Entre 100 et 240 milliards de dollars échappent aux Etats
Entre 100 et 240 milliards de dollars échappent aux Etats
par Thierry Labro
Il n'aura fallu «que» deux ans, 12.000 pages d'observation sur les 23 rapports publiés et débattus en quatorze réunions publiques et la mobilisation de 60 pays – dont le Luxembourg – , pour que l'Organisation de coopération et de développement économique – qui aura rarement aussi bien porté son nom – et le G20 s'accordent sur quinze actions, le projet BEPS, pour lutter contre l'érosion de l'imposition et le transfert de bénéfices des sociétés. Ce projet sera tout de même encore discuté au conseil des ministres des Finances du G20 ce jeudi.
En clair, s'accordent pour tenter d'empêcher que les grands groupes ne profitent des règles de non double imposition pour s'affranchir de l'imposition sur les sociétés. Selon l'OCDE, entre 100 et 240 milliards de dollars échapperaient chaque année aux recettes fiscales des Etats, ou 4 à 10% des recettes, en raison de ces planifications agressives, manque de transparence et de coordination entre les administrations fiscales ou ressources limitées de ces administrations pour agir.
«Les filiales des entreprises multinationales situées dans des juridictions à fiscalité faible», note l'OCDE, «déclarent un taux de bénéfices (par rapport à leurs actifs) presque deux fois supérieur à celui de leur groupe».
Une exception pour banques et assurances
De ces quinze actions, beaucoup relèvent pour l'instant de spectaculaires témoignages de bonne volonté, comme la définition de nouveaux standards minimum, des remises à niveau de standards fiscaux existants, des approches communes qui faciliteront la convergence fiscale, des orientations qui permettront fondées sur des bonnes pratiques ou des moyens de neutraliser les dispositifs hybrides (utilisés pour les déductions d'intérêt) ou les sociétés étrangères contrôlées.
Il faudra là attendre que les législations, règles et orientations se rapprochent réellement, comme pour la notion d'«établissement stable», qui sera modifiée l'an prochain pour éviter les fameuses «boîtes aux lettres» dénuées de toute réalité économique. Banques et assurances auront toutefois une approche différenciée pour les déductions d'intérêts.
Pas question d'attendre pour les «cash boxes», ces sociétés écrans qui ont à peine des effectifs, à peine des activités économiques mais qui servent à obtenir des avantages fiscaux: si l'entité fortement capitalisée ne contrôle pas, dans les faits, les risques financiers liés à ses actifs, elle ne pourra percevoir qu'un taux de rendement sans risque voire moins.
Une grille d'évaluation des actifs incorporels a été mise sur pied qui sera un nouvel outil pour les pays qui le souhaitent.
«Les règles de fiscalité internationale n’étaient plus adaptées à l’économie globalisée du XXIe siècle. Il fallait augmenter la cohérence des règles au niveau international et la transparence des systèmes fiscaux. En effet, avec les règles existantes, certaines entreprises multinationales parvenaient à payer en toute légalité très peu d’impôts, voire à ne payer que des montants symboliques. Les recommandations de l’OCDE permettront d’éliminer ces abus et de renforcer l’échange d’informations entre les États.» Le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna.
Déclaration normalisée dès janvier prochain?
Dans le domaine du concret, des dispositions pour empêcher l'utilisation abusive des conventions fiscales, y compris le chalandage fiscal, ont été élaborées qui empêcheront les transferts d'investissements ou l'obtention de taux d'imposition réduits pour les pays qui participeront à cette action.
Dès le 1er janvier, souhaite l'OCDE, l'utilisation de déclaration normalisée par pays (notamment sur les prix de transfert) offrira une meilleure vision d'ensemble pour les sociétés multinationales dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 750 millions d'euros par an.
Sur les régimes spéciaux liés aux brevets, il faudra désormais démontrer le lien entre les avantages fiscaux éventuellement accordés et l'existence d'une activité de recherche-développement.
En cas de différends entre deux administrations fiscales sur l'application de ces nouvelles orientations, un «Forum sur les procédures amiables» développera une méthodologie en attendant que les pays introduisent une clause d'arbitrage obligatoire et contraignante.
L'OCDE est restée assise entre deux chaises à propos de l'économie numérique, reconnaissant à la fois que la notion d'établissement stable sera fondamentale, comme celle des prix de transferts, que des orientations et des mécanismes ont été mis sur pied pour que la TVA soit collectée dans le pays où se situe le client, ce qui aura probablement comme conséquence une redéfinition de la notion de territorialité... mais elle admet que cela n'a fait l'objet d'aucune recommandation parce que les autres mesures devraient avoir assez d'effets sur l'érosion de la base d'imposition pour les grands acteurs de l'économie numérique.
Un groupe ad hoc de 90 pays doit, d'ici fin 2016, mettre en place un instrument multilatéral inédit pour simplifier le réseau mondial des 3.500 conventions fiscales bilatérales. Les années 2016 et 2017 seront cruciales pour savoir comment ce projet sera concrètement mis en oeuvre...
Les dix mythes sur le BEPS
Des réactions mitigées
Cité par l'AFP, Jean-Pierre Lieb, associé chez EY Société d'Avocats, préfère une métaphore bucolique: "L'idée est de faire en sorte qu'un jardin à l'anglaise", avec son fouillis des normes fiscales, "se transforme peu à peu en jardin à la française" tracé au cordeau. Ce plan de l'OCDE apporte "un vrai changement", selon cet ancien haut responsable de l'administration fiscale française passé dans le secteur privé. "Une révolution? Je n'irais pas jusque-là".
"Le terrain sera sans doute plus accidenté pour les entreprises", confrontées à des divergences entre des Etats qui "feront certainement leur marché dans les propositions de l'OCDE". Quant aux administrations fiscales, "noyées dans un flot d'informations" nouvelles, "sont-elles également armées et préparées?", s'interroge M. Lieb.
Les ONG, elles, sont franchement déçues: "Les leçons n'ont pas été tirées des derniers scandales", regrette dans un communiqué Manon Aubry, d'Oxfam. Lucie Watrinet, de CCFD-Terre Solidaire, déplore elle "des aménagements flous et complexes de règles vieilles de plus d'un siècle". Toutes deux soulignent que seules 10 à 15% des entreprises internationales sont concernées par le plan de l'OCDE, qu'elles jugent trop indulgent sur les "rulings", épinglés lors du scandale LuxLeaks, ou sur la fiscalité des brevets.
Les ONG regrettent enfin que le grand public ne puisse accéder aux informations divulguées par les entreprises. Et que les pays pauvres aient été exclus d'un "processus de décision mené par une minorité d'Etats riches", les 34 de l'OCDE et ceux du G20.
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