différente. Notre firme encourage en tout cas toute forme de diversité. Il nous importe que chacun ait une chance égale de s'épanouir et d'évoluer au sein de notre firme.
Mais la hiérarchie pyramidale dans votre entreprise n'est pas remise en cause...
Dans le domaine technologique, nous n'avons pas ce débat de pyramide. Nous avons des structures beaucoup plus plates, avec des équipes qui travaillent sur des projets, qui mettent en œuvre leurs compétences. Ils sont une compétence technique spécifique qui est vécue horizontalement. Dans l'audit en revanche, les gens s'attendent par expérience à évoluer et à prendre des responsabilités plus grandes dans leur parcours. Ce modèle n'est pas remis en cause. En même temps, avec le développement technologique, un certain nombre de phases de travail vont être davantage déléguées à des machines.
La transformation digitale de votre entreprise est en cours. Où en êtes-vous dans votre démarche?
Un certain nombre de processus sont déjà aujourd'hui supportés intensément par des machines. Nous nous sommes de plus en plus sophistiqués dans notre utilisation du numérique à la fois pour accompagner nos collaborateurs et pour aider nos clients. Dans le cas de la calculatrice fiscale que nous avons lancée l'année dernière, nous avons même pu développer des solutions numériques pour aider le grand public à simuler l’impôt qu'il doit payer.
Maintenant, est-ce que cela veut dire que toutes les chaînes sont affectées? On n'en est pas encore là, mais il est clair que les nouveaux auditeurs et fiscalistes devront s'habituer à travailler avec une machine – une machine qui ne sera pas passive, mais qui aura aussi une intelligence artificielle qui lui servira d'aiguillon et de support dans son travail. Ce sont des supports et des aides qui vont nous aider à faire mieux notre travail et nous apporter plus de confort.
N'oublions pas que certaines compétences telles que le scepticisme qui est inhérent à notre cœur de métier sera toujours un élément déterminant dans la qualité des audits et pourra difficilement être remplacé par une machine.
Als Abonnent wissen Sie mehr
In der heutigen schnelllebigen Zeit besteht ein großer Bedarf an zuverlässigen Informationen. Fakten, keine Gerüchte, zugänglich und klar formuliert. Unsere Journalisten halten Sie über die neuesten Nachrichten auf dem Laufenden, stellen politischen Entscheidern kritische Fragen und liefern Ihnen relevante Hintergrundgeschichten.
Als Abonnent haben Sie vollen Zugriff auf alle unsere Artikel, Analysen und Videos. Wählen Sie jetzt das Angebot, das zu Ihnen passt.
